Gabrielle Gauthey vous a présenté, au nom du Collège, les principales conclusions que nous avons tirées de la consultation publique. Vous en trouverez le détail dans les documents "Synthèse de la consultation publique" et dans les premiers chapitres du document "Points de repère" que vous pourrez prendre en sortant.
Mon intervention sera ciblée sur ce second document, et plus spécifiquement sur les articulations et synergies qui doivent être trouvées entre investissements publics et investissements privés dans le secteur des télécommunications.
Je reviendrai dans un premier temps sur la légitimité et le périmètre de l'intervention publique. La suite de mon intervention abordera successivement les questions du développement de la concurrence locale, du respect des investissements préexistants, et finalement du rôle de l'Autorité dans le dispositif d'ensemble.
Avant de rentrer dans le vif du sujet, permettez-moi encore une fois de remercier l'ensemble des acteurs, ministères, collectivités, opérateurs et bureaux d'étude qui ont participé à la consultation publique et sont intervenus aujourd'hui.
Je souhaite revenir dans un premier temps sur la question de la légitimité de l'intervention publique dans le domaine des télécommunications, qui a déjà été amplement débattue dans les premières tables rondes de ce matin et de cette après-midi.
Comme vous le savez, l'intervention publique dans un secteur marchand ouvert à la concurrence est une opération délicate, susceptible d'induire des distorsions concurrentielles et de décourager les investissements privés. Le rôle de contrôle de la Commission européenne, qui peut être amenée à analyser la compatibilité des aides publiques au regard du régime des aides d'Etat, est souvent déterminant en la matière.
Or la Commission a pris il y a quinze jours une décision de principe, sur laquelle il est utile de revenir. La Commission a analysé deux projets en Grande Bretagne et en France, celui des Pyrénées-Atlantiques. Dans ses décisions du 17 octobre, que la Commission considère elle-même comme des références, elle a estimé que l'intervention publique dans le domaine des télécommunications était légitime et admissible dans deux cas de figure :
- si cette intervention publique visait à rendre disponible un service haut débit dans les localités où les acteurs marchands ne proposaient aucun service équivalent ;
- ou bien si cette intervention publique visait à établir des infrastructures et un réseau de télécommunications ouvert à l'ensemble des acteurs, y compris dans les zones où un service de détail préexiste.
Le premier enseignement de ces décisions ne constitue pas une surprise. La Commission a estimé, en ligne avec ses précédents avis, que les subventions publiques accordées aux opérateurs pour formuler des offres de détail en zones blanches relevaient du régime des aides d'Etat. La décision de la Commission explicite les critères d'admissibilité de ce type d'aide, en terme de niveau de subvention et de tarifs pratiqués par l'opérateur sous-traitant ou délégataire. Sa lecture peut donc éclairer les collectivités françaises qui envisagent une intervention sur le marché de détail.
Le deuxième élément de ces décisions est plus structurant, car il vise les interventions des collectivités orientées vers la création d'infrastructures et leur mise à disposition sur les marchés de gros. Sous certaines limites, la Commission a estimé que ce type d'intervention était effectivement un Service d'Intérêt Economique Général, et ne relevait donc pas du régime des aides d'Etat.
Cette décision est structurante car elle confirme la qualification de service public local de l'intervention publique prévue par l'article L.1425-1 du Code général des collectivités territoriales. Elle permet notamment aux collectivités d'établir des infrastructures et des réseaux de télécommunications en zones grises, sous réserve de respect des investissements préexistants et d'ouverture effective des réseaux en évitant les procédures de notification communautaires et leurs aléas éventuels.
La Commission a ainsi confirmé la capacité des collectivité à intervenir pour développer la concurrence en zones grises. Je vais donc maintenant aborder la question des moyens dont disposent les collectivités pour développer cette concurrence locale.
Les zones grises sont les zones où un seul opérateur dispose d'un réseau haut débit. Dans la majorité des cas, le groupe France Télécom commercialise des offres de détail satisfaisantes. La présence d'un seul opérateur crée néanmoins un marché local moins dynamique qu'en zones concurrentielles, à la fois à court et à long terme.
L'intervention de la collectivité dans ces zones a pour objectif de limiter ou de faire disparaître les effets que cette situation de monopole peut avoir sur les offres proposées aux ménages et aux entreprises de son territoire. Si la collectivité établit par son intervention les conditions d'une concurrence dynamique sur son territoire, elle apporte une garantie structurelle et de long terme à la compétitivité du marché local des télécommunications.
