Mesdames et Messieurs, La conclusion de cette première journée ne vise pas à résumer en quelque façon les interventions de la journée ; outre que la très grande richesse des échanges auxquels nous avons assisté rendrait cette tâche extrêmement délicate, je souhaite avant tout réfléchir avec vous sur les problématiques que la convergence nous invite - et même nous contraint - à poser. Il est en effet nécessaire d'anticiper et de préparer les évolutions technologiques, économiques et sociales qui se dessinent aujourd'hui.
I. QU'EST-CE QUE LA CONVERGENCE ?
La convergence, c'est un rapprochement entre différents secteurs, essentiellement les télécommunications, l'audiovisuel et l'informatique. Ils ont tous pour objet de délivrer, de traiter et de transporter de l'information. Sur le plan technologique, l'informatique a apporté l'intelligence aux réseaux de télécommunications. de leur côté, les télécommunications ont permis le développement de l'informatique en réseau. Cette réalité n'est donc pas nouvelle.
Ce qui est nouveau en revanche, c'est que ce rapprochement connaît un prolongement en termes d'usages et de marchés. Des domaines qui restaient jusqu'à présent nettement séparés, notamment parce qu'ils s'adressaient à des publics distincts pour des usages différenciés, participent ensemble à la définition et à l'émergence de nouveaux services.
Pour apprécier cette tendance, il faut, je le crois, distinguer deux niveaux d'analyse, technique et économique.
La convergence est une réalité technologique.
La numérisation de l'information permet l'utilisation indifférenciée de supports de communication autrefois spécialisés pour fournir des services diversifiés ; elle favorise par là même les économies d'échelle pour les opérateurs et leur permet de remonter la chaîne de valeur.
Mais cette évolution technologique est loin d'être suffisante pour donner une réalité économique à la convergence.
Si la technique permet une différenciation et une multiplication des services qui transitent sur les mêmes réseaux, la concurrence stimule cette différenciation, qui peut conduire à terme les acteurs à diversifier leurs activités dans les secteurs connexes et ainsi à élargir leur marché au bénéfice de l'innovation.
Le dénominateur commun de ces différents aspects de la convergence, ce sont les réseaux de télécommunications qui transportent et donnent accès à l'information. Cela ne signifie pas qu'il y ait unification des modes de transport de l'information sur les réseaux. Mais pour l'utilisateur final, la technologie tend à devenir transparente et il lui importe peu de savoir s'il a accès à Internet grâce au câble, au satellite ou au réseau téléphonique, sauf si cela a une incidence sur le prix qu'il paye, sur la nature et la qualité des services qui lui sont fournis ou sur l'accessibilité de ces services.
Pour préciser les enjeux économiques attachés à l'utilisation des réseaux de télécommunications, je mentionnerai la convergence fixe / mobile, qui peut s'analyser comme l'extension de la mobilité au service téléphonique classique, quel que soit le réseau emprunté.
Le nombre d'abonné au téléphone mobile progresse en France à un rythme de l'ordre de 400 000 abonnements supplémentaires par mois. Depuis quatre ans, le nombre d'abonnés double chaque année. Il a atteint 9,4 millions fin octobre, soit un taux de pénétration de 16,2% et devrait dépasser les 10 millions fin 1998.
Mais je voudrais d'abord revenir sur la question des appels entrants : ce sont les opérateurs mobiles qui fixent librement les tarifs ; cette question suppose donc une analyse tenant compte des intérêts du consommateur et des objectifs des opérateurs. C'est un réel enjeu pour le maintien du dynamisme et de l'équilibre du marché. Je vais être amené à réunir autour d'une même table les opérateurs concernés.
Le développement exceptionnel des mobiles permet d'envisager plusieurs étapes dans la progression de cette convergence entre le fixe et le mobile qui pourra prendre plusieurs formes, sans qu'il soit possible de prédire avec précision si elles seront simultanées, successives ou cumulatives :
- la convergence commerciale ou ìmarketing" : c'est une tendance que nous observons déjà ; elle consiste à proposer des offres couplées de téléphonie fixe et mobile permettant par exemple de bénéficier d'une facturation unique ou de réduction de tarifs. Cette forme de convergence ne s'appuie pas aujourd'hui sur l'intégration des réseaux ou des services mais le rapprochement des technologie en facilitera le développement.
- la convergence des services : elle s'appuie sur une unification des services fixes et mobiles proposés aux clients et permettra la mise sur le marché d'offres ìsans coutures". Il peut s'agir notamment de bénéficier d'un numéro unique ou d'un terminal mixte permettant à la fois la mobilité et l'utilisation sans fil à domicile.
