Prise de parole - Discours

IDATE - 20 NOVEMBRE 1997 Intervention de Monsieur Jean-Michel Hubert, Président de l'Autorité de régulation des télécommunications

Je ne saurais commencer cette intervention sans saluer la mémoire de François-Henri de Virieu dont la disparition nous afflige tous profondément. J'avais eu l'occasion de le rencontrer en mars dernier lors des 2èmes journées de la Justice à Bordeaux et j'avais pu à cette occasion apprécier ses qualités humaines et son professionnalisme.

Je tiens également à saluer la clairvoyance de l'Idate qui a su, il y a vingt ans, être un précurseur dans la voie de la réflexion sur les télécommunications et le multimédia et ce bien avant qu'on ne parle de l'avènement de la société de l'information. Ce remarquable colloque nous appelle à traiter des conditions dans lesquelles l'Europe et la France vont définitivement franchir le seuil de la totale ouverture des marchés, mais aussi des perspectives technologiques qui conditionnent les objectifs industriels et commerciaux de la décennie.

Il nous invite aussi à analyser les formidables paris économiques qui sont en cours. Chacun en connaît les risques, mais également les enjeux souvent stratégiques, et donc la place déterminante qu'ils prennent dans l'avenir de notre société.

Les travaux de l'Idate permettent aux autorités publiques et aux acteurs du marché de confronter leurs finalités et de rechercher les voies d'un développement harmonieux au service des hommes. Avant même que le concept de société de l'information ne prenne son essor, l'Europe et la France se sont engagées à mettre fin au 1er janvier 1998 aux monopoles des services de téléphonie vocale au public ; les pays membres de l'Union européenne ont ainsi été amenés à transposer ces directives dans les cadres juridiques nationaux. La loi française du 26 juillet 1996 donne sa place définitive au marché et à la concurrence qui s'y exerce ; elle se fonde sur les enjeux technologiques, industriels et économiques, nationaux et internationaux, qui s'attachent au passage d'une situation de monopole à une situation d'ouverture et rendent nécessaire la mise en place d'une régulation.

Cette mission de régulation a été confiée à l'ART. Dans 41 jours, l'ouverture à la concurrence du marché des télécommunications sera complète. Il me paraît dès lors souhaitable de vous dire ce que nous avons fait depuis le début de l'année et ce que nous voulons faire au cours des prochains mois. Je souhaite aussi vous faire part, au vu de l'expérience, courte mais intense, de mes réflexions sur le rôle du régulateur.

I - NOUS AVONS BEAUCOUP FAIT, BEAUCOUP RESTE À FAIRE

Depuis près de onze mois, l'Autorité, c'est-à-dire son collège qui est constitué de cinq membres, a adopté plus de 420 délibérations. Dans cette longue liste, d'importance inégale, je choisirai quelques décisions dont la complexité ou la portée justifient quelque explication. Toutes ces décisions, qui concourrent à la naissance de la concurrence, ont pour objectif de favoriser le développement économique de la France, en respectant les enjeux sociaux qui s'y attachent.

1) L'interconnexion

L'approbation du catalogue d'interconnexion de France Télécom, seul opérateur soumis aujourd'hui à l'obligation de publier une telle offre technique et tarifaire, est intervenue en deux étapes, le 9 avril et le 30 juillet.

La fixation des tarifs d'interconnexion pour 1998 était attendue impatiemment, tant par l'opérateur public que par ses concurrents. Je constate maintenant, avec le recul, que les montants retenus se situent parmi les plus bas des pays de l'Union Européenne. Je constate également que cette décision de l'Autorité a été acceptée par tous, sans doute parce qu'elle a été perçue, implicitement ou explicitement, comme équitable. Je me réjouis à cet égard qu'aient pu être évités des contentieux conflictuels qui, comme le montre l'exemple de nos voisins d'Outre-Rhin, sont néfastes pour tout le monde, y compris pour le cours de bourse de l'opérateur historique.

