Prise de parole - Discours

" Etat des lieux du très haut débit en France " : discours d'introduction de Jean-Ludovic Silicani, président de l'ARCEP, aux Assises du Très Haut débit, le 9 juin 2011

Seul le prononcé fait foi

Madame la députée,
Mesdames et Messieurs les élus locaux,
Mesdames, Messieurs,
Chers amis,

Nous sommes au seuil d'une nouvelle phase de l'histoire des réseaux de télécommunications. Les questions qui se posent à l'occasion du passage du cuivre à la fibre et de celui du haut au très haut débit mobile sont comparables à celles qui ont accompagné le déploiement de chacune des grandes infrastructures de réseau dans notre pays. Ces interrogations sont légitimes ; toutefois elles ne doivent artificiellement nourrir ni un attentisme préjudiciable, ni une inquiétude disproportionnée sur la capacité de notre pays à relever ces défis.

Laissez-moi vous dire les conditions qui me semblent nécessaires à un déploiement rapide et efficace de ces nouveaux réseaux : il nous faut des règles claires, des financements pérennes et des opérateurs prêts à investir et innover pour se développer.

1°/ Déterminer des règles claires pour garantir la pérennité des investissements

Je souhaitais tout d'abord rappeler les objectifs que le législateur a entendu fixer pour le déploiement du très haut débit fixe. Pour les réseaux de fibre optique jusqu'à l'abonné, il s'agit de permettre la concurrence par les infrastructures, là où elle est possible, et de mutualiser les investissements, là où la duplication des réseaux ne serait pas raisonnable. A cette fin, l'ARCEP a fixé un cadre réglementaire identique pour la quasi-totalité du territoire (95% de la surface) où le réseau sera mutualisé à plus de 90%. Sur les 5% restants du territoire (les zones très denses : soit 150 communes), en application de la loi LME de 2008, la mutualisation sera beaucoup plus limitée et pourra se situer à l'intérieur de la propriété privée, c'est-à-dire à l'intérieur des immeubles. D'où les deux décisions de 2009 et 2010.

Je voudrais donc profiter de cette rencontre pour tordre le cou, une fois pour toutes je l'espère, à un discours, grossièrement erroné, répété, volontairement ou pas, selon lequel les pouvoirs publics, et notamment le régulateur, n'auraient pas privilégié la mutualisation des réseaux. Franchement, au-dessus du niveau déjà retenu de 90% de mutualisation, je ne vois rien d'autre que la reconstitution d'un monopole. Et de cela, il n'en est bien sûr pas question.

En complément de cette régulation symétrique désormais édictée, l'ARCEP s'apprête également à adopter sa décision d'analyse des marchés de gros du haut et du très haut débit. Elle permettra de préciser les obligations spécifiques incombant à France Télécom et d'étendre l'accès à son génie civil, condition de la réalisation des déploiements horizontaux par les opérateurs alternatifs. L'Autorité veillera également à adapter cette régulation à l'évolution du marché, en prévoyant notamment un rendez-vous dans 18 mois pour apprécier l'utilité d'une extension de la régulation asymétrique pesant sur France Télécom.

Je souhaitais également vous dire un mot du très haut débit mobile : les conditions et le calendrier d'attribution des licences qui seront utilisées pour le déploiement des réseaux de quatrième génération viennent d'être fixés. Les décisions proposées par l'ARCEP et retenues par le Gouvernement permettront une bonne valorisation du domaine public de l'Etat et le maintien de conditions concurrentielles satisfaisantes. Mais elles prévoient surtout, comme l'a souhaité le législateur, de faire de la couverture du territoire à la fois, un critère de qualification et de sélection des opérateurs qui se porteront candidats aux fréquences de la bande du dividende numérique. Ces engagements permettront de faire de la 4G l'instrument d'un accès au très haut débit sans fil sur l'ensemble du territoire, éventuellement selon des modalités proches des accès fixes, via des clefs 4G ou des " boxes " adaptées.

