Prise de parole - Discours

Intervention de Sébastien SORIANO, président de l'ARCEP, au colloque de l'AVICCA, le 23 novembre 2015

Bonjour à tous,

Je voudrais commencer par saluer Patrick CHAIZE et sa récente élection à la tête de l'AVICCA. Je voudrais, Monsieur le Président, renouveler un engagement que j'ai pris ici ainsi que devant l'Assemblée nationale lors de mon audition : celui de montrer toujours vis-à-vis des collectivités locales deux qualités qui me paraissent essentielles. La première est l'écoute, et la deuxième le respect.

Mesdames et Messieurs les parlementaires,

Mesdames et Messieurs les acteurs territoriaux,

Mesdames et Messieurs les opérateurs,

Pourquoi les collectivités locales méritent-elles particulièrement du respect ? Tout d'abord parce qu'en matière d'intervention dans le numérique, et en particulier au niveau des réseaux, il y a eu pendant longtemps une certaine défiance à l'égard de leur intervention. Je crois qu'aujourd'hui cette question de la légitimité est largement derrière nous, mais il nous faut garder cette histoire vivace à l'esprit : je souhaite vraiment faire toute sa place à l'action des collectivités, qui est porteuse d'une démocratie locale et d'une légitimité que nous, autorité administrative indépendante, ne pouvons certainement pas revendiquer. Respect d'autre part de par l'engagement financier réel, massif, des collectivités dans les projets d'initiative publique, qui font de cette intervention l'une des interventions phare des collectivités à l'heure actuelle.

Écoute ensuite, parce que l'ARCEP se doit d'être toujours à l'écoute des parties prenantes de la régulation. S'agissant des collectivités, cette écoute prend plusieurs dimensions : il y a d'abord une connaissance du terrain qui est essentielle, sans nulle autre pareille, et qui nous apporte énormément. Il y a ensuite la question des particularités car les réseaux publics ne sont pas des réseaux comme les autres, pour tout un tas de raisons, et nous devons être à l'écoute de ces particularités. Je voulais renouveler cet engagement d'écoute et de respect.

La première chose que je voulais vous dire est qu'à l'ARCEP nous avons engagé un exercice un peu original de revue stratégique qui va nous occuper dans les prochaines semaines et nous amener à publier en janvier prochain une feuille de route qui nous engagera pour les prochaines années. Vous allez me dire : " encore une administration qui fait une revue de ses missions "… Mais non, à l'ARCEP nous ne pouvons pas faire de revue de nos missions puisqu'elles nous sont confiées par le parlement, la loi et par les instances européennes. Ce que nous assumons c'est de pouvoir hiérarchiser nos priorités. Mais nous ne pouvons évidemment pas décider les choses dans notre coin, de manière égoïste ou nombriliste, pour savoir quel sujet nous allons mettre sur la table en fonction de notre humeur du moment. C'est pourquoi nous réalisons une consultation publique et je vous invite à y contribuer par le biais de vos associations, ou vous-mêmes en direct si vous le souhaitez.

Quel est le contenu de cette revue stratégique ? Son point de départ est tout d'abord que nous considérons, avec l'ensemble du collège de l'ARCEP, que nous sommes en quelque sorte arrivés à la fin du cycle d'ouverture à la concurrence. Cela ne veut pas dire qu'il n'y a plus rien à faire en la matière, bien au contraire. Mais l'ouverture est désormais actée, et nous devons nous projeter vers de nouveaux enjeux, liés à la transformation numérique du pays.

