Prise de parole - Interview

Interview accordée par Jean-Michel Hubert, président de l’ART au "Figaro Economie" le 29 mars 2002 / Le régulateur dresse le bilan du marché de la boucle locale radio / L'ART met en demeure quatre opérateurs de BLR

- Dix-huit mois après l'attribution des licences de boucle locale radio, le marché semble moribond. Quel bilan dressez-vous?

- Le processus d’attribution des licences de BLR a été longuement préparé avec les acteurs. Cela dit, assurément, oui, depuis l'attribution des licences à l'été 2000, les choses ne se déroulent pas exactement comme prévu. Le processus est plus difficile, et le marché ne se développe pas aussi vite qu’espéré. Mais la France ne fait pas exception, et ce phénomène existe également, sans doute de façon encore plus intense, dans les autres pays européens. Au moment même où les opérateurs allaient démarrer leur déploiement, le marché financier s'est retourné et les banques se sont refusées à contractualiser les investissements prévus. C’est l’évolution de la conjoncture financière qui a été le facteur déclenchant de l’inflexion de BLR. Mais ce n’est pas pour autant que nous retirons notre confiance dans cette technologie, au contraire.

- Y a-t-il aujourd'hui ne serait-ce qu'un seul opérateur qui tienne ses engagements?

- Nous avions un point de rendez vous avec les opérateurs de boucle locale radio le 31 décembre dernier notamment pour apprécier la situation de leur déploiement par rapport aux engagements qu’ils ont souscrits. Il s'avère que cinq opérateurs, sans répondre complètement aux exigences de couverture, ont véritablement mis en route un programme crédible. Le processus est vraiment enclenché, même s'il est un peu plus lent. Nous n'avons aucune raison de l'interrompre et ces opérateurs sont invités à poursuivre avec ardeur leur déploiement. En revanche, pour quatre opérateurs, le bilan est nettement insuffisant.Il s'agit des sociétés Landtel France SAS, Broadnet France SAS, XTS Network Caraïbes et XTS Network Ocean Indien. Par exemple, Broadnet n'a rien développé dans quatorze régions sur les quinze obtenues, et Lantel n'a rien fait dans six régions sur sept. Nous avons donc décidé d’engager une procédure de mise en demeure de ces quatre sociétés. La mise en demeure les appelle, dans un délai d’un mois, à prendre des mesures en vue d’assurer le respect des exigences de déploiement.

- Faute de trouver un repreneur, il est peu probable qu’ils y parviennent?

S'ils ne répondent de manière satisfaisante pas à la mise en demeure, l'Autorité aura à se prononcer sur le retrait de leurs licences et sur la restitution de leurs fréquences.

- Celles-ci seront-elles réattribuées?

- Au cas où cette procédure irait à son terme, nous aurons en effet à nous poser la question de l’usage des fréquences qui seraient redevenues disponibles, si certains opérateurs les sollicitent. Selon l'ampleur de la demande, nous choisirons la procédure de réaffectation des fréquences. Si la demande est ponctuelle et limitée, une procédure simplifiée pourrait suffire. Dans le cas contraire, une procédure plus formelle s’imposera.

- Les opérateurs et le régulateur ne se sont-ils pas lancés tête baissée sur un marché et une technologie qui n'avait pas fait ses preuves?

- Non. Lorsque nous avons lancé le processus de sélection en juin 2000, la recommandation était alors unanime pour "y aller". En 1997, certains acteurs piaffaient pour ouvrir ce marché, mais avaient jugé au bout de quelques mois que les conditions n’étaient pas mûres. En revanche en 1999-2000, aux yeux de tous, c'était le bon moment ! Et, je le répète, nous gardons pleine confiance dans la valeur ajouté par cette technologie

- Certains reprochent à l'ART d'avoir fragilisé le marché en attribuant les licences à des acteurs nouveaux, au détriment de groupes plus solides comme Cegetel ou Siris.

- Je ne saurais accepter une telle accusation: nous avons conduit en 2000 une procédure de soumission comparative parfaitement transparente et nous avons publié la totalité de nos analyses. Nous avons retenu des acteurs qui étaient peut-être nouveaux en France, mais qui avaient déjà témoigné d'une crédibilité dans d'autres pays. Ce n'étaient pas des créations ex nihilo ! Je souligne au demeurant que nous n'avons eu aucun contentieux.

- Craignez-vous des recours, maintenant que le constat d'échec de certains est dressé?

- Nous sommes dans un état de droit !  Tout acteur intéressé pouvait engager une procédure contentieuse, mais les délais de recours sont maintenant clos.

- Le marché bruit de rumeurs de rapprochement de LDCOM et FirstMark. Pourrait-il n'y avoir plus qu'un seul opérateur national?

- Depuis un certain nombre de mois, tout le monde parle avec tout le monde. Le processus de consolidation est engagée au niveau mondial. Il ne serait pas surprenant que LDCOM, qui a déjà racheté Belgacom et Kaptech, et FirstMark se parlent. Mais il n'appartient pas au régulateur de structurer le marché. En revanche, je rappelle qu'un acteur ne saurait détenir deux licences nationales.

- Sur ce marché comme sur d'autres, on assiste à une raréfaction des acteurs. Est-ce à dire que le jeu de la concurrence se ferme?

- La raréfaction des acteurs ne signifie pas qu'il y a moins de concurrence. Elle est assurément différente. Avec un nombre moindre d’opérateurs, elle s’appuiera sur l’émulation entre technologies, dont la BLR, et sur la différenciation des services. J'affirme sans hésitation que la France se situe dans la bonne moyenne européenne en terme d'ouverture du marché. Il est faux de conclure que le marché allemand serait plus concurrentiel du seul fait qu’il y plus d'acteurs. N’oublions pas que nous venons d’ouvrir à la concurrence le marché des communications locales, alors que l’extension de cette présélection n’est pas encore réalisée Outre-Rhin.

- En dépit des lourdes pertes annoncées par France Télécom, pourrez-vous contraindre rapidement l'opérateur public à baisser ses prix sur le dégroupage, comme vous vous y êtes engagé?

- Des comptes de France Télécom, je retiens également que les résultats d'exploitation sont encore en amélioration. J'avais annoncé au début de l’année qu’il faudrait des décisions pour améliorer le dispositif actuel du dégroupage, et notamment des baisses tarifaires avant la fin de ce trimestre. D’autres mesures concernant les modalités opérationnelles du dégroupage doivent, quant à elles, être annoncées au cours du deuxième trimestre. Les acteurs concernés ont souligné avec beaucoup d’insistance l'importance qu’il y avait à coordonner les volets tarifaires et opérationnels, comme nous l’avons récemment fait pour les liaisons louées. Ceci nous conduit à un léger aménagement de calendrier : les évolutions tant tarifaires qu’opérationnelles seront arrêtées avant la fin avril.

Propos recueillis par Marie-Cécile Renault et Yann Le Galés