Prise de parole - Discours

Intervention de Jean-Ludovic Silicani, président de l’ARCEP, prononcée lors des vœux de l’Autorité, le 27 janvier 2014 à la Sorbonne

Monsieur le recteur, Chancelier des universités de Paris, cher François Weil,

Madame la ministre, chère Fleur Pellerin,

Mesdames et Messieurs les parlementaires et élus locaux,

Mesdames et Messieurs les présidents d'autorités administratives indépendantes,

Mesdames et Messieurs les présidents, directeurs généraux et directeurs,

Mesdames et Messieurs,

Chers amis,

Merci, Monsieur le recteur, de nous accueillir, cette année encore, dans le grand salon d'honneur de la Sorbonne, lieu de mémoire et d'intelligence, pour cette manifestation importante dans la vie de l'Autorité.

Au nom du collège et des personnels de l'Autorité, j'adresse à chacun d'entre vous nos vœux les plus sincères de santé, de bonheur et d'accomplissement, personnel et professionnel.

Nous vivons, dans le champ du numérique, une époque qui, au-delà des difficultés et des défis, est aussi porteuse de promesses considérables, pour peu qu'on soit capable de saisir les opportunités qui se présentent. Dans cet environnement plus incertain que par le passé, le régulateur doit éclairer le marché, contribuer à apporter des solutions et encourager les bonnes évolutions. C'est ce que nous avons essayé de faire en 2013 et cela sera notre priorité pour 2014.

Je commencerai, une fois n'est pas coutume, en vous parlant du secteur postal.

***

I. IL FAUT REINVENTER LE SECTEUR POSTAL A L'HEURE DU NUMERIQUE

Le marché postal français compte désormais 33 opérateurs, dont 4 nouveaux. Parmi eux, La Poste dont je salue le nouveau président, cher Philippe Wahl. L'opérateur historique doit trouver une réponse à la baisse structurelle des volumes du courrier, de l'ordre de 4% par an depuis 2008, qui pourrait s'accentuer et n'est pas compensée par la croissance du colis. Pour relever ce défi, La Poste peut notamment s'appuyer sur ce qui fait sa force : son outil industriel qui a été régulièrement modernisé, au prix, il ne faut pas l'oublier, d'une baisse importante des effectifs depuis 10 ans, mais aussi la proximité avec ses utilisateurs sur l'ensemble du territoire, la confiance que lui accordent nos concitoyens, et enfin ses savoir-faire, fruits de l'histoire. L'Autorité a suivi avec un grand intérêt les annonces récentes du groupe. Face à une situation de marché difficile, ces annonces dessinent des perspectives positives pour l'avenir de La Poste, au travers d'un véritable projet d'entreprise comprenant de nouvelles activités conformes à l'esprit de La Poste.

Les pouvoirs publics, et notamment le régulateur, vont accompagner la modernisation du secteur postal. Mais l'ARCEP doit aussi veiller au service universel, ce qui suppose de conserver un équilibre entre les intérêts des utilisateurs et ceux de l'entreprise. Au cours des dernières années, nous avons aiguillonné La Poste afin que l'information des utilisateurs et la qualité du service soient améliorées et nous ne pouvons donc que nous féliciter des progrès notables accomplis, en particulier en ce qui concerne les délais d'acheminement, notamment ceux de la lettre recommandée. Par ailleurs, la publication désormais rapide, prévue par La Poste, comme nous l'avons souhaité, d'une offre abordable pour l'envoi de petits objets est importante pour répondre aux besoins croissants du commerce en ligne. Enfin, le régulateur doit bien sûr veiller à ce que de nouveaux opérateurs postaux puissent naître et se développer, le plus souvent sur des segments de marché spécialisés.

Cette réinvention en cours du secteur postal est une bonne illustration du fait que, plutôt que de bloquer des évolutions inéluctables, même quand elles apparaissent, à court terme, difficiles, il vaut mieux les anticiper et les accompagner, afin que la valeur perdue dans une activité puisse être compensée, et au-delà, par celle créée dans d'autres activités. Il y a, dans la volonté de changement et l'énergie positive constatée en France chez les opérateurs postaux, des enseignements à tirer pour d'autres secteurs, à commencer par les télécoms.