Cela veut d'abord dire faire face aux nouveaux usages : le Très haut débit bien sûr, mais aussi l'hyper mobilité. Vous avez évoqué la frustration d'un certain nombre d'élus locaux sur la question de la couverture mobile. J'ai moi-même été auditionné il y a quelques jours par la Commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale, et un journaliste assez éclairé a résumé cette audition en disant que les élus n'avaient que deux mots à la bouche : " zones blanches ". Je confirme ! Comment expliquer cette sensibilité extrême par rapport à la question de la couverture mobile aujourd'hui, alors que c'est une question qui nous occupe depuis une quinzaine d'années ? Mon analyse est que c'est parce que nous avons basculé, nous avons changé de monde. Hier, notre monde était d'abord fixe et, par confort et par extension, mobile. Aujourd'hui c'est le contraire : le mobile est devenu l'accès de référence. La majorité des minutes de voix sont désormais passées sur mobile, et Google a annoncé en avril dernier que plus de la moitié des requêtes sur son moteur de recherche étaient effectuées depuis un mobile. Ce qu'attendent aujourd'hui les utilisateurs, c'est d'avoir du réseau mobile, WiFi ou toute sorte de connectivité mobile. Et cette attente nous amène à repenser tout ce que nous avons construit depuis 15 ans. Le mobile était vu comme un complément, mais ce complément est devenu central. Cette sensibilité que ressentent les administrés des collectivités locales est relayée et nous arrive à l'ARCEP et au Gouvernement qui est, vous le savez, mobilisé sur la question de la couverture mobile notamment dans le cadre du programme " zones blanches ".

Je vous épargnerai le discours consistant à égrener les différentes mesures que nous avons déjà prises car je crois qu'une bonne partie du défi est devant nous. Je me contenterai de vous dire ce que nous avons récemment initié en la matière, avec deux chantiers majeurs.

Le premier est celui de la couverture des lignes de trains du quotidien qui, jusqu'à présent, ne faisaient partie d'aucune obligation. Nous avons, avec le Gouvernement, voulu inscrire des obligations spécifiques de couverture des lignes ferroviaires dans le cadre de l'attribution de la bande 700 MHz. Ces obligations seront opposables aux 4 opérateurs mobiles, puisqu'il ne vous a pas échappé que les 4 opérateurs ont pris des fréquences 700 MHz. Cela représente un peu plus de 20 000 km de voies ferrées. Je peux vous dire que les opérateurs n'étaient pas franchement ravis de cette nouvelle obligation de couverture, mais dans le dialogue que nous avons eu avec le secteur, nous avons estimé que c'était une étape supplémentaire indispensable.

Le deuxième chantier est celui de l'information. J'ai eu l'occasion de le dire ici et de le répéter devant le Parlement, l'information disponible aujourd'hui sur la couverture et la qualité des services mobiles n'est pas satisfaisante. Nous travaillons à l'enrichir et j'espère que je pourrai vous donner plus de détails la prochaine fois que je viendrai vous en parler.

Au-delà des usages, comme l'hyper mobilité ou encore l'internet des objets que vous avez mentionné, il y a les nouveaux enjeux de politique publique qui sont essentiels pour notre pays : la neutralité de l'internet avec l'adoption du règlement européen, ou encore la transformation numérique des entreprises. Cette transformation est un défi pour l'ensemble de la Nation, mais il passe avant tout par un accès de ces entreprises aux réseaux numériques.

Le troisième défi de cette revue stratégique réside dans la manière même de réguler. On ne régule pas les réseaux numériques au XXIème siècle comme on les a régulés au XXème siècle. Il nous faut construire une approche beaucoup plus inclusive et participative. Nous voyons apparaître une diversité d'acteurs déployant et exploitant des réseaux, ainsi que de plus en plus de possibilités de réguler par la transparence, en publiant de la donnée - je viens de l'évoquer au sujet de la couverture mobile. Cette régulation par la donnée, elle est à inventer. Et puis, il y a certains secteurs sur lesquels l'auto-régulation doit être mise en œuvre progressivement. Nous allons l'y encourager de manière à pouvoir dégager de la ressource de régulation sur les nouveaux défis, les nouveaux enjeux.

Écoute et respect : à travers ces deux qualités, je ne peux que vous inviter à contribuer pleinement à cette consultation publique.

J'en viens maintenant à un thème au cœur de notre actualité : celui de la consultation publique que nous avons lancée sur les lignes directrices de tarification des réseaux d'initiative publique FTTH.