Ces tarifs d'interconnexion ont été fixés pour l'année 1998. Dès à présent, l'Autorité a décidé d'engager sans retard les travaux nécessaires pour qu'à l'avenir ces tarifs soient évalués en fonction des coûts moyens incrémentaux de long terme. Ces travaux seront conduits, naturellement, avec l'ensemble des opérateurs. Leurs résultats et le moment de leur application sont aujourd'hui encore incertains, mais l'Autorité s'y engage avec détermination, notamment parce qu'elle doit satisfaire aux exigences du décret sur l'interconnexion.

2) Le service universel

L'Autorité, à deux reprises déjà, pour 1997 et pour 1998, a proposé des évaluations des charges du service universel au secrétaire d'Etat à l'Industrie. Celui-ci les a constatées.

Ces évaluations ont donné lieu à divers commentaires ; je souhaite toutefois rappeler que les montants proposés sont étroitement dépendants du contenu du service universel et de la méthode applicable pour son évaluation, qui sont l'un et l'autre précisément définis par la loi et par le décret. Ainsi, certaines des observations formulées, qui méritent attention, s'adressent en réalité aux textes aujourd'hui en vigueur ; c'est le cas du mécanisme de choix des bénéficiaires des tarifs sociaux qui pourrait être simplifié ; c'est également le cas de l'appréciation de l'avantage, indirect mais réel, pour France Télécom d'être chargée du service universel.

Mais au-delà même de son coût qui n'altère en rien sa définition, le service universel, indissociable de la concurrence, donne son équilibre à la loi de réglementation. Il exprime une préoccupation sociale essentielle du législateur, auquel il appartient d'en fixer la portée. Le service universel est partie intégrante de l'aménagement du territoire. A cet égard, l'exemption des mobiles d'une partie de la contribution additionnelle aux charges d'interconnexion aura, à partir de 2001 et malgré les engagements souscrits par les opérateurs, un impact utile, mais limité, sur la couverture du territoire national ; j'ai suggéré au secrétaire d'Etat à l'Industrie de reprendre sur ce point la réflexion.

3) Les réseaux câblés

Au début de l'été, l'Autorité a rendu deux arbitrages sur des différends opposant France Télécom à Paris TV Câble d'une part, à la Compagnie générale de vidéocommunication d'autre part. Ces arbitrages ont fixé les conditions techniques et tarifaires dans lesquelles ces opérateurs fourniront un accès à Internet sur les réseaux du plan câble. Je me réjouis que les décisions prises alors, et qui concernent un marché potentiel de 3 millions de foyers, se soient inscrites, en quelque sorte par anticipation, dans la ligne des propos tenus à Hourtin par le Premier ministre. Mais encore faut-il qu'aucun retard n'en compromette la mise en oeuvre concrète, au détriment des internautes, de leur liberté de choix et de la qualité du service offert. L'Autorité, avec les moyens qui sont les siens, y veillera attentivement.

Un problème, analogue dans son principe, mais d'une autre ampleur quant à son enjeu économique, se posera bientôt pour la fourniture du téléphone sur les réseaux câblés. Ce qui est en cause dans cette affaire, il ne faut pas s'y tromper, c'est le rythme réel du développement d'une vraie concurrence.

Tout ceci me conduit à m'interroger sur le caractère durable, à moyen terme, de la situation héritée du plan câble, au regard de l'imbrication des rôles et des responsabilités entre le propriétaire et l'exploitant. La Commission européenne pourrait prochainement prendre position sur les conditions dans lesquelles doit s'exercer la concurrence, en matière de services de télécommunication, sur les réseaux câblés et le réseau téléphonique commuté. C'est avec une grande attention que je suis les évolutions communautaires en ce domaine.

4) Les licences

Depuis le début de l'année, l'Autorité a instruit et transmis à l'autorité ministérielle huit autorisations de réseaux ouverts au public ; cinq d'entre elles sont aujourd'hui délivrées. Au cours des prochaines semaines, nous serons amenés à nous prononcer sur une dizaine d'autres dossiers et notamment sur celui de France Télécom. Il s'agit le plus souvent de licences demandées par des opérateurs longue distance. Ainsi, grâce notamment au mécanisme de sélection du transporteur, la concurrence pour les appels longue distance existera et se développera réellement en 1998.

