Prise de parole - Interview

Hausse de l'abonnement, dégroupage total, revente en gros de l'abonnement, concurrence... Paul Champsaur, président de l'ART, répond aux questions des Echos


Comment justifiez vous votre avis favorable donné à la hausse de l'abonnement ?

Notre analyse et notre discours ont été constants sur ce sujet. Déjà, à l'été 2003, nous étions favorables à une hausse pour rattraper l'inflation, en nous fondant sur une comparaison avec nos voisins européens. Ces comparaisons sont un critère pertinent. La moyenne est de 12,8 euros HT en pondérant les pays en fonction du parc de lignes ou de la population. Et d'ici mi-2007 cette moyenne augmentera sans doute, et devrait être cohérente avec le tarif alors en vigueur en France (13,4 euros). Du fait de sa taille et de sa densité plus faible, le coût de couverture de la France par une boucle locale fixe peut être plus élevé que dans les autres grands pays de l'Union . De plus, grâce aux investissements importants faits dans les années 70-80, la boucle locale est de très bonne qualité. En particulier, les abonnés sont proches des répartiteurs et les lignes sont de bonne qualité, ce qui est un avantage pour l'ADSL. C'est donc un actif précieux pour le pays et aussi pour les concurrents.

Rémunérer correctement France Télécom pour cette boucle locale est donc de l'intérêt de tous. D'autant que cette boucle locale ne sera jamais ni reconstruite ni dupliquée : elle avait été évaluée à neuf à près de 30 milliards d'euros, dont 80% en génie civil. Donc France Télécom restera durablement en quasi-monopole.

Surtout, l'économie des réseaux fixes vit une révolution, avec la disparition du modèle économique de la téléphonie fondé sur la durée et la distance des appels. La valeur des réseaux se concentre dans le réseau d'accès, c'est-à-dire la boucle locale. Le consommateur doit donc s'attendre à des changements profonds. Le prix des communications va peser de moins en moins face à l'abonnement, suite à la montée en puissance de la voix sur protocole Internet. Demain, les opérateurs vendront des forfaits comprenant un accès au téléphone et des communications sans doute illimitées.

Quel est le bilan des nouveaux tarifs pour le consommateur ?

Rappelons d'abord que les Français se répartissent entre ceux qui ont présélectionné un concurrent (20%), ceux qui ont souscrit à des options tarifaires de France Télécom (40%) et ceux qui sont restés au tarif de base (40%). Nous avons approuvé une baisse et une simplification des tarifs de base. Si l'on tient compte de la baisse des appels fixe vers mobiles, le consommateur n'y perd pas. Mais c'est une moyenne : ceux qui téléphonent beaucoup vont y gagner, et ceux qui téléphonent peu vont y perdre.

C'est la première fois depuis 2000 que les clients au tarif de base, probablement ceux qui ne font pas jouer la concurrence, bénéficieront d'une baisse des tarifs des communications. C'est bien là l'esprit du contrôle des tarifs du service universel, qui vient d'être transféré à l'ART, et qui doit garantir des prix abordables. Rappelons aussi que nous ne fixons pas les tarifs de France Télécom. Nous ne sommes plus en économie administrée. Nous n'avons qu'un pouvoir d'opposition motivé. S'opposer, c'était donc renoncer à une baisse pour beaucoup de consommateurs.

Et quel est le bilan pour France Télécom ?

Le bilan est plus favorable que celui pour le consommateur. Car France Télécom ne finance pas la baisse des appels fixe vers mobile, qui aurait eu lieu en tout état de cause. Sur la baisse annuelle " inflation - 7%", nous pensons que 4% viennent du fixe vers mobile, et donc des opérateurs mobiles, et 3% des appels nationaux.

Pourquoi accorder une hausse de l'abonnement maintenant, et renvoyer les contreparties en faveur des concurrents à plus tard ?

Les contreparties seront effectives dès cette année et conditionnent les hausses de 2006 et 2007. Les offres ADSL de gros vont s'améliorer. La vente en gros de l'abonnement va être mise en place. Concernant le dégroupage, il y aura une amélioration des conditions opérationnelles, et, au 1er juin, une baisse du dégroupage total et des prestations annexes. France Télécom a montré qu'il pouvait fournir à grande échelle le dégroupage partiel, nul doute qu'il saura en faire autant avec le dégroupage total. L'écart entre le dégroupage et l'abonnement représente l'espace économique dont disposent les concurrents pour développer le dégroupage total. D'ici mi-2007, cet écart atteindra 4 euros, ce qui permettra de réunir les conditions économiques d'une concurrence pérenne.

Les opérateurs alternatifs réclament un tarif de 7 euros pour le dégroupage total?

Ce tarif est proche voire inférieur aux coûts comptables historiques de France Télécom ; il est donc probablement trop bas. Soulignons que le tarif retenu de 9,5 euros est un plafond. Autrement dit, il n'y aura pas de hausse à l'horizon de trois ans. Ce tarif correspond à une préfiguration prudente des évolutions prévisibles dans plusieurs pays de l'Union. L'ART conserve la plénitude de ses pouvoirs, et notamment celui de mettre au point une méthode pour fixer les tarifs du dégroupage. C'est pourquoi, avec la Commission européenne, les régulateurs de plusieurs pays réfléchissent à une nouvelle méthode de calcul du coût de la boucle locale.

Qu'apportera la revente en gros de l'abonnement ?

Pour un opérateur alternatif, l'intérêt est d'abord commercial. Cela lui permettra d'être le seul interlocuteur du client et de proposer des forfaits combinant abonnement et communications, comme dans le téléphone mobile. Pour arriver à ce résultat simple, les processus techniques sont complexes. Il faut aussi savoir quel opérateur fournira les services " intelligents " : messagerie, transfert d'appel, etc. Nous espérons qu'un accord sur ces aspects techniques et opérationnels sera trouvé au printemps. Ensuite, il faudra traiter la question du tarif, qui sera presque plus simple. France Télécom s'est engagé à proposer une offre de gros d'ici le 15 septembre 2005.

Quelle appréciation portez vous sur la procédure qui a été suivie ?

L'examen de ces nouveaux tarifs a été traité à chaud, nous aurions préféré le faire à froid. Nous aurions aussi souhaité que l'ensemble du nouveau cadre, qui confie à l'ART notamment le contrôle des tarifs du service universel, fût déjà en place. Dès lors, dans l'appel à candidatures pour le service universel, la partie tarifaire aurait été renvoyée à un examen ultérieur par l'ART. Toutefois, nous avons abouti, avec cette procédure complexe et accélérée, à un résultat proche de celui que nous aurions probablement atteint avec une procédure normale.

Quel regard portez vous sur la situation de la concurrence en France ?

Le marché est très concurrentiel dans le haut débit ou pour les services aux entreprises, où la guerre des prix fait rage. Les opérateurs savent que les positions sont à prendre maintenant dans des marchés qui explosent, une situation au demeurant classique. Des regroupements paraissent donc inéluctables. Dans ce contexte difficile, les concurrents sont donc très exigeants avec le régulateur, mais nous nous devons de conserver une vision de long terme et d'oeuvrer sans relâche pour le développement d'une concurrence durable au bénéfice du consommateur.

Propos recueillis par Philippe Escande, Jamal Henni et Frédéric Schaeffer