II. J'EN VIENS DONC MAINTENANT AUX GRANDS DEFIS AUXQUELS FONT FACE LES ACTEURS DU NUMERIQUE

Si certains de ces acteurs, qu'ils soient fournisseurs des opérateurs - je pense notamment aux équipementiers - ou qu'ils soient leurs clients - je pense notamment aux services en ligne - ne sont pas directement concernés par la régulation de l'ARCEP, ils peuvent l'être indirectement car tous ces acteurs sont liés au sein d'un même écosystème. Notre rôle, avec le Gouvernement et ses services, est de faire en sorte que chacun des maillons de cette chaîne puisse bénéficier et tirer profit de l'écosystème dans son ensemble.

  • Je commencerai, bien sûr, par les opérateurs dont je salue les principaux responsables ici présents. Je voudrais d'abord saluer l'action positive des opérateurs en 2013.

Avec plus de 7 milliards d'euros d'investissements, hors achat de fréquences, les opérateurs, en 2012, et sans doute en 2013, ont atteint un record historique, depuis le début du siècle, et accru de près de 20% leur part dans l'investissement national (la FBCF) ! Ils ne l'ont pas fait pour faire plaisir au Gouvernement ou au régulateur - je le pense en tout cas - mais parce qu'ils portent un projet industriel et considèrent que ces investissements dans la nouvelle génération d'infrastructures fixes et mobiles sont la source de leurs futurs revenus. Il nous appartient de les soutenir dans cette voie, en veillant à ce que l'investissement reste soutenable et efficace. Je l'ai dit souvent : l'investissement et sa capacité à être financé sont parmi les principaux fils rouges du régulateur.

Le secteur des télécoms fait aussi partie des rares activités qui peuvent compter sur une demande structurellement forte et croissante, qui ne se dément pas, même en période de stagnation économique générale, grâce notamment à des innovations régulières dans les technologies et les services. A la fin 2013, le marché mobile comprenait près de 77 millions de cartes SIM, soit une croissance d'environ 5% en un an, sous l'impulsion tant des opérateurs de réseaux que des MVNO qui jouent un rôle important dans le dynamisme du marché. Cette croissance en volume, parmi les plus fortes des grands pays d'Europe, est tirée à la fois par l'existence d'une large palette d'offres, certaines à bas prix et sans engagement, d'autres plus onéreuses mais enrichies par des services et des applications associés, ce qui donne un vrai choix aux utilisateurs, et aussi par la croissance des services machine-to-machine. On est bien loin de la maturité du marché pronostiquée naguère. Sur le fixe, non seulement le nombre d'abonnés à internet continue d'augmenter - il s'établit à près de 25 millions, soit une croissance d'environ 4% en un an - mais le très haut débit rencontre ses premiers véritables succès commerciaux : sur l'année 2013, le nombre d'abonnements au FttH a crû de plus de 70%, ce qui tire désormais la croissance du marché fixe. C'est sur cette demande que les opérateurs peuvent compter pour générer de nouveaux revenus en améliorant les services existants et en proposant des services innovants, par exemple des services audiovisuels en ultra-HD dès que les contenus seront prêts.

L'année écoulée a aussi été marquée par de nouvelles baisses de prix. Pour les ménages, notamment modestes, c'est une bonne nouvelle, dans cette période difficile, et l'ARCEP, je le dis clairement, n'a pas de remords à avoir facilité cette évolution qui est préférable à la hausse des prix constatée dans d'autres secteurs, pour des services ou des biens nécessaires à la vie quotidienne de nos concitoyens. Dans le secteur des télécoms, le Gouvernement et le Parlement n'ont pas besoin de mettre en place de coûteux et complexes dispositifs d'offres sociales. Mais ce que l'on oublie souvent, c'est que ces prix raisonnables sont importants non seulement pour les particuliers mais aussi pour de nombreuses entreprises de tous les secteurs qui cherchent à restaurer leurs marges et à dégager des moyens d'investir. Un secteur des télécoms efficace est donc un gage de compétitivité pour l'ensemble du tissu économique national. Ainsi il n'y a pas de raison d'opposer consommateur et producteur. En revanche, il incombe à l'ARCEP de fixer, ex ante, des règles du jeu permettant à une concurrence juste et loyale de se développer. Cela pousse à l'efficacité, à l'économie et à la sobriété, et, en définitive, à l'innovation, aiguillon pour investir dans les infrastructures et les services nouveaux.