Mais il n'en n'ira pas de même, ou du moins pas au même rythme, pour la concurrence sur la boucle locale. Or, seule celle-ci offrira au consommateur une véritable liberté de choix. L'Autorité s'attachera en 1998 à poursuivre, notamment sur les réseaux câblés et les réseaux radioélectriques, la mise en oeuvre des conditions techniques et tarifaires, autorisant cette concurrence.

Il est intéressant de noter, à travers les licences, que l'ouverture du marché ne concerne pas seulement les très grandes entreprises, mais permet à de jeunes sociétés innovantes de prendre place, même au niveau national.

Il est également essentiel de souligner l'impact de ces autorisations sur l'investissement et l'emploi. Sur les cinq prochaines années, le montant global des investissements prévus dans les licences accordées ou à l'instruction, est supérieur à

13 milliards de francs ; le nombre d'emplois créés sera de l'ordre de 7.000.

5) La téléphonie mobile et la radiomessagerie

Le formidable développement de la téléphonie mobile - 8 % de croissance mensuelle -illustre, avec force, les effets bénéfiques pour le consommateur, mais aussi pour l'emploi et l'activité, de l'ouverture d'une vraie concurrence. Une récente étude montre que la progression des ventes sur 1998 devrait se poursuivre, faisant de la France un des marchés à plus forte croissance en Europe ; l'Autorité veillera à ce que les trois opérateurs disposent, dans des conditions équitables et équilibrées, des fréquences dont ils ont besoin.

Dans le domaine de la radiomessagerie, le marché croît également et le bénéfice de cette situation ne saurait être pour l'avenir compromis. Un débat est aujourd'hui ouvert sur les normes utilisées ou utilisables. L'Autorité, qui trouve là un dossier difficile, s'attachera à proposer des solutions qui soient économiquement équitables, qui n'ignorent pas le rôle joué par les pouvoirs publics et les engagements pris par les trois opérateurs au cours des années précédentes, et qui prennent en compte la réalité du marché.

II- PERSPECTIVE INTERNATIONALE

Chacun en conviendra, le processus qui conduira la France à prendre pleinement pied dans la société de l'information doit - plus que jamais - s'analyser et se comprendre dans une perspective internationale.

Le débat qui s'est fait jour sur la migration des services Minitel vers Internet illustre cette dynamique d'ouverture vers le monde extérieur, mais également les défis nouveaux auxquels les acteurs économiques français sont susceptibles d'être confrontés dans cette période de transition.

Il n'est donc guère surprenant que l'action de l'Autorité s'inscrive dans un contexte dont la dimension internationale est de plus en plus marquée.

L'année écoulée a vu se dessiner un véritable consensus, d'abord sur le plan européen. Le processus visant à harmoniser les conditions d'ouverture à la concurrence dans la Communauté est sur le point de marquer la conclusion d'une première phase. L'adoption des principales directives communautaires achèvera en effet l'élaboration d'un édifice juridique complexe, mais nécessaire à l'émergence d'un véritable “marché domestique” de dimension européenne. Certes, la législation communautaire doit encore être complétée par un volet numérotation - auquel la France attache la plus grande importance - et je souhaite qu'une position commune fixant les principales orientations en la matière puisse être définie lors du prochain Conseil des ministres en charge des télécommunications.

La dynamique de convergence constatée à l'échelon européen a pris une dimension nouvelle avec la conclusion - le 15 février dernier - des négociations sur les télécommunications de base, menées sous l'égide de l'Organisation mondiale du commerce. Aux termes de cet accord historique, ce sont non plus quinze, mais soixante-cinq pays qui ont adhéré aux principes qui sous-tendent la législation communautaire. Indépendance des fonctions d'exploitation et de régulation, libre exercice de la concurrence, mise en place d'obligations spécifiques en matière d'interconnexion ou encore accès non-discriminatoire aux ressources rares.

