Table ronde 1 : L’accès à Internet
Les conditions de développement de l’accès à Internet en France
Mesdames et Messieurs,
La problématique de l’accès à Internet est en effet un élément majeur pour le développement d’Internet en France. C’est le premier maillon, indispensable pour rendre disponibles les services de la société de l’information.
D’après les chiffres publiés par l’AFA, on peut estimer à plus de 5 millions le nombre d’abonnés à Internet en juillet 2000. Le marché des communications d’accès est en forte croissance : +153% en volume en 1999. Le volume de ces communications représente, sur le 1er trimestre 2000, 41,9% du total de l’année 1999. La concurrence doit encore progresser sur ce segment ; la part de marché des nouveaux entrants devrait approcher les 10% en fin d’année.
C’est donc un marché en pleine expansion, dont le développement concurrentiel suppose une régulation, qui représente une part importante de notre action. Je voudrais insister ici sur les conditions d’un développement effectif de ce marché.
1. La transition vers l’accès à haut débit
Si le marché de l’accès à Internet par le réseau téléphonique représente aujourd’hui encore l’essentiel du marché de l’accès à Internet, ce secteur connaît actuellement une période de transition vers l’accès à haut débit. Dans ce contexte, les actions à conduire pour développer le marché se situent à plusieurs niveaux :
S’agissant de l’accès par le réseau téléphonique, l’année 1999 a vu le développement des offres de forfaits comprenant l’abonnement et le prix d’une durée mensuelle de communications, parallèlement aux formules d’accès à Internet sans abonnement. Cette diversification des offres a conduit à une baisse très significative du prix de l’accès, qui se situait au dessus de la moyenne européenne début 1999, et en dessous à la fin de l’année.
On assiste aujourd’hui au développement des forfaits illimités. La question se pose de la viabilité économique de ce modèle, puisque les fournisseurs d’accès doivent faire face à des charges variables (en fonction de la durée de consommation des clients), alors qu’ils perçoivent des recettes fixes (le forfait) ;
C’est dans cette perspective que s’inscrit l’introduction, dans certains pays européens, de modèles d’interconnexion indirecte forfaitaire pour le trafic Internet commuté, c’est-à-dire des modèles où l’opérateur tiers interconnecté loue une capacité d’interconnexion sur l’année et n’est plus facturé en fonction du volume de minutes écoulées. Ce modèle permet ainsi de substituer une charge fixe à une charge variable.
Il s’agit d’une question essentielle pour le développement de l’accès à Internet, grâce au développement d’offres innovantes. C’est pourquoi nous avons engagé une réflexion approfondie pour étudier, de façon très ouverte, les conditions de son introduction dans notre pays. Dans ce cadre, j’ai récemment demandé à France Télécom de me faire part de son analyse sur ce dossier. J’ai entendu les propositions exprimées dans le sens de la disponibilité d’une telle offre et nous nous attachons à en établir la synthèse, en l’inscrivant dans la perspective d’une harmonisation européenne des conditions économiques de l’interconnexion.
De son côté, l’accès à Internet à haut débit va constituer à court terme un marché moteur pour le développement d’Internet ; il pourrait représenter de 5 % à 7% des abonnés à Internet en 2000, puis croître pour atteindre une part de marché comprise entre 15% et 30% en 2003.
2. La diversité des modes d’accès à haut débit
L’accès à Internet a haut débit connaîtra vraisemblablement son véritable décollage au cours de l’année 2001, avec l’arrivée effective des offres de boucle locale radio et des technologies xDSL. Plus globalement, plusieurs solutions vont être rapidement accessibles ou le sont déjà :
- Les réseaux câblés : ils représentent 8 millions de foyers potentiels et 2,9 millions de foyers sont aujourd’hui abonnés à l'un au moins des services offerts sur ces réseaux, essentiellement dans les zones urbaines.
- La boucle locale radio :
Neuf opérateurs de boucle locale radio sont déjà présents sur le marché et ont commencé à déployer leurs réseaux. Ils vont couvrir l’ensemble du territoire national et fourniront en particulier des services d’accès à Internet à haut débit, non seulement pour les entreprises mais également pour les particuliers. Les premières offres verront le jour courant 2001.
Un nouvel appel à candidatures vient d’être lancé par le Secrétaire d’Etat à l’industrie qui a publié, le 29 septembre, la proposition que je lui avais transmise le 19. Elle a pour objet de compléter les autorisations déjà délivrées, dans les régions Auvergne, Corse, Franche-Comté, Limousin et en Guyane, à la suite du désistement de trois opérateurs. Les dispositions de ce nouvel appel à candidatures reprennent celles mises en œuvre dans le cadre des précédentes procédures. Je peux déjà vous indiquer que des opérateurs vont se porter candidats.
J’ai retenu une instruction des procédures de sélection dans des délais relativement brefs, de façon à permettre, compte tenu d’une date limite fixée au 15 novembre 2000 pour le dépôt des candidatures, la publication des résultats par l’Autorité avant le 30 janvier 2001.