2013 a donc été marquée par beaucoup de points positifs. Pour autant, l'Autorité a une vision lucide de la situation et nous sommes évidemment conscients des difficultés des opérateurs dont les revenus baissent depuis 2010, comme dans la plupart des autres pays d'Europe. Une publication du ministère de l'économie souligne que " l'industrie des télécommunications vit la fin d'un cycle exceptionnel de croissance [lié notamment] à la saturation du marché de la téléphonie mobile. Les valeurs boursières baissent. Les entreprises annoncent des réductions d'effectifs et cèdent des activités ". Mais précisons - ce " détail " est d'importance - que cet extrait est issu d'un document, non de 2013 mais de 2001. Or le secteur des télécoms allait connaître, au cours des années 2000, une décennie de croissance exceptionnelle. La morale de cette histoire, c'est que rien n'est heureusement écrit d'avance. Redoublons donc d'efforts, pour faire du très haut débit le point de départ de ce nouveau cycle de croissance !

  • Je voudrais également vous parler plus brièvement des autres acteurs de l'écosystème numérique que sont les équipementiers, nombreux ici ce soir.

Le déploiement des nouveaux réseaux fixes et mobiles, à travers le monde, constitue une véritable opportunité pour eux, comme en attestent de nombreuses études. Ce déploiement est aussi porté par un mouvement plus diffus de transformation numérique, à travers le cloud, le big data ou encore la diffusion des objets connectés. Ainsi les entreprises qui produisent en France de la fibre optique (je pense notamment à Acome et Draka) ont vu leurs commandes destinées à la France augmenter de 30% entre 2012 et 2013. Comme l'ARCEP l'indiquait dès 2011, le déploiement des nouveaux réseaux en fibre optique va générer 15 000 à 20 000 emplois supplémentaires, d'ouvriers, de techniciens ou d'ingénieurs, pendant plus de 10 ans, localisés sur notre territoire. Ce processus est engagé. Nos entreprises disposent des savoir-faire nécessaires et elles les exportent, comme je l'ai constaté lors de ma visite en Anjou à l'entreprise Marais spécialisée dans la construction de machines réalisant des tranchées. Sur ce marché mondial des équipements, où la concurrence est rude, tous les acteurs doivent pouvoir jouer à armes égales. La France et l'Europe disposent d'atouts qu'il ne faut pas sous-estimer, à commencer par Alcatel-Lucent qui, je le pense sincèrement, a la volonté et les moyens de rebondir. Pour cela il faut que l'Europe tienne son rang dans la conception et la normalisation des prochaines générations de technologies, notamment mobile. La création d'un partenariat public-privé européen pour la 5G va dans le bon sens.

  • Enfin, je souhaite parler des acteurs du net. Madame la ministre, je vais reprendre vos mots, en disant qu'au-delà de ce qui peut faire la force de nos entreprises, notamment des start-ups, dans ce secteur, au-delà de leur créativité, de notre réservoir d'ingénieurs et d'experts qualifiés, nous devons collectivement valoriser la prise de risque et ne pas stigmatiser l'échec. Nous avons, dans les services internet - le chiffre d'affaires du seul commerce en ligne en France s'est accru, selon la FEVAD, de 14 % en 2013 - comme dans les services informatiques ou dans les télécoms, de formidables entrepreneurs - ils sont nombreux ici ce soir - que nous devons encourager et, lorsque cela est nécessaire, accompagner. A cet égard, disposer d'infrastructures de qualité est essentiel pour leur développement. Et nous pouvons être fiers que Paris, 4ème agglomération mondiale par son PIB, derrière Tokyo, New York et Los Angeles, ex aequo avec Londres, soit d'ores et déjà la première métropole numérique d'Europe, n'en déplaise à nos amis anglais. Et tout doit être fait pour conforter cette place.