- la convergence des infrastructures : fondée sur un véritable rapprochement des technologies de réseaux, elle permettra la fourniture de services indifférenciés quel que soit le réseau utilisé. L'UMTS, nouvelle génération de services mobiles, pourrait être un exemple de cette intégration. La vraie question est à cet égard de savoir quel seront les services réellement offerts par cette nouvelle technologie.
Le développement de ces nouvelles offres pose à l'évidence des questions concurrentielles. C'est pourquoi l'Autorité a d'ores et déjà engagé une consultation des acteurs sur cette question. Car si nous sommes naturellement favorable à un telle évolution du marché, qui bénéficie au consommateur, nous sommes également attentifs à ce qu'elle ne constitue en rien une entrave au développement effectif de la concurrence. En particulier lorsqu'un opérateur dominant sur l'un des deux marchés propose des offres couplées.
Plus généralement, je dirai que la convergence rend plus nécessaire le respect des règles de concurrence.
II. CONVERGENCE ET CONCURRENCE
Facteur déterminant de la convergence, la concurrence doit être effective et durable. Pour que la différenciation des services conduise effectivement à la diversification des activités, elle doit continuer à se nourrir de la concurrence, faute de quoi elle risque de conduire à un mouvement inverse de concentration, dont nous voyons déjà, dans le cas de Microsoft, qu'elle constitue un enjeu majeur sur le marché américain de l'informatique. Une trop forte concentration entre les mains de quelques acteurs mettrait fin à la stimulation en faveur de l'innovation que représente la concurrence.
C'est pourquoi l'établissement de règles stables, nécessaires pour favoriser la concurrence, constitue l'une des priorités dans le contexte actuel.
Je tiens à souligner qu'il n'appartient pas au régulateur de façonner le marché, sous peine de contraindre les acteurs de façon excessive.
En revanche, et j'insiste sur ce point, le régulateur français agit en faveur de la concurrence chaque fois qu'il prend des décisions pour promouvoir non seulement les règles mais les dispositions pratiques d'une compétition favorable au consommateur, le cas échéant à travers une régulation asymétrique lorsque la loi du marché le justifie.
Dans cette perspective, et avec un souci constant de visibilité, nous nous attachons à travailler dans le cadre d'une large concertation, seule méthode pour préparer un avenir qu'aucun opérateur ne peut préparer seul.
La question de la liberté d'accès aux réseaux est dans la perspective de la concurrence une question essentielle ; celui qui, demain, contrôlera l'accès aux réseaux de télécommunications pourra par là même contrôler l'accès à l'information et contraindre fortement les capacités d'innovations des autres acteurs ; Pour favoriser la concurrence, il faut définir et appliquer les règles garantissant d'une part aux fournisseurs de services un accès aux ressources de réseaux de télécommunications, et d'autre part aux utilisateurs eux-mêmes l'universalité de l'accès aux services. C'est sur ces principes que l'Autorité a en particulier fondé son analyse du dossier ìInternet et les écoles" : trouver un équilibre entre la satisfaction des utilisateurs et les exigences de la concurrence.
Ce sont ces mêmes principes que nous avons retenu pour le développement des services et fonctionnalités complémentaires et avancés, et plus précisément ce que líon regroupe sous le vocable ìservices spéciauxî.
Toutes les interventions précédentes ont mis l'accent sur l'enjeu primordial de la boucle locale, clé de la relation avec le consommateur, pour une offre diversifiée. Ce programme passe par l'ouverture de plusieurs supports :
Le câble d'abord : je ne reviendrai pas sur les différentes décisions prises pour le développement de l'accès à Internet et aux services de télécommunications sur les réseaux du plan câble. Ces décisions doivent être appliquées, mais je constate que les difficultés qui marquent encore leur mise en œuvre confirment la nécessité de parvenir à une clarification dans l'organisation de ces infrastructures et leur exploitation.
La boucle locale radio : une approche expérimentale a été établie ; elle montre les difficultés industrielles, avant même d'en arriver au bilan économique. Cette phase est utile et sera poursuivie.
Dernier aspect, difficile et important, la question du dégroupage de la boucle locale, qui devrait être un des enjeux de l'année 1999, comme l'a clairement précisé l'exposé de M. Bordes. Nous avons déjà pris l'initiative d'étudier cette question en profondeur en suscitant la création, au sein de la CCRST, de deux groupes de travail chargés respectivement de définir une approche technique et une approche économique. Une fois ce premier cadre tracé, il conviendra de le placer dans un processus de consultation publique.
Je ne saurais évoquer les questions d'accès aux réseaux sans insister sur la problématique de l'interconnexion : le débat qui s'est engagé entre les opérateurs porte, non pas sur le catalogue mais sur une proposition de France Télécom que nous avons immédiatement soumise à la concertation. Nous avons ainsi engagé d'intenses discussions avec les opérateurs, au cours desquelles nous avons pu établir un certain nombre de principes : la version 1999 du catalogue devra présenter une structure tarifaire stable, fondée sur l'orientation des tarifs vers les coûts ; elle devra donner lieu à une baisse significative et réelle des tarifs.
