Prise de parole - Discours

Intervention de Sébastien Soriano, président de l’ARCEP, prononcée lors des vœux de l’Autorité, le 28 janvier 2015 à la Sorbonne 

Monsieur le Commissaire, cher Pierre Moscovici,

Madame la Ministre, chère Axelle Lemaire,

Mesdames et messieurs les Présidents de commission, les Parlementaires, les Présidents et membres d'exécutif des collectivités territoriales, les Présidents d'associations d'élus,

Mesdames et messieurs les Présidents, les membres d'autorité indépendantes et les Directeurs d'administrations,

Monsieur le Recteur de Paris, qui nous accueille ici ce soir, à la Sorbonne,

Mesdames et messieurs les Dirigeants d'opérateur des postes et des télécoms,

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Mesdames et Messieurs, cette année 2015 aura démarré de la plus terrible manière qui soit. La barbarie a frappé au cœur de la démocratie et de la République, et c'est avec cette meurtrissure au cœur que nous entrons dans cette nouvelle année. Mais c'est aussi, je le crois, avec le devoir, et peut-être l'espoir, de relever de nouveaux défis pour notre pays

Et c'est donc avec une affection toute particulière que je vous souhaite la bienvenue, ce soir, à la Sorbonne ; et que nous vous accueillons, les membres du Collège de l'ARCEP et moi-même, pour cette cérémonie des vœux 2015.

Je veux d'abord saluer l'arrivée de Martine Lombard, au sein du Collège de l'ARCEP, dont la grande expertise et le goût du débat seront, sans conteste, un atout précieux pour l'Autorité.

Je veux aussi vous dire tout le plaisir que j'ai de retrouver ce soir tant de visages familiers, connus. Merci à toutes et à tous qui êtes présents ce soir, en cette fin janvier si chargée ; et merci particulièrement à Pierre Moscovici, à Axelle Lemaire, et à Olivier Schrameck : votre présence ce soir témoigne de toute l'importance du numérique, de la régulation des réseaux et des postes, et de l'ARCEP dans les défis de notre démocratie et de notre économie, en France et en Europe.

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Je veux vous rassurer, ou peut-être vous décevoir : je ne passerai pas en revue les nombreux dossiers de l'ARCEP, mais plutôt de vous livrer une vision, un horizon. Cet horizon que j'envisage, et que je souhaite que nous envisagions ensemble, est clair : 2020. Le président de la République m'a confié la présidence de l'ARCEP pour un mandat de six ans. Mon horizon, c'est donc le projet de l'ARCEP pour 2020.

Nous sommes aujourd'hui à la fin d'un cycle, et quel cycle ! Il a débuté dans les années 1990, avec l'ouverture du secteur des télécoms à la concurrence.

Je veux ici saluer, avec force, le travail déterminé qu'a conduit l'ART, puis l'ARCEP depuis 1997, pour réaliser tout ce travail. Présidents, membres du Collèges, directeurs généraux, agents, ce soir je veux tous vous tirer solennellement mon chapeau. Grâce à vous tous et au travail accompli, à ces précieux acquis, nous pouvons nous projeter vers de nouveaux horizons.

Je voudrais saluer ce travail, réalisé par Jean-Michel Hubert, d'ouverture des réseaux fixes et d'envol du mobile; saluer également Paul Champsaur, et tout le travail réalisé pour permettre l'émergence de grands opérateurs capables d'investir dans les infrastructures de notre pays; Jean-Claude Mallet et le travail réalisé pour bâtir une régulation de la fibre optique, la première en Europe; et évidemment Jean-Ludovic Silicani, qui a réalisé jusqu'à son terme cette pleine convergence entre les réseaux fixes et mobiles, dont nous savons qu'elle est indispensable, et qui a aussi incité les acteurs à se projeter d'avantage vers la data, l'internet. Messieurs les présidents, je voulais ce soir vous témoigner de mon profond respect pour ce qui a été accompli.

Mais aujourd'hui, il s'agit bien de se projeter, d'ouvrir un nouveau cycle, avec un enjeu clair : les réseaux et la régulation doivent prendre toute leur pleine place au sein de la grande aventure du numérique.

Avec son expérience, avec ses outils, l'ARCEP peut être un régulateur au cœur des enjeux numériques, au service de la révolution numérique, dans son ensemble.

Au cœur de cette transformation, de cette aventure numérique, et à cet horizon, 2020, je souhaite que l'ARCEP soit au rendez-vous de trois défis.

Le premier défi est celui du rôle clé des réseaux numériques dans l'économie dans son ensemble. Le deuxième défi est le caractère devenu essentiel d'Internet dans le fonctionnement de notre société et les garanties nécessaires à apporter. Le troisième est la place de l'ARCEP, régulateur des réseaux, au sein de la stratégie numérique de la France et de l'Europe.

Le premier défi pour 2020 est de s'attacher à ce que les réseaux numériques jouent pleinement leur rôle au cœur de notre économie : il nous faut une industrie des réseaux solide, compétitive, à même de soutenir, et même de stimuler la croissance exponentielle des usages.