III. J'EN VIENS MAINTENANT AUX PERSPECTIVES POUR L'ANNEE 2014 QUI SERA, D'AILLEURS, VOUS LE SAVEZ, LA DERNIERE DE MON MANDAT

Le chantier essentiel du déploiement des réseaux fixes et mobiles à très haut débit est désormais entré dans sa phase d'industrialisation.

  • Sur le fixe, près de 900 000 logements supplémentaires ont été rendus éligibles au FttH en 2013, portant le total à 3 millions. Toutes technologies confondues, ce sont désormais près de 10 millions de logements, soit un tiers du parc, qui sont éligibles à des offres à très haut débit fixe. Grâce à l'action coordonnée du régulateur, du Gouvernement et de ses services, le cadre réglementaire et financier est aujourd'hui précisé et opérationnel. Tous les acteurs - Etat, collectivités territoriales, opérateurs privés - sont pleinement mobilisés. Il faut maintenant donner son régime de croisière à cette phase d'industrialisation des déploiements afin de tenir l'objectif ambitieux fixé par le Président de la République, et qu'il a rappelé il y a quelques jours, d'une couverture complète du territoire en très haut débit d'ici 10 ans. Ceci implique d'atteindre, au plus tard en 2015, un rythme annuel de 2 millions de logements éligibles supplémentaires par an et ensuite de tenir ce rythme pendant une dizaine d'années. Cela paraît désormais possible. La publication, ce jour, par l'ARCEP, d'une recommandation sur le raccordement des petits immeubles des zones très denses et la publication au JO d'hier de la décision de l'ARCEP, homologuée par vous-même, Madame la ministre, réduisant le périmètre des zones très denses, sont venues parachever le cadre réglementaire symétrique de la fibre.

L'ARCEP aura aussi, avant la mi-2014, adopté sa décision asymétrique d'analyse des marchés du haut et du très haut débit fixe. Elle va notamment prendre en compte la perspective à long terme de l'extinction du réseau de cuivre, en sécurisant des prestations nécessaires pour le FttH. Elle améliorera aussi la régulation du marché entreprises en l'adaptant aux évolutions de la concurrence. Ces travaux sur le marché entreprises sont essentiels et se poursuivront activement tout au long de l'année 2014.

  • Sur le mobile, l'ARCEP suit de très près les déploiements des réseaux 3G et 4G. Nous veillons attentivement à ce que tous les opérateurs respectent leurs obligations de couverture. Chronologiquement, la prochaine échéance que nous avons à contrôler est celle de Free Mobile, sur la 3G, en janvier 2015. La même exigence prévaut pour la 4G, même si le risque d'un retard est faible, compte-tenu de la rapidité constatée des déploiements, en raison notamment de l'intense concurrence sur ce marché. Nous serons toutefois vigilants à ce que les efforts réalisés sur la 4G portent aussi, comme le prévoient les licences, sur les territoires moins denses, ceux de la zone de déploiement prioritaire.

Pour garantir le respect des obligations des opérateurs, notamment en matière de déploiement mobile, nous devons pouvoir, comme nous l'avons fait en 2009, mettre en demeure les opérateurs. Pour cela nous devons récupérer notre pouvoir de sanction. Le Parlement a voté fin décembre les dispositions législatives nécessaires. Nous comptons sur vous, Madame la ministre, pour que l'ordonnance prise en application de la loi, puisse entrer en vigueur le plus vite possible.

Dans les mois qui viennent, il faudra également engager l'attribution de fréquences outre-mer et préciser les conditions de mise en œuvre de la décision qui sera prise par le Premier ministre sur le calendrier de réattribution de la bande 700 MHz qui passera de l'audiovisuel aux télécoms.

Nous suivons bien sûr aussi de près tout projet d'accord de mutualisation entre opérateurs sur les réseaux mobiles. Ces accords sont non seulement possibles mais même souhaitables, en dehors des zones très denses, afin de limiter la duplication de l'investissement. Ces projets doivent cependant respecter deux conditions : ne pas remettre en cause la structure concurrentielle du marché mobile et conduire ainsi à une amélioration des services aux utilisateurs. Nous y veillerons bien sûr.