- L’accès à Internet par le téléphone mobile
L’arrivée d’Internet sur les mobiles constitue une évolution fondamentale pour le développement des nouveaux usages liés à Internet, alors que l’accès à Internet et les mobiles sont les deux marchés les plus dynamiques du secteur des télécommunications.
Nous sommes actuellement dans une phase de transition vers la troisième génération de mobiles, qui devrait permettre, à partir de 2002, le véritable essor de l’Internet mobile.
La transition vers la 3ème génération : le WAP et le GPRS
Le protocole WAP, arrivé sur nos terminaux mobiles au printemps dernier, représente une première phase d’apprentissage qui préfigure, de façon encore approximative, ce que pourrait être la troisième génération ;
Les limitations existantes tiennent en particulier à la faiblesse des débits offerts par les réseaux GSM, conçus pour le transfert de la voix ; elles vont être en partie levées avec l’arrivée, en 2001, du GPRS, puis de l’UMTS en 2002 ;
L’introduction du WAP en Francea été perturbée par le débat contentieux sur le verrouillage des terminaux ; il était donc nécessaire de poser les principes d’un développement ouvert de ce marché, ce que nous faisons aujourd’hui en concertation avec tous les acteurs : nous allons bientôt publier une communication qui rappellera les principes d’un développement concurrentiel du marché.
Les premiers principes à mettre en avant sont ceux de la liberté d’accès au client pour l’ensemble des acteurs, et de la liberté d’accès aux services pour les consommateurs ;
Il importe ainsi de trouver un équilibre entre la liberté d’accès aux clients et la prise en compte de l’économie des différents acteurs, dont les opérateurs mobiles.
L’introduction de l’UMTS en France
Parallèlement l’Europe introduit actuellement la troisième génération de mobiles, l’UMTS. En France, l'Autorité a proposé au ministre chargé des télécommunications les conditions d'attribution des licences qui retiennent le principe d’une sélection comparative sur dossier. Le Gouvernement les a publiées le 18 août. La loi de finances en précisera les conditions financières pour les opérateurs qui seront choisis. A l’issue de la procédure de sélection conduite par l’Autorité, les licences seront délivrées par le ministre au plus tard le 30 juin 2001.
Au total, et par rapport à nos principaux partenaires européens, les conditions d’introduction dans notre pays apparaissent raisonnables et équilibrées, et en tout état de cause favorables au consommateur ; comme le souligne un grand nombre de mes interlocuteurs.
Si le développement de la troisième génération ne fait pas de doute dans son principe, il sera vraisemblablement marqué par une phase de démarrage, nécessaire pour déterminer la nature des nouveaux services et du marché correspondant. L’essor de l’UMTS, auquel participeront assurément des acteurs économiques importants, constitue un objectif essentiel pour la politique publique : c’est un défi économique autant qu’un enjeu social.
A cet égard, et comme l’a souligné Monsieur Raymond Forni tout à l’heure, l’Internet ne se distingue pas de sa finalité sociale. C’est à mon sens la même idée que j’exprime lorsque je dis que la concurrence n’est pas une fin en soi, même si elle est nécessaire.
3. L’importance du dégroupage
Parmi les différentes solutions permettant l’accès à Internet à haut débit, je ferai une mention particulière sur l’ADSL et la mise en œuvre du dégroupage, qui permettra son développement concurrentiel. Le décret du 12 septembre a fixé pour objectif la disponibilité du dégroupage au 1er janvier 2001 ; il sera prochainement complété par un règlement communautaire, qui vient d’être adopté par le conseil des ministres, sous l’impulsion déterminante de la présidence française, et doit recevoir l’approbation du Parlement européen.
Compte tenu de l’importance de ce dossier pour le développement de l’Internet à haut débit dans notre pays, j’insiste sur la détermination de l’Autorité à mettre en œuvre l’ensemble des moyens nécessaires pour que toutes les dispositions de ce décret soient effectivement opérationnelles en temps et en heure. Les dispositions réglementaires sont établies mais il faut maintenant en traduire les objectifs et les obligations sur le terrain. Ce sera difficile, mais - n’en doutez pas - la mise en œuvre du décret et du futur règlement est pour le régulateur une ardente obligation.
En particulier, les expériences engagées dans d’autres pays (Etats-Unis, Royaume-Uni, Allemagne) montrent que la méthode d’approche des procédures opérationnelles est essentielle au bon déroulement de la préparation du dégroupage. Le groupe de travail présidé par Alain Bravo a adressé des propositions à France Télécom sur cette question et l’Autorité va pour sa part publier rapidement des lignes directrices. Deux questions prévues par le décret sont particulièrement sensibles et doivent trouver rapidement une solution :
- la fourniture par France Télécom des informations techniques nécessaires à la mise en œuvre du dégroupage, dans des délais rapides et à un prix reflétant les coûts correspondants ;
- les conditions de la colocalisation, c’est-à-dire de l’utilisation par les nouveaux opérateurs des locaux de France Télécom pour installer leur équipements.
4. La couverture du territoire
L’apparition de l’accès à haut débit fait naître des interrogations légitimes sur la couverture du territoire, à l’heure où pourrait émerger une "fracture numérique" entre ceux qui vont disposer rapidement de ces nouvelles technologies et ceux qui n’y auront pas accès.