Ainsi, dans le fixe comme dans le mobile, les opérateurs disposent désormais de règles du jeu claires, offrant le degré de prévisibilité nécessaire pour engager les investissements nécessaires au renouvellement et au déploiement de leurs réseaux.

2°/ Objectif : fournir les financements et les incitations à l'investissement adéquats

Les déploiements de réseaux de fibre optique se poursuivent dans la plupart des grandes agglomérations : au 31 mars, près de 1 150 000 logements étaient éligibles aux offres FttH, soit une hausse de 36% sur un an. Par ailleurs, le nombre de logements éligibles dans le cadre d'une offre de mutualisation a été multiplié par cinq en un an. Elles ne concernent certes que 250 000 logements. Mais la question du traitement du stock devrait être traitée fin 2011 ou début 2012. Toutes technologies confondues, ce sont désormais plus de 5 millions de logements (soit 20%) qui ont accès au très haut débit fixe, soit un des niveaux les plus élevés d'Europe. Ces déploiements sont, pour l'instant, réalisés - et cela constitue une spécificité du marché français - autant par l'opérateur historique que par les opérateurs alternatifs, qui ont aujourd'hui déployé près de 3 300 kms de fibres dans le réseau de génie civil de France Télécom, soit une multiplication par 2 ½ en un an.

Il y a donc, et c'est une spécificité française, une véritable concurrence.

Dans les zones moins denses, les opérateurs ont annoncé leurs intentions dans le cadre de l'appel à manifestation d'intentions d'investissement lancé par le Gouvernement en vue de l'affectation des fonds du grand emprunt. Ces engagements permettront de couvrir, d'ici à 2020, plus de 50% de la population et l'Etat offrira les soutiens financiers nécessaires.

Sans avoir la prétention d'être " Madame Soleil ", j'ai de bonnes raisons de penser que France Télécom et les opérateurs alternatifs devraient définir, dans les toute prochaines semaines, le niveau (en nombre de communes, de logements et sur le plan financier) de leur coinvestissement, d'ici à 2015, dans les zones moins denses.

Enfin, s'agissant des territoires où les opérateurs ne parviennent pas à trouver un équilibre économique satisfaisant, les collectivités locales concernées pourront compter, d'une part, sur le soutien de l'Etat, via le grand emprunt, d'autre part, dans l'attente de l'arrivée de la fibre optique, sur la montée en débit qui fera l'objet d'une offre obligatoire de France Télécom et dont les tarifs seront régulés par l'ARCEP. Cette offre sera disponible dès cette année. Elle sera accompagnée de recommandations de l'ARCEP destinées aux élus locaux précisant les modalités pratiques de mise en œuvre.

Tout est ainsi fait pour que les solutions techniques - FttH et montée en débit - mais également économiques - investissement, coinvestissement, ou partenariat public-privé - permettent de trouver une réponse pour chaque situation locale et que les opérateurs privés ou publics soient en mesure d'investir dans les meilleures conditions, sans que ces investissements ne constituent un obstacle insurmontable.

3°/ Objectif : lever les freins qui retardent les déploiements

L'Etat a ainsi beaucoup œuvré pour limiter, dans l'intérêt des acteurs économiques, l'incertitude inhérente à un marché naissant et pour permettre d'investir dans de bonnes conditions. Le temps est maintenant venu pour les opérateurs d'investir et pour les consommateurs de s'abonner.