Je voudrais insister maintenant sur la qualité et la couverture des services mobiles, et sur l'information des utilisateurs. Tout comme pour les réseaux fixes, il convient désormais que soient mieux mises en avant les différences qualitatives ou quantitatives des services proposés sur les réseaux mobiles. Le brouhaha de la fin 2013, plus intense encore que celui des autres fins d'année, me semble avoir eu une vertu : il a provoqué une prise de conscience salutaire des opérateurs.

Je rappelle que, dès 2010, juste après l'attribution de la 4ème licence de téléphonie mobile 3G, l'ARCEP a eu la conviction qu'un marché plus animé sur le plan concurrentiel, avec l'apparition d'offres nouvelles sans engagement et plus diversifiées, sur le plan des prix comme des services associés, nécessitait une meilleure transparence et donc une meilleure information, et je dirais même une meilleure éducation du consommateur, afin que ce dernier puisse faire un choix éclairé qui ne porte pas seulement sur le prix mais aussi sur la qualité et la disponibilité du service. Nous avons donc effectué un important travail sur ces questions tout au long de l'année 2010, avec les opérateurs, avec les services de Bercy et avec les associations de consommateurs. Ces travaux ont été, c'est le moins que l'on puisse dire, mal compris et mal perçus, à l'époque, à la fois par les pouvoirs publics et par certains opérateurs. C'est dommage car nous avons ainsi, collectivement, perdu 3 ans. Nous ne pouvons donc que nous réjouir que désormais les opérateurs, comme les pouvoirs publics, appellent une telle action de leurs vœux.

Nous allons ainsi poursuivre nos travaux qui n'ont d'ailleurs jamais cessé, puisque nous avons transmis, dès la fin 2012, des propositions au Parlement et au Gouvernement, précisément sur la couverture et la qualité des services mobiles. Nous allons, par ailleurs, publier, avant la fin du premier semestre 2014, les premières informations sur la qualité des services 4G. Nous réaliserons également, selon le même calendrier, une première vérification de la couverture 4G des opérateurs, suivant un protocole que nous finalisons avec eux. Mais il faut aller plus loin : nous sommes tout à fait prêts, comme vous l'avez proposé, Mme la ministre, ainsi que votre collègue, Benoît Hamon, à définir ensemble de nouvelles actions qui pourront porter, par exemple, sur la comparabilité et la lisibilité des cartes de couverture, très imparfaites actuellement, ou le renforcement des mesures de qualité de service. Une telle démarche est positive non seulement pour les utilisateurs mais tout autant pour les opérateurs, je pense qu'ils l'ont bien compris désormais, car cela leur permettra de mieux valoriser, auprès de leurs clients, l'investissement important qu'ils réalisent dans la couverture et la qualité de leurs réseaux.

Après deux années, 2012 et 2013, dont j'avais indiqué, lors de la conférence de presse de mars 2012, qu'elles seraient agitées et difficiles, comme tout processus de profonde mutation, on peut raisonnablement penser que l'année 2014 sera marquée par la poursuite de la forte croissance en volume de la demande, par le maintien de l'investissement au haut niveau qui a pu être atteint en 2012 et 2013 et par l'arrêt de la baisse du chiffre d'affaires du secteur, grâce à la conjugaison des gains de productivité, qui commencent à être importants, des retours sur les investissements dans les nouveaux réseaux et de la quasi-stabilité des terminaisons d'appel. Le retour de la croissance de l'économie française dans son ensemble, que l'on peut espérer en 2014, y contribuera évidemment.

IV. JE TERMINERAI MON PROPOS EN EBAUCHANT QUELQUES PERSPECTIVES DE PLUS LONG TERME, CONCERNANT NOTAMMENT L'ORGANISATION DU MARCHE DES TELECOMS EN FRANCE ET EN EUROPE