Cette dimension est présente dans l’ensemble des décisions que nous avons adoptées pour favoriser le développement des hauts débits. Nous y avons déjà apporté des réponses, par exemple en plaçant la couverture du territoire au cœur des dispositifs de sélections des candidats pour la boucle locale radio et l’UMTS. Ainsi, dans les deux cas, le taux de couverture est l’un des critères les plus importants de la notation des candidats. Pour les opérateurs retenus, il se traduit par des obligations de couverture inscrites dans les licences.
S’agissant de la boucle locale radio, l’ampleur des déploiements et des investissements annoncés par les candidats (18 milliards de francs d’investissements et 6400 emplois annoncés sur la période 2000-2004), souligne que les projets présentés, loin de se limiter aux centres d’affaires des principales agglomérations françaises, concernent une partie importante du territoire métropolitain, et s’adressent none seulement aux entreprises, mais également aux particuliers.
Dans le cas de l’UMTS, les obligations de couverture du territoire sont définies en pourcentage de la population couverte par les services de voix et de données au bout de 2 ans et au bout de 8 ans, selon un dispositif comparable à celui qui avait été adopté pour les opérateurs GSM et qui a bien fonctionné puisque ceux-ci ont largement dépassé les objectifs qui leur avaient été assignés ; les opérateurs UMTS seront également soumis à des obligations en matière de partage des sites pour des raisons liées à l'environnement et à l'efficacité de l’investissement.
Mais l’engagement d’une réflexion plus approfondie sur la question de la couverture du territoire par les hauts débits suppose d’évaluer le coût de la couverture du territoire avant de déterminer des solutions les plus appropriées, qui devront en tout état de cause être compatibles avec le développement de la concurrence.
En effet, l’accès à Internet pour tous à un prix abordable passe d’abord par la mise en œuvre d’une concurrence effective sur la boucle locale ; c’est la concurrence et le développement des technologies qui conduisent à la baisse des prix.
5. Le rôle du régulateur
La mission du régulateur, qui s’exerce dans le cadre de la loi, s’inscrit dans la perspective des objectifs fixés par le Gouvernement pour l’entrée de la France dans la société de l’information.
Sur l’ensemble de ces dossiers, le rôle du régulateur est de promouvoir des conditions de concurrence équitable sur le marché de l’accès à Internet, c’est-à-dire sur le marché de la boucle locale et sur celui, complémentaire, des fournisseurs d’accès à Internet, tout en apportant aux acteurs la nécessaire visibilité. Il est également de permettre l’émergence d’offres d’accès innovantes favorisant la baisse des prix pour le consommateur.
Trois exemples :
- C’est dans cet esprit que nous nous sommes employés à permettre le développement des offres de forfaits d’accès tout compris au début de l’année 1999 ; c’est également ce qui me conduit à définir rapidement les conditions d’introduction d’offres d’interconnexion tarifées à la capacité.
- Sur le marché du haut débit, l’Autorité s’attache depuis trois ans à encourager la diversité des modes d’accès et l’établissement d’une concurrence réelle, conditions d’un développement effectif et rapide. La diversité et la complémentarité de ces solutions permettra la diffusion rapide de ces technologies sur l’ensemble du territoire.
- Sur le marché de l’Internet mobile, le rôle du régulateur est de définir les conditions permettant de préserver le libre choix des clients en leur assurant l’accès le plus large à l’ensemble des services disponibles, quel que soit le mode ou le fournisseur d’accès.
Conclusion
Je tiens en conclusion à saluer la récente publication, par Monsieur Jean-Charles Bourdier du rapport qu’il vient de remettre au Secretaire d’Etat à l’industrie sur les réseaux numériques.
Outre qu’il contient de nombreuses informations très utiles pour apprécier l’état de ce marché et constitue ainsi une synthèse indispensable, il rejoint très largement les préoccupations que je viens d’exprimer devant vous, à travers les propositions qu’il formule, dans le sens d’une concurrence effective, pour le développement des infrastructures à haut débit sur l’ensemble du territoire. J’en citerai simplement quelques unes :
- Définir le droit des télécommunications comme le régime unique de constitution des réseaux de communication, quels qu’ils soient (télécoms, cable, TV…). C’est une proposition que nous avons formulée l’année dernière afin de tirer les conséquences de la convergence des réseaux.
- Limiter les positions dominantes en permettant la liberté d’accès aux infrastructures pour les producteurs et les opérateurs de contenus. Telle est bien aujourd’hui la mission du régulateur.
- Sensibiliser les élus locaux aux enjeux des infrastructures à haut débit et ainsi manifester auprès du grand public les efforts réalisés dans ce domaine. J’ai à de nombreuses reprises souligné le rôle essentiel des collectivités territoriales dans le développement de la société de l’information.
Ainsi, qu’il s’agisse des conditions juridiques ou concurrentielles de développement des réseaux, du rôle des collectivités territoriales ou des préoccupations de couverture du territoire, les conditions d’un développement effectif de l’accès à Internet dans notre pays sont connues et pour une large part appliquées par les pouvoirs publics comme par le régulateur.
Je vous remercie de votre attention.