En premier lieu, c'est le très haut débit fixe. Les opérateurs et les collectivités locales sont engagés dans des projets extrêmement ambitieux, et le gouvernement est aux côtés de ces acteurs, avec le plan France très haut débit. L'ARCEP l'est aussi, à travers sa régulation. Le cadre est en place, le train est parti : aujourd'hui, près de 45% des foyers sont éligibles au très haut débit : il faut s'en féliciter. Pour autant, il faut conserver une exigence, et tout mettre en œuvre pour encore stimuler et accélérer ces déploiements, accompagner ces initiatives.

Dans cette optique, l'ARCEP participera à la mise en œuvre du rapport Champsaur, qui sera prochainement remis au Gouvernement, s'assurera de la transition du haut débit au très haut débit. La tarification du cuivre fait partie des chantiers identifiés, prioritaires, dès maintenant, pour l'ARCEP, afin de créer les bonnes incitations, et ne pas s'enfermer dans la " trappe à débit ", c'est-à-dire s'enfermer dans une situation satisfaisante à court terme, sans développer les réseaux de demain, à très haut débit.

L'ARCEP va également intensifier ses travaux pour mieux accompagner l'intervention des collectivités locales dans les réseaux. Cette intervention est aujourd'hui centrale. Le procès en légitimité qui a été fait à l'intervention des collectivités est derrière nous : les collectivités sont une évidence. A ce titre, les chiffres parlent : au dernier trimestre de l'année 2014, il y a eu plus de déploiements FttH en zone moins dense qu'en zone très dense.

L'ARCEP s'assurera de la bonne homogénéité technique, économique et opérationnelle de ces réseaux, d'accompagner les acteurs, avec la Mission France très haut débit. Nous devons construire un marché national du très haut débit, en fédérant l'ensemble des dynamiques, notamment locales : c'est notre défi.

En deuxième lieu, le très haut débit est aussi mobile. Les opérateurs ont consenti des investissements considérables dans le déploiement de la 4G en métropole. Cela doit maintenant être le cas dans les territoires ultramarins, et je souhaite que les appels à candidature puissent être lancés très prochainement.

Le très haut débit mobile est également la bande 700 MHz : ce deuxième dividende numérique est d'abord un choix mondial et européen, qui reconnait la croissance exponentielle du trafic de données sur les réseaux mobiles. L'ARCEP sera attentive aux priorités qui auront été dégagées par le Parlement et le Gouvernement. Sur la base de ces priorités, nous pourrons proposer, avant l'été, les modalités d'attribution de la bande 700Mhz, et nous pourrons conclure à l'automne l'instruction de l'appel à candidatures, dans la mesure où l'ensemble des parties prenantes de ce dossier seront aussi au rendez-vous.

A l'horizon de 2020, les enjeux numériques ne se résument pas aux seuls réseaux, mais également aux usages : notre économie sera marquée par la révolution des objets connectés. Je vous dis usage, vous pensez vidéo, smartphones, tablettes. Pourtant, d'ici 10 ans, ce sont bien les objets connectés qui deviendront majoritaires, prépondérants. Certains évoquent plusieurs dizaines de milliards d'objets connectés. Avec la domotique, les villes intelligentes, les voitures connectées ou encore les textiles innovants, les réseaux seront sollicités. Il faut s'assurer que les réseaux sont adaptés à ce changement. L'ARCEP doit apporter à la réflexion sa capacité d'expertise et de veille, tout en l'inscrivant dans un enjeu plus large, celui de la souveraineté des Etats, qui est celui du respect des règles sur ces nouveaux réseaux. Nous serons au rendez-vous de l'internet des objets, avec vous.

A l'horizon 2020, enfin, un enjeu de taille est celui de la transformation numérique des entreprises. Dans cette optique, quel exemple plus emblématique de cette transformation numérique que celui de La Poste ? Son activité même a profondément évolué, et je tiens ce soir à rendre hommage à l'engagement de ses agents, de son management, je salue son président, Philippe Wahl, pour tout le travail de stratégie, de construction, de préparation de cet avenir. Je souhaite saluer le dialogue de grande qualité qui s'est noué entre la Poste et l'ARCEP. Notre défi collectif est de nous assurer du respect des missions de service public, et de leur adéquation avec la nouvelle donne économique du secteur à moyen terme.
Au-delà de La Poste, nous savons que c'est toute l'économie qui est transformée. L'ARCEP peut contribuer à accompagner les entreprises, des TPE aux grands entreprises, par son action sur les services télécoms, qui constituent la première porte d'entrée dans le numérique des entreprises. Nous devons adapter notre regard, mieux identifier leurs besoins, et adapter notre régulation si nécessaire.

Le deuxième défi pour 2020 est celui de l'internet.

Internet est devenu une plateforme essentielle au fonctionnement de notre société. Cette universalité, ce besoin vital d'accéder à internet fait naitre des besoins en termes de garanties d'ouverture d'internet : c'est bien sûr l'enjeu de la neutralité d'internet, sur lequel l'ARCEP continuera à renforcer son expertise et mettra en œuvre l'ensemble de ses outils pour garantir une neutralité pleine et entière de l'internet, y compris dans les interconnexions, qui est le cœur de métier de l'ARCEP, dans le respect du cadre communautaire.

