Prise de parole - Discours

Intervention de Jean-Michel Hubert, président de l'Autorité de régulation des télécommunications, lors de la présentation aux acteurs des télécommunications du rapport public d'activité 1997 de l'ART / 3 juillet 1998

Mesdames, Messieurs,

Je voudrais tout d'abord vous remercier pour votre présence, vous qui avez répondu à notre invitation, représentants des pouvoirs publics et des institutions, des opérateurs, des industriels ou des associations de consommateurs. Je suis heureux de vous accueillir aujourd'hui.

Je ressens votre venue comme le témoignage des relations de travail étroites et confiantes que nous avons appris à établir. Certes, nous pouvons être amenés à soutenir ici où là des positions différentes, mais je sais que nous sommes d'abord assemblés par les principes forts qui marquent la loi de réglementation :

  • la libéralisation du marché et sa nécessaire croissance
  • une concurrence équitable et loyale
  • le développement des télécommunications françaises

 

J'observe la mesure qui caractérise le débat dans notre pays. C'est à mon sens un gage d'efficacité et j'en remercie ceux qui y participent.

Vous comprendrez que je souhaite également adresser quelques remerciements à mes collègues et collaborateurs. Tous, nous venons d'horizons différents, mais de cette diversité, nous avons fait une richesse, par une véritable osmose :

  • le collège, avec son amicale unité, à laquelle j'associe pleinement notre directeur général,
  • les services, qui savent aujourd'hui la force de leur complémentarité.

Nous formons une équipe homogène ; c'est grâce à sa cohésion et à son travail que je suis heureux de pouvoir vous présenter aujourd'hui notre activité.

LE PREMIER RAPPORT ANNUEL DE L'AUTORITÉ

L'Autorité de régulation des télécommunications publie aujourd'hui son premier rapport public d'activité, en application de l'article L. 36-14 du code des postes et télécommunications. Il a été remis lundi 29 juin au Président de la République, au Premier ministre, aux Présidents de l'Assemblée nationale et du Sénat, ainsi qu'au Président de la Commission supérieure du service public des postes et télécommunications, comme le prévoit la loi.

Le premier rapport de l'Autorité a une valeur symbolique. Il constitue pour elle la première occasion de présenter un bilan détaillé du travail accompli depuis maintenant dix-huit mois.

C'est en partie la somme de ce travail qui explique le volume important de cette publication. Sa taille imposante trouve également sa source dans notre volonté de satisfaire une double exigence à l'égard de l'ensemble des acteurs concernés par le développement des télécommunications :

  • une exigence d'explication : compte tenu de la complexité juridique et technique de la matière, nous avons souhaité replacer les décisions de l'Autorité dans leur contexte, en rappelant, de façon systématique, le cadre juridique, les enjeux économiques et les perspectives dans lesquels elles s'inscrivent.
  • un souci d'exhaustivité : notre ambition a été de faire de ce rapport un document de référence et un outil de travail qui me semble jusqu'à présent sans équivalent dans l'ensemble des publications françaises relatives au secteur des télécommunications. Le choix de joindre au rapport un volume d'annexes regroupant l'ensemble des textes de références illustre pleinement cette démarche.

 

Plus généralement, la publication d'un tel document s'inscrit dans la politique de communication de l'Autorité, dont l'ouverture d'un site Internet et la création d'une lettre d'information bimestrielle ont été les autres temps forts au premier semestre 1998.

LE BILAN DE L'ACTION DU REGULATEUR

Depuis sa création l'Autorité a rendu plus de 1 000 décisions, dont 540 au cours du premier semestre de 1998. Elle s'est attachée à instaurer les conditions de l'exercice de la concurrence, en particulier sur le marché des communications longue distance. Ces conditions sont aujourd'hui réunies.