L'accord conclu dans le cadre de l'OMC établit les fondements juridiques d'un consensus international à l'émergence duquel la France aura activement participé. Quatrième marché mondial des services de télécommunications, elle a ainsi répondu aux attentes des entreprises françaises désireuses d'exporter leurs compétences et leur savoir-faire sur de nouveaux marchés.

A la phase de transposition juridique qui s'achève doit maintenant succéder une étape de mise en oeuvre pour laquelle la France - qui a scrupuleusement respecté les obligations contractées, tant dans le cadre de l'Union européenne que dans celui de l'OMC - attend de ses partenaires le même degré d'engagement.

Le 2ème Forum mondial des politiques de télécommunications - organisé en mars prochain à l'initiative de l'UIT - permettra notamment aux pays en développement de prendre pleinement conscience de la portée de l'accord OMC, des bouleversements qu'il est susceptible d'induire sur la scène internationale et des adaptations qui doivent être entreprises. En ce qui concerne les pays industrialisés qui - à l'image des Etats-Unis, du Japon et du Canada - ont souscrit des engagements d'accès au marché applicables dès le premier janvier 1998, ces pays seront soumis dans les semaines qui viennent aux disciplines du GATS. A cet égard, je souhaite que l'adoption prochaine de règles définissant les conditions d'accès au marché américain prenne en compte les observations formulées par l'Union européenne quant aux propositions initialement présentées par la FCC.

En tout état de cause, de par le décloisonnement des marchés que consacre l'accord OMC, les réponses de la communauté internationale à l'ensemble de ces évolutions devront désormais être multilatérales. En voici trois illustrations.

La première a trait aux systèmes satellitaires. Alors que la CMR-97 touche à sa fin, les conditions de coordination et d'allocation des ressources spectrales définies dans ce cadre apparaissent plus que jamais comme une donnée critique au développement de nouvelles applications. Succédant aux premières constellations de satellites à orbite basse - qui proposeront une couverture téléphonique mondiale dès 1998 -, les systèmes de deuxième génération ont l'ambition d'offrir une largeur de bande flexible, reconfigurable et adaptée aux besoins spécifiques de chaque utilisateur. Quel formidable potentiel pour la société de l'information qu'une technologie qui permettrait enfin de travailler, d'apprendre, de communiquer dans les mêmes conditions en tout point du globe. Et quelle satisfaction de voir que les acteurs français - à travers SkyBridge - sont en première ligne pour relever ce nouveau défi pour l'industrie spatiale européenne. Je me félicite à ce titre du compromis qui semble aujourd'hui se dessiner à la CMR, et j'appelle de mes voeux la définition d'un cadre clair permettant aux différents projets présentés de se développer dans des conditions de libre concurrence.

Le deuxième défi appelant une réponse multilatérale coordonnée a trait aux conditions d'acheminement de trafic international. La dynamique d'ouverture à la concurrence et de décloisonnement des marchés bouleverse en effet les logiques traditionnelles de partage des recettes. Une réforme du système dit des “taxes de répartition” fait actuellement l'objet de discussions au sein de l'UIT. Sur le plan européen, l'avènement d'un “marché unique” des services de télécommunications remet profondément en cause ce modèle et devrait à terme lui substituer un dispositif à maints égards identique au régime d'interconnexion. En tant que régulateur, ceci me conduit à une triple interrogation : comment assurer que cette transition s'effectue dans les meilleurs délais ? Comment faire en sorte que le consommateur européen en soit le premier bénéficiaire ? Et comment éviter les distorsions anti-concurrentielles susceptibles d'affecter les échanges de trafic entre la Communauté et les pays tiers ? C'est dans ce contexte que l'Autorité initiera, dans les semaines qui viennent, une consultation publique portant sur les conditions d'acheminement de trafic international.