Vous savez que nous agissons ici dans le cadre du mandat politique qui nous a été confié par le Parlement avec avis favorable du Gouvernement, c'est à dire sur la base d'un texte qui nous demande d'établir des lignes directrices. Je tiens à le préciser parce qu'on soupçonne parfois l'Etat de vouloir être intrusif, jacobin ou caporaliste. Avant tout, je souhaite rappeler que nous agissons sur la base d'un mandat clair, net et précis. En particulier, ce mandat nous demande d'agir vite. Certains d'entre vous, dans le cadre des réponses à la consultation publique, étaient un peu frustrés du délai rapide dans lequel nous avons dû agir. Sachez bien que, nous aussi, et les équipes de l'ARCEP en particulier, aurions bien aimé avoir un peu plus de temps. Mais c'est ainsi, le Plan France Très haut débit est un plan très important, le plus grand plan d'infrastructures du gouvernement, qui engage l'ensemble de la Nation et sur lequel nous devons être au rendez-vous.

Je tiens à saluer la mobilisation de l'ensemble des acteurs qui ont contribué à cette consultation publique, ainsi qu'à souligner - avant d'en venir aux sujets qui fâchent -un certain nombre de convergences par rapport à ce que nous avons mis sur la table. C'est le cas notamment sur la question de l'accès passif, c'est-à-dire sur la manière dont les collectivités vont commercialiser le réseau brut. C'est aussi le cas sur le principe qui consiste à dire que nous devons avoir une analyse différenciée entre la tarification des RIP à long terme et la tarification des RIP à court terme. Pourquoi ? Parce que la tarification des RIP à long terme correspond à la valeur d'un réseau, la valeur de vos investissements. Vous le savez, à l'ARCEP nous voulons favoriser l'investissement, parce que c'est l'investissement qui amène des réseaux, de la couverture, de la technologie, de la qualité… C'est notre conviction fondamentale, et de la même manière que nous donnons des incitations à l'investissement privé, nous donnerons des incitations à l'investissement public. Ces incitations passent par le fait que l'on respecte la valeur de ces investissements, et cela veut dire que, sur le long terme, il doit y avoir un revenu qui correspond à cet investissement. Mais à court terme, nous devons faire preuve de souplesse pour permettre que les réseaux bâtis soient effectivement exploités. Qu'est-ce qui serait pire qu'un réseau public, avec une dépense d'argent public national ou local, qui ne serait pas exploité ? Ce serait évidemment inadmissible pour tout le monde. Concernant cet équilibre entre le court terme et le long terme, nous avons une certaine convergence de points de vue.

Là où nous avons une certaine marge de progression, c'est sur la question de l'activation, c'est-à-dire sur la manière dont les collectivités et leurs partenaires vont être amenés à exploiter eux-mêmes ces réseaux, pour les vendre non pas sur les marchés de détail mais, juste en amont, sur les marchés de gros.

J'ai parlé d'écoute et de respect… Mesdames et Messieurs, je voudrais vous dire que nous vous avons reçus 5 sur 5. Nous avons entendu les préoccupations des acteurs, nous en avons délibéré avec le collège de l'ARCEP et nous allons être amenés à évoluer. Je ne vous donnerai pas de chiffres aujourd'hui, parce que cela fait partie des choses qui doivent encore être affinées. Je ne vais pas non plus vous dire que nous allons nous caler sur les moins disant parmi les chiffres qui ont été abordés dans les réponses. Je vais plutôt vous dire comment et en quoi nous allons revoir et améliorer notre copie suite à cette consultation publique.

Nous avons un fondamental que nous ne souhaitons pas remettre en cause : c'est la logique de l'échelle des investissements. Depuis 15 ans, à travers la capacité d'accéder à des interconnexions plus basses dans la téléphonie, à travers le bitstream et le dégroupage dans le haut débit, à travers ce que nous réalisons dans la fibre, nous avons construit peu à peu dans le fixe une échelle des investissements qui permet à des acteurs de grossir, de s'implanter, d'être de plus en plus solides, en se fondant sur leur propres infrastructures pour animer de manière pérenne la concurrence et la dynamique d'investissement dont le secteur a besoin. Cette échelle des investissements doit exister aussi dans les réseaux publics. C'est pourquoi nous continuerons à raisonner sur la base de ce que nous appelons un modèle de coûts en couches, c'est-à-dire qui empile un certain nombre de coûts que nous estimons pertinents par rapport aux infrastructures qui sont mutualisées. Un certain nombre de tarifs qui ont été avancés par quelques-uns d'entre vous ne pourront pas être atteints en suivant cette logique.