  • On a souvent comparé, ces derniers mois, la situation des marchés américains et européens des télécoms. Si l'on veut le faire honnêtement, il faut d'abord rappeler que les situations de départ ne sont pas du tout les mêmes : les Etats-Unis avaient accumulé un retard important sur la 3G et sur le haut débit fixe, la FCC n'étant, par exemple, jamais parvenue à imposer le dégroupage ! La plupart des opérateurs américains ont donc, en quelque sorte, " sauté " une génération. Cela n'est pas le cas en Europe où d'importants investissements ont été effectués par les opérateurs, tout au long des années 2000. Les fréquences 4G ont, pour la même raison, été attribuées deux ans plus tôt aux Etats-Unis. Mais on constate, en France comme dans d'autres pays d'Europe, que, depuis 2013, les opérateurs déploient très rapidement, et font désormais un effort d'investissement sur le mobile au moins comparable, sinon supérieur, à celui des opérateurs américains. C'est ainsi que, d'ores et déjà, Bouygues Telecom, autorisé par l'ARCEP, début 2013, à utiliser ses fréquences de la bande 1800 pour la 4G, couvre en 4G un pourcentage de la population comparable à celui d'ATT aux Etats-Unis.

Au-delà de ces données factuelles, il faut aussi rappeler que le niveau de concurrence est moins différent entre l'Europe et les Etats-Unis qu'on ne le dit souvent. Ainsi, les 4 principaux opérateurs mobiles européens, Orange, Deutsche Telecom, Telefonica et Vodafone, représentent près des deux tiers du marché européen. Vodafone et Orange ont à eux deux plus de 200 millions d'abonnés mobiles, soit autant qu'ATT et Verizon réunis. Ensuite la situation aux Etats-Unis se caractérise par des prix très élevés que commencent d'ailleurs à remettre en cause des acteurs comme T-Mobile ou Softbank après le rachat de Sprint.

Mais revenons au marché français. Il y a eu, ces derniers mois, de nombreuses rumeurs de rapprochement ou de rachat. Nous ne sommes pas ici pour les commenter. Je rappellerai seulement que nous disposons aujourd'hui de 4 opérateurs de réseaux nationaux et d'un câblo-opérateur. Ils sont tous français, ce qui est unique en Europe. Ils sont tous fixe-mobile, à l'exception de Numericable qui a indiqué publiquement son souhait de se rapprocher d'un autre opérateur. Si tel ou tel projet de concentration devait se dessiner, il serait soumis à l'accord préalable des autorités de concurrence. J'en profite pour saluer Bruno Lasserre, président de l'Autorité de la concurrence. Si une concentration devait toutefois avoir lieu, elle conduirait sans doute à une hausse des prix rapide, comme c'est le cas en Autriche après le passage de 4 à 3 opérateurs : presqu'instantanément en un trimestre, fin 2013, les prix ont augmenté de près de 10 % ! Une concentration s'accompagnerait aussi, comme vous l'avez récemment souligné, Madame la ministre, de suppressions d'emplois. C'est la face cachée du " modèle " américain : en 10 ans, et après de multiples concentrations, 500 000 emplois y ont été détruits dans le secteur ! La mutualisation des réseaux constitue, selon nous, une voie beaucoup plus appropriée que la concentration des opérateurs, pour améliorer l'efficacité d'ensemble du marché.

Le modèle européen a bien sûr ses insuffisances ; on doit assurément aller vers une plus grande intégration du marché européen des télécoms. Pour autant, je ne suis pas certain que le projet de règlement élaboré par la Commission européenne soit la réponse attendue. Soyons plus ambitieux et plus lucides et travaillons à une modernisation de la régulation européenne non seulement des télécoms, mais plus largement du numérique. Je sais, Madame la ministre, que vous avez beaucoup œuvré dans ce sens. Il y a consensus pour dire que le niveau européen est la bonne échelle pour traiter d'un certain nombre de sujets. C'est évidemment le cas pour l'itinérance internationale dont plusieurs opérateurs français et européens viennent d'annoncer la baisse des tarifs ; c'est aussi le bon niveau pour traiter la question de la juste contribution des grands acteurs mondiaux de l'internet au financement des dépenses d'intérêt général des différents pays concernés ; enfin, c'est aussi le bon niveau pour traiter d'un sujet comme la neutralité du net, sur lequel débat actuellement le Parlement européen.