Enfin, troisième enjeu de portée internationale : Internet et le commerce électronique. La capacité d'Internet à ouvrir de nouvelles possibilités aux citoyens et aux entrepreneurs doit être pleinement exploitée. Cela suppose qu'une coopération internationale renforcée soit mise en oeuvre sur des domaines allant de la cryptologie à la protection des données à caractère personnel, en passant par les droits de propriété intellectuelle et l'attribution des noms de domaines. Dans cette dynamique complexe, qui met en relation des acteurs et des champs de compétences divers, l'Autorité souhaite avant tout contribuer à lever les barrières susceptibles de freiner le développement d'Internet sur le territoire français, en préservant - au bénéfice de la compétitivité de l'ensemble de notre économie - la vitalité du marché extrêmement concurrentiel des prestataires d'accès et des fournisseurs de services.

III - LA REGULATION

Ce rappel des dossiers déjà traités par l'Autorité et de ceux auxquels elle se consacrera au cours des prochains mois me conduit à une réflexion plus large sur la manière dont un régulateur doit exercer son rôle. Cette réflexion, conduite avec tous les membres du collège, se nourrit de l'expérience de l'année écoulée. Elle devra naturellement être approfondie et perfectionnée.

Cette régulation, je la voudrais transparente, économique et acceptée.

1) Une régulation transparente

S'agissant d'un domaine, où personne ne saurait être sûr a priori de détenir la vérité, la transparence s'impose pour l'élaboration des décisions comme pour leur mise en oeuvre.

Plusieurs instances, -Commission consultative des réseaux et services de télécommunications, Commission consultative des radiocommunications, Comité consultatif de la numérotation, Comité de l'interconnexion- ont été instituées. Depuis quelques mois, elles ont joué un rôle important pour éclairer et préparer les décisions de l'Autorité. Je veillerai, car c'est une nécessité, à ce qu'elles aient à l'avenir la place qui leur revient. Plus largement, la procédure des consultations publiques permet d'associer toutes les parties intéressées : c'est ainsi qu'ont été ou seront conduites des consultations sur les câbles sous-marins, la boucle locale à haut débit, l'attribution de licences pour les réseaux de téléphonie mobile par satellite. De même la mise en place des CMILT nécessitera, pour élaborer les outils et les modèles, un travail commun et approfondi avec les opérateurs, sans que le secret des affaires y soit une barrière.

Les choix adoptés par l'Autorité doivent naturellement être commentés, expliqués et justifiés. Vous m'en donnez aujourd'hui une exceptionnelle occasion et je vous en remercie. Mais cela ne suffit pas. En 1998, un vigoureux effort de communication sera engagé : publication du premier rapport annuel, rédaction d'une lettre externe, ouverture d'un site Internet.

Au-delà, l'Autorité entend collecter et publier des chiffres, comme elle le fait déjà avec l'observatoire des mobiles, permettant à chacun de mieux connaître l'évolution des marchés et d'éclairer ses choix d'investissement ou de consommation. Conduite pour permettre aux opérateurs de disposer de points de repère, une telle approche doit en effet reconnaître la place primordiale du consommateur qui fait l'apprentissage d'une nouvelle concurrence. Les effets positifs se font déjà sentir, baisse des prix, diversité des services, notamment dans les mobiles ; au terme d'une enquête récente, il apparaît au demeurant que les consommateurs pour près de la moitié, perçoivent effectivement la réalité des réductions tarifaires et modifient désormais leur comportement en conséquence. De plus en plus présent dans l'analyse préalable aux décisions de l'Autorité, le consommateur doit cependant être mieux informé, face à une offre que la concurrence rend souple et diversifiée, mais inévitablement compliquée ; l'Autorité organise, à cette fin le 15 décembre prochain, une rencontre avec les opérateurs et les associations concernés.