La légitimité et les effets de l'intervention publique sont cependant étroitement corrélés à l'ouverture effective des réseaux ainsi créés et donc au catalogue de prestations que la collectivité demande à son délégataire ou sous-traitant de commercialiser sur les marchés de gros. De manière simplifiée, les prestations proposées doivent se situer à deux niveaux :
- des offres d'accès aux infrastructures passives, fourreaux ou fibres noires ; ce type d'offres favorise le développement d'une concurrence dynamique et pérenne, mais ne permet pas seule une couverture exhaustive du territoire ;
- des offres de revente de services activés, telles que la bande passante et les lignes d'abonnés haut débit ; ce type d'offres permet une couverture rapide de l'ensemble du territoire, mais limite les capacités de différentiation technique et tarifaire des acteurs, et donc l'intensité concurrentielle.
La subvention et le partage des équipements actifs n'étaient pas possible dans l'ancien cadre réglementaire, ce qui réduisait la portée de l'intervention publique. Une des principales avancées du L.1425-1 est donc bien cette capacité nouvelle de subvention des équipements actifs, qui permet d'envisager l'équipement des zones peu denses.
En effet, la subvention et le partage des équipements actifs présente l’intérêt de réduire et de mutualiser l’ensemble des coûts, d’infrastructures et d’équipements, entre la collectivité et les opérateurs. Le partage des équipements actifs semble ainsi adapté à l'équipement des zones les moins denses, où il ne serait pas rentable pour plusieurs opérateurs de gérer chacun leurs propres équipements.
Nous pouvons noter qu les effets du partage des équipements actifs sont particulièrement structurants dans les zones blanches, puisque la collectivité y propose alors des offres alors qu'il n'en préexistait aucune. Dans les zones grises qui nous intéresse ici, l'effet est moins structurant.
En effet, si le partage des équipements actifs facilite la couverture homogène du territoire par les opérateurs et les fournisseurs d'accès Internet, elle n'a qu'un impact relativement limité sur l'intensité de la concurrence locale. Le partage des équipements actifs ne permet pas facilement aux opérateurs et fournisseurs de services de différencier leurs offres.
Ainsi, une collectivité qui ne demanderait à son délégataire que la vente de prestations activées ne disposerait probablement sur son territoire que de deux offres innovantes, celle de France Télécom et celle de l'opérateur subventionné. Les autres opérateurs, ne disposant pas de leurs propres équipements actifs, ne pourraient pas déployer les mêmes offres que celles qu'ils proposent dans les zones denses.
Dans ce type de zone grise, de moyenne densité, l'offre de gros la plus importante pour le développement d'une concurrence pérenne est celle d'accès aux infrastructures passives. Le terme de partage d'infrastructures passives désigne les offres d'accès au génie civil et aux fourreaux, les offres d'accès aux pylônes et les offres de vente ou de location de fibre, qui représentent souvent plus de quatre vingt pour cent du coût des réseaux. L'importance de ce type d'offre d'accès et de partage de ces infrastructures passives a été soulignée :
- d'une part par le texte de la loi pour la confiance dans l'économie numérique qui dispose que "l’intervention des collectivités territoriales et de leurs groupements (…) garantit l’utilisation partagée des infrastructures établies ou acquises en application du présent article" ;
- d'autre part par la Commission dans sa décision de principe du 17 octobre, estime, je cite : "la location de fibre noire (..) permet une véritable concurrence à tous les niveaux".
Parmi l'ensemble des offres d'accès aux infrastructures passives, l'offre la plus demandée par les opérateurs, comme nous l'avons entendu aujourd'hui, est celle de location longue durée de fibre noire. Cette offre leur permet d'installer leurs propres équipements actifs, et donc de gérer de bout en bout leur qualité de service. Elle leur permet en outre de se différencier techniquement et tarifairement des autres opérateurs, ce qui augmente sensiblement l'intensité concurrentielle locale.
Il convient toutefois de signaler que la formulation d'une offre de location ou de revente de fibre représente un certain coût pour la collectivité. L'opérateur délégataire demande une subvention publique plus importante lorsqu'il est soumis à la concurrence de nouveaux entrants que lorsque son catalogue de prestations lui assure une situation de duopole local avec l'opérateur historique. En ce sens, le choix d'une intervention publique visant au développement de la concurrence en zones grises est un choix structurant et de long terme pour les collectivités qui souhaitent s'y engager.