Au-delà des réseaux, nous devons tous être interpellés par cette situation de quelques géants de l'internet, qui semblent édicter des règles du jeu qui façonnent aujourd'hui le fonctionnement de l'économie numérique. Nous devons, à mon avis, nous interroger sur la nécessité d'aller au-delà. Cela fait partie des réflexions du Gouvernement, d'autres pays européens, et que les travaux avancent. Je voulais souligner que l'ARCEP a une longue expérience de la régulation technico-économique et une connaissance intime de l'économie numérique : elle peut être utile à ce débat, y contribuer.

Le troisième défi pour 2020, c'est celui de place du régulateur des réseaux, l'ARCEP, dans la stratégie numérique de la France et de l'Europe.

Je tenais en premier lieu à rappeler une évidence : l'ARCEP est une autorité indépendante. Elle est gardienne du long terme, elle dépasse les intérêts particuliers et de court terme. Il est indispensable que la régulation des réseaux, si essentiels à l'économie, soit conduite avec indépendance, pour garder le cap du long terme, de l'investissement, de l'aménagement numérique du territoire.

Autorité indépendante, mais aussi autorité autonome, régulateur des réseaux : le Président de la République en a récemment rappelé le besoin.

Je souhaite aussi que l'ARCEP soit une autorité agile, à l'image de l'économie numérique, à même de se diriger vers de nouveaux sujets, horizons, mais aussi qui accepte, dans une certaine mesure, de se désinvestir de la régulation de certains marchés. Se désinvestir ne veut pas dire abandonner. Mais la régulation sectorielle est une exception du point de vue du droit de la concurrence, il faut donc s'assurer que notre régulation soit pleinement justifiée au regard de la liberté d'entreprendre, de ces principes généraux du bon fonctionnement des marchés.

Nous avons donc convenu avec Bruno Lasserre d'avoir un échange sur ce point, voir si nous pouvons aller vers une meilleure articulation, un meilleur partage des tâches entre l'Autorité de la concurrence et ARCEP.

Enfin, l'ARCEP doit être une autorité ouverte, à l'écoute. A l'écoute de nos concitoyens en premier lieu, de leurs usages, leurs attentes, leurs perceptions. Il s'agit de remettre l'usager et sa perception au cœur de nos travaux : j'ai pu le constater lors de mes auditions au Sénat et l'Assemblée nationale, il y a une très forte attente des usagers, voire une frustration lorsqu'on en vient aux cartes de couverture mobile par exemple. Il faut entendre cette frustration, trouver une démarche constructive, satisfaisante, travailler, ensemble, à des cartes et indicateurs qui correspondent plus à la réalité des usagers. L'ARCEP doit être aussi à l'écoute des priorités de la Nation. Elle doit contribuer à la stratégie numérique du Gouvernement. Elle doit dialoguer en permanence avec le parlement, les commissions des affaires économiques, spécialisées (CMDA, CSSPPCE, droits et libertés à l'âge du numérique, etc.).

Une autorité ouverte est aussi une autorité qui travaille mieux avec la grande famille du numérique. Des coopérations sont à intensifier, mieux formaliser. Je pense d'abord au CSA. Olivier Schrameck rappelait hier la nécessité de mener des réflexions croisées et des travaux communs entre les régulateurs. L'ARCEP sera au rendez-vous. Elle le sera également avec la CNIL, l'ANSSI, l'ANFr, le Conseil national du numérique, la mission France très haut débit ou encore avec le Comité stratégique de filière numérique, car j'ai aussi entendu les attentes du Parlement sur la prise en compte de la filière.

Cette ouverture doit aussi s'entendre au niveau européen. L'ARCEP doit peser dans le concert européen, alors que la Commission prépare elle aussi sa stratégie numérique. Cela veut dire être force de proposition, et impliquer toujours plus l'ARCEP dans les travaux des régulateurs européens, ORECE et GREP. Le collège s'y impliquera, notre capacité d'expertise et notre voix doivent compter.

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Mesdames et Messieurs, je voulais, avant de céder la parole à Axelle Lemaire, vous dire combien le Collège de l'ARCEP et moi-même comptons, d'abord et avant tout, sur chacun d'entre vous, pour relever ces défis. Nous comptons sur vos innovations, vos investissements, votre mobilisation sur le terrain : les réseaux numériques en France, c'est vous. Nous comptons sur vos idées, sur vos propositions, et, je n'ai pas peur de le dire, sur vos interpellations, vos contestations: sans débat il n'y a pas de bonne décision.

Il me reste à vous souhaiter, au nom du Collège de l'ARCEP, une belle année 2015 ; que cette année vous réjouisse; que cette année vous réconforte; que cette année vous enthousiasme, vous-mêmes comme vos proches.

Je vous signale pour finir une petite nouveauté pour 2015 : vous êtes déjà près de mille à suivre l'ARCEP sur notre nouveau compte Twitter officiel ; ou plutôt devrais-je dire @ARCEP !

Et je vous donne rendez-vous l'année prochaine !

Merci de votre attention