2) Une régulation économique

Bien évidemment, l'Autorité veille scrupuleusement à ce que ses décisions, qui peuvent toujours être soumises à un contrôle juridictionnel, respectent les normes législatives et règlementaires. S'agissant souvent de textes nouveaux, que n'éclaire encore aucune jurisprudence, la tâche est parfois difficile. Je ne souhaite pas que se développe en France, comme c'est le cas dans d'autres pays étrangers, une guérilla juridique qui paralyserait le développement effectif de la concurrence.

A dire vrai, les décisions de l'Autorité sont inspirées principalement par des considérations économiques. Il ne servirait à rien qu'ait été ouverte, en droit, la concurrence si celle-ci, en pratique, restait lettre morte.

Ainsi la fixation des tarifs d'interconnexion, les avis rendus sur les propositions tarifaires de France Télécom, l'évaluation des charges du service universel, reposent d'abord sur des analyses comptables et financières. L'Autorité s'efforce également d'apprécier aussi exactement que possible les conséquences économiques de ses décisions en matière de fréquences, de numérotations, de normes ou d'agréments.

Pour autant, il n'appartient pas à l'Autorité de valider les choix ou les stratégies des opérateurs, d'évaluer les risques à leur place, de leur garantir le succès. Bref, l'Autorité n'a pas vocation à organiser le marché : la loi ne le lui permet pas et, le voudrait-elle, à coup sûr elle se tromperait.

3) Une régulation acceptée

L'Autorité de régulation des télécommunications fait partie intégrante de l'Etat. A ce titre, elle a pour mission, au même degré que les autorités gouvernementales, de défendre l'intérêt général. Pourtant, l'existence dans le paysage institutionnel français d'autorités administratives indépendantes est parfois ressentie comme dérangeante. Mais il s'agit là, comme l'a sagement voulu le législateur, d'un élément de stabilité, lui-même propice à l'investissement, à la croissance économique et à l'emploi. Plus concrètement, je suis convaincu que le succès auprès des marchés financiers américains ou européens de l'ouverture du capital de France Télécom, est dû pour une part à l'existence de l'Autorité et aux décisions qu'elle a prises depuis sa création.

La convergence de l'informatique, des télécommunications et de l'audiovisuel est à coup sûr une tendance lourde dont nous commençons seulement à percevoir les effets. Faudra-t-il en tirer des conclusions sur l'organisation des régulations ? Je note que les pays étrangers nous offrent des exemples divers d'organisation et que n'existe aujourd'hui aucun problème concret de partage des compétences entre l'ART et le CSA qui ne soit aisément résolu par une collaboration dont nous avons d'ores et déjà jeté les bases.

Dans le même esprit, je salue le travail réalisé au niveau de la communauté européenne sous l'impulsion des commissaires, par les directions compétentes. Des régulateurs s'installent progressivement aujourd'hui dans la plupart des pays et s'engagent dans l'application concrète des directives européennes. Il convient à mon sens de les laisser répondre, le temps nécessaire, à la mission qui leur est confiée. Leur action constitue une forme démultipliée, mais convergente, dans la mise en oeuvre des directives. La visibilité, que le marché attend d'eux, leur est également nécessaire.

C'est dans ce même esprit que s'analyse la question soulevée au cours des derniers mois, quant aux rôles respectifs du ministre chargé des télécommunications et de l'Autorité, chargés par le législateur de veiller à la mise en oeuvre des objectifs que celui-ci a déterminés.

Toute situation est naturellement perfectible dans le sens de la simplification et de la clarification. En tout état de cause, le partage actuel des compétences, tel qu'il a été institué, a permis l'élaboration en temps voulu de décisions nécessaires,

CONCLUSION

Au moment de conclure, au vu de tout ce que nous avons fait depuis onze mois et surtout de tout ce qui nous reste à faire, je suis profondément convaincu, face à d'inévitables incertitudes, que seule une démarche pragmatique, fondée sur l'échange et la discussion, ouverte à l'adaption et à la révision, peut répondre à l'ampleur des enjeux. Et, comme l'écrivait Jean Monnet, je sais aussi, en y trouvant un motif de confiance, que "les institutions, une fois créées, ont leur force propre qui dépassent celles des hommes".