Ainsi, nous disposons déjà d'outils de régulation efficaces en matière d'accès aux réseaux dans le secteur des télécommunications ; les questions d'interconnexion et d'accès aux réseaux sont en effet au cœur du processus de libéralisation défini au niveau européen.
Au delà de ces concepts fondamentaux, de nouvelles fonctions, commencent à apparaître. En passe d'être intégrées dans les offres de services et de réseaux dans lesquelles on commence à les identifier, elles pourraient susciter, demain , la création de nouveaux métiers et l'apparition de nouveaux acteurs. Ce sont essentiellement des fonctions díintermédiation, qui assurent l'interface entre contenants et contenus mais ne sont pas liées de manière intrinsèque aux fonctions d'opérateur de réseaux ou de fournisseur de contenus. Il s'agit, par exemple, des moteurs de recherche, des navigateurs ou des systèmes d'accès conditionnels.
Ces nouveaux métiers sont essentiels car ils assurent une diversification de l'accès aux réseaux et peuvent favoriser la concurrence. Mais ils contribuent simultanément à renforcer la difficulté du dispositif concurrentiel parce qu'ils ajoutent un degré de complexité dans l'économie des secteurs concernés.
Il faudra veiller à ce que la constitution de ces nouveaux outils ne constituent pas des barrières à l'entrée.
On assiste également à un rapprochement entre le métier d'opérateur et de distributeur. C'est un sujet sur lequel nous réfléchissons avec beaucoup d'attention car ce rapprochement est susceptible d'induire quelques glissements dans les responsabilités de l'opérateur. Celui-ci est en effet responsable, à l'égard du client final, du service proposé. Nous allons bientôt publier une analyse de ce type de rapprochement ; la situation particulière de France Télécom est également examinée : l'opérateur historique est à la fois opérateur dominant et opérateur chargé du service universel. Une consultation des autorités compétentes sur ces aspects est actuellement en cours sur ce dossier.
III. CONVERGENCE ET RÉGULATION
La réalité de la distinction entre contenant et contenu conduit naturellement à reconnaître la nécessité d'une double régulation, l'une devant notamment assurer l'accès aux infrastructures et la réalité de la concurrence, l'autre le pluralisme et, le cas échéant, un contrôle des contenus.
Cette double fonction de régulation est aujourd'hui assurée, selon des modalités variables, dans la plupart des pays. En France, la régulation du contenu relève naturellement du CSA. Quant à la régulation des réseaux, elle fait l'objet d'un partage complexe entre le CSA et l'Autorité en fonction de la catégorie de services diffusés sur les réseaux en question.
Nous avons souligné à plusieurs reprises l'utilité d'une distinction plus nette entre les législations applicables aux services et aux réseaux dans le droit français, et notamment à l'occasion des contributions que nous avons adressées à la Commission européenne à la suite de la publication de son Livre vert, ainsi qu'au Conseil d'Etat dans le cadre de la préparation de son rapport sur le cadre juridique d'Internet.
Nous nous sommes ainsi prononcés en faveur d'une législation unifiée, applicable à l'ensemble des réseaux de télécommunications et indépendante des services transportés sur ces infrastructures. La nécessité d'une telle évolution est particulièrement visible dans le cas des réseaux câblés, qui connaissent une situation de superposition législative. Ainsi, selon que l'on souhaite fournir des services de télécommunications ou des services audiovisuels, le régime juridique qui leur est applicable, et plus particulièrement le régime d'autorisation, est différent, ce qui pose un problème de cohérence et de compréhension par les acteurs.
S'agissant du régime juridique applicable aux services, nous avons également souligné, notamment à propos d'Internet, la pertinence de la distinction actuelle entre les services de télécommunications, qui relèvent de la correspondance privée, et les services de communication audiovisuelle, qui relèvent de la communication au public. Il nous est apparu que la convergence ne met pas en cause cette distinction, et que les " nouveaux services " qui se développent peuvent être identifiés
- soit comme des services de télécommunications : par exemple le courrier électronique
- soit comme des services de communication audiovisuelle : par exemple les forum
- soit comme des services mixtes : cíest le cas en particulier du commerce électronique qui associe un service de communication audiovisuelle (la consultation) et un service de télécommunications (le paiement).
Ainsi, les droits sectoriels s'appliquent aujourd'hui aux services qui naissent à partir du processus de convergence.