Je voudrais, à cet égard, faire trois observations :

1. En premier lieu, la pérennité du secteur des communications électroniques passe par l'investissement et l'innovation. Cela s'est vérifié depuis le début de l'ouverture à la concurrence voici 15 ans et se vérifiera encore. Si les investissements dans les réseaux à très haut débit, fixe et mobile, représentent un effort important de la part des opérateurs, ils ne constituent pas, comme cela a parfois été dit, et corrigé depuis d'ailleurs, un " mur d'investissement ". L'ARCEP a ainsi évalué, dès la fin 2010, que la couverture de l'ensemble du territoire en réseaux FttH représentera environ 25 milliards d'euros sur 15 ans. Nous complétons actuellement notre modèle du coût des déploiements, qui sera mis en consultation dans quelques jours. Celui-ci, outre qu'il confirme cette évaluation initiale, tout en la revoyant légèrement à la baisse, permettra d'avoir une vision plus nette des conditions économiques de déploiement sur la totalité du territoire et pour chaque type de zone. Ce sera donc un modèle à visée opérationnelle. Sur ce total, les opérateurs, compte-tenu des prêts financés par le grand emprunt, devraient avoir à investir au maximum 15 milliards d'euros en 15 ans. Les financements publics (locaux, nationaux ou européens) seront donc d'environ 10 milliards d'euros en 15 ans. A titre de comparaison, je rappelle qu'en 15 ans, les collectivités publiques consacreront, au rythme actuel, 75 milliards d'euros aux réseaux routiers.
Dans ce contexte, il semble souhaitable et possible qu'après le grand emprunt, l'Etat continue à soutenir financièrement les réseaux d'avenir, à hauteur d'au moins 200 millions d'euros par an, notamment pour faciliter la réalisation des projets des collectivités locales les moins riches, soit 3 milliards d'euros sur 15 ans, en plus du milliard de subventions financées par le grand emprunt, soit 4 milliards d'euros au total (sur les 10 milliards d'euros de financements publics nécessaires).

2. La fibre doit devenir une réalité pour les consommateurs. On a beaucoup parlé de l'absence d'application ou d'usage émergent qui catalyserait la demande sur un marché où des offres ADSL de très bonne qualité s'avèrent, pour l'instant, suffisantes : nous pensons au contraire à l'ARCEP que certaines de ces applications, plus exigeantes en termes de débit et de qualité de service, existent déjà : par exemple, la télévision 3D ou le " cloud computing ", dont les récentes annonces d'Apple confirment l'ampleur. Les opérateurs peuvent compter sur une réelle appétence de la population et des entreprises pour le numérique, notamment dans les zones moins denses où l'ADSL est moins performant que dans les zones urbaines très denses. C'est pourquoi, pour accélérer les raccordements des immeubles et les abonnements, l'Autorité a très récemment mis à jour le guide pratique et la convention type à destination des bailleurs, syndics, et copropriétaires. Le site de l'ARCEP a déjà été consulté plus de 50 000 fois à ce sujet depuis une quinzaine de jours.

3. Il ne faut pas attendre, pour la réussite du déploiement des réseaux de fibre optique, de solution miracle : par exemple celle de la séparation fonctionnelle de France Télécom. En tout cas, sa mise en œuvre n'est juridiquement possible qu'en dernier recours dans le cas où tous les autres modes de régulation auraient échoué. Nous n'en sommes évidemment pas là, puisque la nouvelle régulation n'a même pas encore trouvé à s'appliquer. Il faut, en revanche, user pleinement de l'ensemble des instruments que les pouvoirs publics, notamment l'ARCEP, ont mis à la disposition du marché, afin de trouver le juste équilibre entre concurrence par les infrastructures et partage des coûts, entre financements privés et publics. C'est à cette seule condition que le déploiement des réseaux à très haut débit apportera à la population l'ensemble des bénéfices attendus.

Nous nous trouvons aujourd'hui en France - mais cela est vrai ailleurs en Europe - à la croisée des chemins. Des décisions qui seront prises par tous les acteurs, publics et privés, pour le renouvellement des réseaux fixes et mobiles, dépend le maintien du dynamisme du secteur que la capacité de notre pays à bénéficier pleinement de la révolution numérique. Je voulais vous dire aujourd'hui que nous sommes à l'ARCEP confiant en l'avenir.

Je vous remercie.