  • Nous avons beaucoup avancé, en France, sur la neutralité d'internet, depuis nos premiers travaux, en 2010. L'ARCEP était alors un peu un éclaireur prêchant dans le désert. Plusieurs parlementaires (Christian Paul, Laure de la Raudière, Patrice Martin-Lalande, Corinne Erhel) y ont réfléchi et ont fait des propositions qui ont fait avancer la compréhension de l'importance du sujet. Je les en remercie. Je souligne, à cette occasion, l'importance et la richesse des échanges entre l'ARCEP et le Parlement, avec lequel plus d'une dizaine de réunions ou d'auditions ont eu lieu en 2013. La phase opérationnelle de nos travaux sur la neutralité est désormais largement engagée. Nous veillons à respecter une voie équilibrée entre la liberté économique des différents acteurs de la chaîne de valeur du numérique, dans un contexte d'explosion des usages et des trafics, et la préservation de la liberté d'accès, pour les utilisateurs, à l'ensemble des services et contenus présents sur internet.

Nous avons déjà pris deux décisions importantes. L'une, début 2012, afin de pouvoir collecter des informations auprès des acteurs économiques du marché de l'interconnexion. Elle a été attaquée devant le Conseil d'Etat mais celui-ci a rejeté la requête de deux grands acteurs américains, Verizon et ATT, en jugeant que l'ARCEP pouvait collecter des informations auprès de ces acteurs, qu'ils soient des opérateurs télécoms ou des acteurs de l'internet, dès lors qu'ils avaient une activité sur le marché français. Nous avons adopté une deuxième décision, début 2013, pour mesurer la qualité du service d'accès à internet : les premiers résultats seront publiés à l'été. Ces résultats contribueront aussi à favoriser la liberté de choix de l'utilisateur, mieux à même d'apprécier la qualité des technologies et des offres. Par ailleurs, vous le savez, et cela a été rappelé à l'occasion d'une table-ronde organisée au Sénat le 16 janvier, réunissant les présidents des autorités impliquées dans le numérique (CNIL, ARCEP, CSA, HADOPI) - je salue leur présidente ou président ici présents, Isabelle Falque-Pierrotin, Marie-Françoise Marais et Olivier Schrameck - l'ARCEP est favorable à la coopération entre les différentes autorités de régulation ; nous l'avions d'ailleurs proposé dans un rapport rendu public et remis au Gouvernement en octobre 2012. Mais coopération ne signifie pas confusion. Au nom même du principe de neutralité, la régulation des réseaux doit rester distincte de celle des contenus acheminés par ces réseaux. Je crois que presque tout le monde l'a désormais compris.

***

Pour conclure, je voudrais souligner que la force des deux secteurs pourtant très différents que sont les postes et les télécoms s'explique, pour une large part, par le fait qu'ils sont animés par des hommes et des femmes de grand talent, experts de domaines souvent complexes, et croyant dans le rôle économique et social de premier plan que jouent ces deux industries de services.

Quant à l'ARCEP, nous continuerons à travailler avec tous les acteurs publics, notamment avec le Gouvernement qui a, en matière de télécoms, d'importantes responsabilités, et donc dans le respect mutuel de nos missions respectives, telles qu'elles résultent notamment du droit communautaire, mais aussi avec les autres acteurs publics, en particulier les collectivités territoriales, et les acteurs économiques. Ceci, de façon ouverte, concertée et coopérative, avec le souci de la stabilité et de la prévisibilité des règles édictées et des actions menées, ce qui est la logique même de la régulation. Le collège et les agents de l'ARCEP sont animés de cette volonté.

Je m'autorise, en votre nom à tous, à remercier les services de l'ARCEP qui ont encore fait, en 2013, il faut bien le dire, des miracles, malgré un contexte budgétaire difficile et des moyens humains très limités : je rappelle que, hors collège, l'ARCEP dispose en effet d'environ 160 agents, alors que l'OFCOM en compte près d'un millier et que le régulateur allemand des réseaux dispose de plus de 2000 agents ! Certes l'un et l'autre ont des périmètres d'action plus importants, mais pas du tout en proportion des effectifs considérables que j'ai cités !

Cela prouve simplement que l'Etat en France peut être efficace : certains le souhaitent mais en doutent ; d'autres le redoutent. Quant à nous, nous en sommes fiers. C'est cette efficacité que nous souhaitons mettre, en 2014, encore plus que par le passé, au service des acteurs économiques, et, au-delà, de tous nos concitoyens.

Je vous remercie et je vous souhaite à nouveau une très bonne année 2014.