Par ailleurs, l'intervention publique en zone grise est ne s'effectue pas sur un terrain vierge. il y existe déjà un réseau, souvent celui de l'opérateur historique, qu'il convient de ne pas dévaloriser indûment. Le sujet du respect des investissements existant est un peu ardu, et je vous prie de bien vouloir m'en excuser par avance.
Le respect des investissements existants est à long terme un enjeu majeur de l'intervention publique dans le secteur des télécommunications. Les opérateurs privés pourraient hésiter à investir dans une nouvelle génération d'infrastructures ou d'équipements lorsque cela s'avèrera nécessaire, dans la crainte de les voir dévalorisés par des interventions publiques récurrentes. Il y aurait alors un transfert progressif de la charge de construction de l'ensemble des réseaux vers les acteurs publics.
Les collectivités disposent de deux moyens pour limiter les effets désincitatifs de leur intervention sur les opérateurs privés :
- en premier lieu, il est indispensable de mettre en place des modalités d'appels d'offres non discriminatoires et permettant aux opérateurs présents en zones grises de valoriser leurs réseaux en répondant à la commande publique ou à l'opérateur lauréat d'accéder au réseau existant à un tarif équitable ;
- ensuite, les tarifs pratiqués par la collectivité, son délégataire ou son sous -traitant subventionné ne doivent pas être trop bas ; ils ne doivent pas conduire l'opérateur déjà présent, pour rester compétitif, à vendre à perte.
Concernant le premier axe, Il convient de noter qu'il est probablement utile pour la collectivité de recenser les infrastructures existantes avant d'entamer une phase de négociation privilégiée avec un seul opérateur. Celui-ci peut en effet n'avoir à ce stade qu'une incitation modérée à minimiser le coût total en utilisant le réseau d'autres acteurs.
Concernant le deuxième axe, le document " Points de repère " expose les niveaux tarifaires plancher en dessous desquels il convient de ne pas descendre. Sans entrer dans le détail, le plancher des tarifs est fixé par les coûts des opérateurs déjà présents.
En zones grises, ces tarifs plancher peuvent être inférieurs aux tarifs pratiqués par l'opérateur déjà présent, car en situation de monopole, celui-ci peut avoir commercialisé ses offres au-dessus de ses coûts réels.
En zones concurrentielles en revanche, sauf cas particulier, les tarifs pratiqués aujourd'hui sur les marchés de gros et de détail reflètent les coûts des opérateurs non subventionnés. La collectivité, si elle intervient en zones concurrentielles, ne peut donc y proposer des tarifs inférieurs aux tarifs pratiqués par les opérateurs déjà présents, sauf à leur livrer une concurrence déloyale.
Finalement, je voudrais évoquer rapidement le cas de la fibre optique sur le segment de l'accès, c'est-à-dire sur les derniers kilomètres jusqu'aux clients finaux. Les réseaux d'accès optiques sont moins développés en France que dans d'autres pays, notamment d'Asie. Le raccordement en fibre des zones d'activité et des bâtiments d'entreprises constitue probablement un enjeu important pour le développement des offres professionnelles à très haut débit dans les prochaines années :
- pour les nouvelles zones d'activité, où à l'occasion de travaux de voiries, la pose d'un réseau de fibre paraît désormais essentielle ; ce réseau pourra être mobilisé par les opérateurs pour proposer leurs offres ;
- pour les zones d'activité existantes, le coût de déploiement d'un réseau d'accès en fibre n'est pas négligeable ; il pourra être pris en charge par l'aménageur, par la collectivité ou par un opérateur privé.
Or l'effet d'éviction des investissements privés par l’éventualité d'un investissement public ultérieur est généralement important. Un opérateur n'a pas intérêt à déployer son réseau s'il estime que la collectivité pourrait quelques mois ou années plus tard déployer son propre réseau concurrent. Il semblerait donc utile que les collectivités disposant sur leur territoire de bassins économiques attractifs puisse lever les incertitudes des investisseurs privés, en explicitant leurs propres intentions de déploiement à court et moyen terme.
Par ailleurs, et il s'agit d'un tout autre sujet, tant la loi a confié à l'ART un certain nombre de missions que je vais évoquer pour conclure.