L'Autorité applique, pour ce faire, une régulation du secteur qui peut prendre une forme technique ou juridique, mais demeure fondamentalement une régulation économique, qui exprime et encadre les droits et obligations des nouveaux opérateurs et qui exerce les contrôles adaptés sur l'opérateur historique France Télécom quant aux conditions techniques et tarifaires de l'interconnexion ou du service universel. C'est donc une régulation asymétrique qu'appelle l'instauration d'une concurrence naissante.

De nouveaux opérateurs sont arrivés sur le marché : nous avons instruit 37 demandes de licences de réseau ouvert au public ou de fourniture du service téléphonique. 25 d'entre elles ont été délivrées par le ministre.

L'arrivée sur le marché de ces entreprises devrait avoir des effets bénéfiques sur la croissance de l'économie et sur l'emploi puisque les opérateurs dont l'autorisation a été délivrée ou instruite annoncent, sur 5 ans :

  • 23,7 milliards de francs d'investissements
  • 38 milliards de chiffre d'affaires
  • 12 000 créations d'emplois

 

UNE ACTION AUJOURD'HUI CONFORTEE

La publication de ce rapport d'activité intervient six mois après l'ouverture complète du secteur à la concurrence, dans un contexte marqué par d'importantes décisions émanant des instances juridictionnelles de notre pays. Ces décisions apportent une contribution importante à la pérennité du cadre juridique de la concurrence, tout en soulignant le rôle de régulation économique de l'Autorité.

Par deux arrêts rendus le 28 avril, la Cour d'appel de Paris a rejeté les recours déposés contre les deux décisions prises par l'Autorité en 1997 en règlement de différends relatifs à la fourniture d'Internet sur le câble. Ces arrêts précisent et confirment pleinement les pouvoirs que le législateur a confiés à l'Autorité pour régler les litiges entre opérateurs. Ils confortent l'exercice de notre mission de régulation.

Le Conseil d'Etat a rendu le 26 juin un arrêt reconnaissant la validité du dispositif d'attribution des ressources de sélection du transporteur dans notre pays. Ce jugement a confirmé la compétence donnée à l'Autorité d'établir et de gérer le plan de numérotation national. Il a en effet constaté que la sélection du transporteur par un chiffre unique s'intégrait dans le plan de numérotation à dix chiffres.

C'est tout à la fois la légitimité de ce dispositif et la légalité de sa mise en œuvre par l'Autorité que le Conseil d'Etat vient de reconnaître. Il a par ailleurs estimé que la coexistence de deux mécanismes de sélection distincts ne constituait pas une discrimination dès lors que les opérateurs bénéficiant d'un chiffre unique de sélection étaient soumis à des obligations renforcées.

La décision du Conseil d'Etat est déterminante pour l'avenir du processus de libéralisation, car elle apporte au marché une clarification dont - nous en sommes tous conscients - il avait besoin depuis quelques mois, elle précise utilement les principes d'un droit nouveau et technique tout en confortant le rôle du régulateur et elle permet à notre pays de conserver l'image positive de son processus de libéralisation.

Enfin, à la suite de l'avis rendu par l'Autorité sur la décision tarifaire de France Télécom proposant une offre d'accès à Internet pour les établissements scolaires, le Conseil de la concurrence a appelé l'opérateur historique à suspendre son offre, dans une décision pleinement cohérente avec l'analyse de l'Autorité.

Depuis lors, le ministre de l'éducation nationale a récemment annoncé le cadre dans lequel les opérateurs vont désormais pouvoir présenter leur offre.

En soulignant qu'elle a toujours exprimé l'attachement qu'elle portait à la mise en œuvre effective de ce grand programme d'intérêt national, l'Autorité se félicite qu'une formule soit trouvée pour concilier l'ensemble des objectifs auxquels doivent répondre les offres. Une nouvelle procédure d'homologation doit concrétiser son adoption.