Je suis heureux, à cet égard, que dans son rapport relatif au cadre juridique d'Internet, le Conseil d'Etat ait largement adopté cette analyse, tant sur la question des réseaux que sur celle des services.
Sur l'ensemble de ces points, nous avons souhaité privilégier une approche réglementaire évolutive à partir du dispositif existant, notamment pour répondre au souci de stabilité du cadre juridique de la concurrence, exprimé par l'ensemble des acteurs. L'existence de régulations nationales permet aujourd'hui l'application des principes européens dans de bonnes conditions. Je voudrais rassurer ici ceux qui pourraient craindre que le régulateur ait un regard limité à ses frontières. Le marché européen, objectif reconnu, est tout autant notre préoccupation partagée, je peux en témoigner avec tous nos homologues.
Je souhaite que la révision des directives communautaires prévue pour 1999 dans le secteur des télécommunications, tienne compte de ces réflexions, en établissant les conditions claires et ouvertes de l'accès aux réseaux.
IV. LA RÉALITÉ DE LA CONVERGENCE : L'EXEMPLE D'INTERNET
Reste le problème de la téléphonie sur Internet, qui en fait doit être désigné sous le nom de ìtéléphonie utilisant des technologies IP" ; cette question constitue un enjeu majeur du débat sur la convergence et soulève d'ailleurs des questions plus technologiques et économiques que réglementaires.
En effet, le débat juridique autour de la définition du service téléphonique et de la capacité de la téléphonie sur IP à entrer dans cette définition ne doit pas conduire à sous estimer les véritables enjeux de la téléphonie sur IP, d'autant qu'on peut prévoir qu'avec les progrès techniques, la téléphonie sur IP correspondra rapidement à cette définition, même si ce n'est pas aujourd'hui le cas.
La question centrale est bien de savoir dans quelle mesure et dans quels termes économiques la téléphonie sur IP est susceptible de concurrencer le service téléphonique traditionnel. Pour y répondre, je ferai deux remarques :
En premier lieu, la téléphonie sur l'Internet public, telle que nous la connaissons aujourd'hui ne correspond pas à une offre susceptible de concurrencer directement le service téléphonique à grande échelle, essentiellement parce qu'en raison même de son caractère spontané et non organisé, elle ne peut fournir un niveau de qualité comparable, même si elle présente l'avantage de réduire les coûts d'utilisation. Il est donc vraisemblable que ce type d'offre restera marginal, a fortiori si elle exige des équipements particuliers (Micro-odinateur, boîtier etc.)
En revanche, les opérateurs présents sur le marché du téléphone trouvent aujourd'hui un intérêt à l'utilisation des technologies IP : c'est une technologie moins coûteuse, qui permet par ailleurs de coupler le téléphone avec des services à valeur ajoutée, de type multimédia. Il faut donc envisager que ces opérateurs équipent leurs propres réseaux de la technologie IP pour fournir du téléphone à des prix attractifs parmi d'autres services. Une telle évolution serait en tout cas cohérente avec les tendances actuelles. Je précise que dans les dossiers de licences à líinstruction apparaissent effectivement de nouveaux réseaux utilisant la technologie IP.
Mais cette hypothèse n'est pas automatiquement synonyme d'un accès généralisé au téléphone à très bas prix ; l'appropriation des technologies IP par les opérateurs représente en effet un coût non négligeable qui s'inscrit dans une équation économique ìtechnologie / prix / service" bien connue des opérateurs de réseaux de télécommunications.
CONCLUSION
Aujourd'hui, nous ne savons pas ce que sera le marché des " technologies de l'information " à moyen et long termes. Il est extrêmement difficile d'établir des prévision dans un domaine qui évolue aussi rapidement. Il est toutefois possible d'établir quelques principes susceptibles de guider notre réflexion et notre action :
Premièrement, la convergence était jusqu'à présent une réalité technologique ; elle est en train de devenir une réalité économique dans un contexte de libéralisation. Nous en avons déjà des exemples concrets, dans le cadre de notre action de régulation : c'est le cas de la convergence fixe / mobile ou des réseaux câblés.
La convergence, comme la concurrence, n'est pas une fin en soi, elle doit également être un facteur de progrès économique et social.
Deux enjeux majeurs vont accompagner sa progression :
- le rôle déterminant des réseaux de télécommunications, qui constituent le socle du développement de la convergence et le système nerveux de la société de l'information.
- l'importance du développement des usages. Notre rôle est de permettre l'accès aux infrastructures dans des conditions équitables et non discriminatoires. Mais ce sont les usages qui, en dernier ressort, détermineront la réalité de la convergence. L'outil technologique n'est - encore une fois - qu'une condition nécessaire mais non une condition suffisante pour l'apparition et le succès de nouveaux services.
Je vous remercie de votre attention.