De même, les réponses à la consultation publique ont ainsi révélé un certain nombre d'attentes des acteurs vis-à-vis de l'Autorité, mais également de craintes d'une nouvelle tutelle de la part de certaines collectivités. Cette appréhension est non fondée, car l'Autorité n'a ni la mission, ni la vocation, ni d'ailleurs les moyens d'assurer un contrôle a priori des actes de chaque collectivité.
Il n'en reste pas moins que les interventions des collectivités dans le domaine des télécommunications s'effectue dans un paysage dont la présente journée a permis de mesurer la complexité et les différentes dimensions juridiques, économiques et concurrentielles.
La publication de la synthèse de la consultation publique menée par l'Autorité, ainsi que des points de repère, ne permet de répondre à toutes les incertitudes ; ces documents visent essentiellement à partager les enseignements qu'a pu tirer l'Autorité de cinq ans de régulation du haut débit, et à énoncer les principales questions qui restent posées.
En ce sens, il s'agit donc plutôt d'un point de départ que d'un point d'arrivée. Il nous semble que le dialogue entre l'Autorité, les collectivités qui le souhaitent et les ministères impliqués doit désormais se poursuivre. Ceci m'amène à vous proposer deux axes d'approfondissement :
- d'une part, vous trouverez sur le site de l'Autorité un espace dédié aux collectivités mis en ligne ce jour, et contenant des études économiques, juridiques et techniques, des modèles de coûts, ainsi que des notes d'analyse ;
- d'autre part, l'Autorité se propose de réunir un "Comité des Réseaux d'Initiative Publique" dont l'objectif est de faciliter un dialogue entre les collectivités, les opérateurs et les acteurs qui le souhaitent.
Concernant le site Internet, nous avons privilégié une approche facilitant le transfert d'expérience entre collectivités. Nous mettons sur cet espace la synthèse de la consultation publique, avec les contributions ; n'hésitez pas à les parcourir, car la plupart sont extrêmement riches, et la synthèse ne peut en reproduire toute la diversité.
Ensuite, nous pourrons mettre en ligne les documents publics qui nous seront adressés par les collectivités, par exemple les catalogues de prestations des délégataires. Vous trouverez à cet égard dans le document de points de repère la liste des documents dont la transmission à l'Autorité est jugée souhaitable avant le lancement d'un projet, et ainsi que le prévoit la loi. Tous les documents n'ont pas vocation à être rendus publics . Ils seront sauf accord explicite de la collectivité considérée comme couverts par le secret des affaires et réservés comme tel au strict usage de l'Autorité.
Par ailleurs, nous mettons en ligne un " Web-blog ", qui a vocation à prolonger les discussions engagées aujourd'hui. Ce lieu d'échange permettra aux collectivités qui le souhaitent de proposer leurs propres analyses, et aux services de l'Autorité de répondre aux questions les plus fréquentes. Il s'agit d'une expérimentationque nous mènerons pendant trois mois afin d'en évaluer la faisabilité technique et l'intérêt pour les acteurs.
Le "Comité des Réseaux d'Initiative Publique" a quant à lui vocation à réunir les collectivités porteuses de projet qui le souhaitent, leurs associations, les opérateurs délégataires et sous-traitants des collectivités, et enfin les opérateurs qui sont leurs clients sur les marchés locaux. Les inscriptions au groupe de travail sont facultatives et s'effectueront dans les prochains jours par messagerie électronique.
Dans un premier temps le groupe pourrait se réunir avec une périodicité semestrielle, une première réunion pouvant se tenir début 2005. Des sous-groupes thématiques ou géographiques pourront être envisagés en tant que de besoin et en fonction du nombre de participants. L'ordre du jour sera fixé en fonction des souhaits des participants ; quelques sujets ont d'ores et déjà été évoqués par les réponses à la consultation publique :
- les modalités d'allotissement des appels d'offres ;
- l'utilisation des infrastructures existantes et les coûts d'accès ;
- l'équipement des zones d'activité et bâtiments publics en fibre ;
- les catalogues de services des collectivités et de leurs délégataires ;
- les renégociations annuelles des DSP et le contrôle du délégataire.
Je vous remercie de votre attention. Je vais maintenant donner la parole à monsieur Devedjian, Ministre Délégué à l’Industrie, qui conclura cette journée.