LES OBJECTIFS PRIORITAIRES DE L'AUTORITÉ

Le premier rapport d'activité publié par l'Autorité est l'occasion d'exprimer ses priorités pour l'avenir. Elle a ainsi retenu trois axes de travail dans le cadre des objectifs économiques et sociaux fixés par la loi à l'ouverture du marché :

Assurer le développement de la concurrence

Pour prolonger la dynamique installée sur la longue distance, l'Autorité souhaite mettre l'accent sur les perspectives suivantes :

  • l'arrivée de la concurrence sur la boule locale est une des conditions d'un développement équilibré du marché ; l'introduction de la boucle locale radio et l'utilisation des réseaux câblés constituent des solutions d'avenir pour favoriser l'essor de ce segment.

L'Autorité vient à cet égard de rendre sa décision quant à la fourniture du service téléphonique sur les réseaux du plan câble. Elle avait été saisie en décembre 1997 de deux demandes de règlement des différends portant sur les réseaux de Paris et de huit autres sites.

Par cette décision , nous avons tenu à mettre en place une solution équitable et efficace, établissant les conditions techniques et financières de la mise à disposition des capacités nécessaires à la fourniture du service téléphonique et définissant clairement les responsabilités de chacun.

Le dossier du câble est assurément l'un des dossiers prioritaires à ce jour. Il m'apparaît positif que les différents acteurs, avec lesquels nous nous en sommes entretenus ces derniers mois, constatent avec nous l'incohérence de la situation actuelle et s'attachent à en mesurer l'enjeu économique, dans des termes certes très différents.

Par delà sa décision, soucieuse de l'avenir du câble en France, l'Autorité a engagé les parties concernées à ouvrir des discussions permettant de parvenir, dans des conditions équitables et compatibles avec le développement de la concurrence, à une situation qui assurerait l'unicité de la propriété et de l'exploitation des réseaux du plan câble.

Par ailleurs, le débat sur le dégroupage de la boucle locale, dont les termes méritent d'être précisés, va faire l'objet d'une large concertation qui devrait se poursuivre par une consultation publique. Le dégroupage suscite en effet de nombreuses questions, en particulier sur quatre points :

-sur le plan juridique, sa définition mérite d'être clarifiée ;

-sur le plan technique, il faut examiner les usages qui pourraient en être faits, notamment avec le développement de l'ADSL ;

-une analyse de ses effets économiques doit également être conduite ; le terme de dégroupage recouvre en effet plusieurs notions distinctes allant du simple accès aux fils de cuivre à la revente du réseau ; ces différentes options peuvent avoir des conséquences différentes ;

-des comparaisons internationales peuvent également éclairer ces analyses.

  • L'essor des radiocommunications mobiles trouve son prolongement dans le développement de nouveaux services. Il va être favorisé par l'attribution prochaine de nouvelles fréquences aux trois opérateurs en place. L'arrivée de l'UMTS, nouvelle génération de services mobiles et des services de communication personnelle par satellite devrait apporter une nouvelle dimension à ce marché. L'Autorité conduit une réflexion sur l'UMTS dans le cadre de la Commission consultative des radiocommunication. Un groupe de travail a été créé à cet effet et remettra un premier rapport à l'automne.

 

Garantir le service public et contribuer à l'aménagement du territoire

La garantie d'un service public de qualité dans un environnement concurrentiel est l'un des objectifs majeurs de la loi du 26 juillet 1996. Sa fourniture et son financement sont, pour l'essentiel, assurés dans des conditions satisfaisantes. Nous poursuivrons notre travail d'analyse pour affiner l'évaluation de son coût pour 1999.

Un point important mérite cependant d'être souligné : La fourniture de l'annuaire universel n'est pas aujourd'hui assurée. Une solution satisfaisante, qui peut exiger une modification de la loi, doit être rapidement trouvée car l'annuaire est non seulement un élément majeur du service universel mais également l'une des conditions de la concurrence sur la boucle locale.

L'aménagement du territoire est l'un des objectifs fixés par la loi à l'action de l'Autorité. Nos préoccupations rejoignent ainsi celles des collectivités territoriales, qui ont une responsabilité majeure dans ce domaine. L'Autorité est naturellement ouverte aux initiatives des collectivités, visant à favoriser l'accès de nos concitoyens aux nouvelles technologies.