En même temps, nous admettons que les chiffres que nous avons mis sur la table étaient sans doute inadaptés parce que " conservateurs ". C'est-à-dire que nous sommes partis d'hypothèses de travail - sur la pénétration des réseaux, l'acquisition des équipements…- qui nous paraissaient des hypothèses de " bons pères de famille ". Vous nous avez demandé d'être plus ambitieux, de prendre en compte des hypothèses plus volontaristes qui feraient rentrer très rapidement des clients sur les réseaux, et de prendre en compte des architectures peut-être plus agiles que les standards que nous connaissons et qui permettent d'avoir des coûts plus faibles. Les éléments que nous avions mis sur la table étaient des éléments prudents et nous devons maintenant vous donner le bénéfice du doute. Lorsque je parle de respect, il ne serait pas admissible que nous prenions des hypothèses exagérément conservatrices qui pourraient avoir pour effet de freiner artificiellement la pénétration des abonnés sur les réseaux publics. Nous allons donc modifier les paramètres de notre modèle pour intégrer ces hypothèses plus ambitieuses.

Mais je tiens à vous prévenir que, si nous vous donnons ce bénéfice du doute, cela veut dire que nous sommes un peu embarqués dans une histoire collective et il faut que nous soyons conscients d'où elle nous emmène. L'activation et les couches hautes des réseaux sont effectivement beaucoup moins connues par le régulateur, par les opérateurs et par vous-mêmes. Nous devons donc faire preuve de souplesse, mais cela signifie que, potentiellement, si les paramètres très ambitieux que vous nous avancez s'avèrent finalement ne pas pouvoir être atteints, il faudra corriger le modèle. Nous allons donc nous engager à prendre une partie de vos hypothèses, à être plus " agressif " comme on dit quand on parle de modèle, mais avec une clause de revoyure à 18 mois à l'issue desquels nous évaluerons avec vous si les hypothèses retenues correspondent effectivement à la réalité économique. Je ne suis pas en mesure de vous dire le chiffre auquel nous allons arriver : il n'y aura pas de miracle, la réalité est têtue, et il faudra tenir compte des chiffres que nous sommes capables d'objectiver.

J'ajoute qu'il y a des remises commerciales qui pourront être effectuées sur ce tarif, des remises très importantes puisqu'elles portent non seulement sur les tarifs dits récurrents, jusqu'à 10%, mais également sur les frais d'activation qui, appréciées en valeur absolue, peuvent être extrêmement importantes.

Voilà ce que j'avais à vous dire sur ces lignes directrices. J'espère qu'elles nous permettront de continuer à avoir ce dialogue exigeant dont vous faisiez part, Monsieur le Président.

Je termine par un mot pour vous annoncer votre prochain rendez-vous avec l'ARCEP. Chaque année, dans le cadre du GRACO (qui n'est pas une marque de poussette mais le Groupe des Relations entre l'ARCEP, les Collectivités et les Opérateurs !), nous organisons un événement. Cette année, il aura lieu le 12 janvier et aura pour thème les territoires intelligents. Nous nous pencherons sur la question de la smart city, du smart village et de tout ce qui est smart, et nous aborderons ce sujet selon deux thématiques : la première, dans la prolongation assez naturelle de nos travaux, est la manière dont les collectivités locales peuvent se saisir de leurs réseaux pour agir sur la ville ou le territoire intelligent, à travers des réseaux WiFi, du mobilier urbain, toutes sortes de choses ; et puis nous aurons une deuxième thématique, un peu plus exploratoire pour nous et sur laquelle nous attendons beaucoup de vos contributions car vous êtes bien plus expérimentés en la matière, sur la question de la transformation des services publics par la ville intelligente. J'espère pouvoir compter sur votre présence lors de ce colloque et sur vos contributions.

Je vous remercie beaucoup de votre attention.