Elle rappelle cependant les restrictions que le droit des collectivités territoriales leur impose en matière d'établissement et d'exploitation d'un réseau de télécommunications ouvert au public

Elle souligne que les obstacles juridiques actuels à la location ou à la vente de fibres nues par les collectivités territoriales ne pourraient être levés que par voie législative.

Elle demeure naturellement à leur disposition pour les aider à préparer leurs projets, en conformité avec l'état actuel du droit des télécommunications.

Encourager l'essor des nouvelles technologies de l'information et de la communication

L'Autorité s'attache à apprécier les effets de la convergence des secteurs des télécommunications et de l'audiovisuel sur la réglementation et sur la régulation. S'agissant d'Internet, elle a pu constater à plusieurs reprises que le cadre juridique des télécommunications s'applique, pour l'essentiel, aux services accessibles sur ce nouveau moyen de communication, ainsi qu'aux réseaux qui lui servent de support.

La convergence fixe/mobile représente un autre chantier, dont les implications économiques et réglementaires doivent être établies avec précision. Une large concertation vient d'être engagée avec l'ensemble des acteurs. Les deux commissions consultatives placées auprès de l'Autorité y seront étroitement associées.

LE CADRE LÉGISLATIF ET RÉGLEMENTAIRE

Nous disposons aujourd'hui d'une première expérience de l'application du cadre législatif et réglementaire mis en place par la loi du 26 juillet 1996. En effet, si la liberté d'exercice n'est effective que depuis six mois, la plupart des dispositions de la loi ont été mises en oeuvre depuis maintenant un an et demi, ce qui a permis à notre pays de transposer de manière complète les directives communautaires en les intégrant à la situation française.

Le dispositif juridique que nous appliquons aujourd'hui est solide et équilibré. Il faut en préserver l'économie générale pour maintenir la cohérence avec le droit communautaire et garantir la stabilité du cadre juridique, gage de visibilité pour les acteurs.

L'application de la loi peut certes, dans certains cas, suggérer des clarifications et des simplifications, par exemple sur la question de l'annuaire universel. Il est encore prématuré d'en établir le bilan détaillé susceptible de conduire à l'aménagement de certaines dispositions. Il appartiendra , le moment venu, au Gouvernement et au Parlement d'envisager cette décision. Mais il est important de constater aujourd'hui que la loi crée effectivement des conditions satisfaisantes pour assurer la régulation et le fonctionnement du marché.

L'ESSOR DES TELECOMMUNICATIONS FRANÇAISES

La France occupe aujourd'hui une position favorable dans le développement mondial des télécommunications. Alors qu'un accord historique signé dans le cadre de l'OMC est entrée en vigueur début 1998 et que la libéralisation tend à se généraliser, il est essentiel, pour notre économie et pour l'emploi, de renforcer encore cet atout. L'Autorité participe à cette dynamique.

Un grand mouvement, une profonde mutation marquent le secteur des télécommunications dans notre pays. Il peut y avoir ça ou là forces ou faiblesses, échecs ou réussites. Mais je tiens à souligner la qualité du modèle français, c'est-à-dire la qualité de tous ceux qui, opérateurs et industriels, la façonnent quotidiennement.

L'ouverture à la concurrence s'est faite à partir d'un réseau dont la densité, la modernisation et la qualité situaient la France parmi les meilleurs au monde. La concurrence elle-même a d'ores et déjà suscité chez tous les partenaires des avancées remarquables, dans l'innovation technologique et commerciale et dans les niveaux tarifaires de l'interconnexion et des mobiles qui positionnent avantageusement la France au sein de l'Europe.

Vous m'avez déjà entendu dire " la concurrence n'est pas une fin en soi " ; son objectif fondamental est d'être bénéfique au consommateur, particulier ou entreprise, mais elle ne le sera durablement que par la réussite de vos actions.

Par sa mission, l'Autorité y contribue. Soyez assurés qu'elle la poursuit avec une conviction et une détermination intactes.

Je vous remercie de votre attention.