Seul le discours prononcé fait foi
« Mesdames, Messieurs,
« La donnée comme bien commun » est le titre de votre conférence aujourd’hui et cela raisonne tout particulièrement aux oreilles de l’Arcep qui a comme signature depuis très longtemps « Les réseaux comme bien commun ».
Les réseaux comme bien commun, c’est une garantie pour les échanges entre utilisateurs, partout et pour tous, grâce à un cadre de régulation adapté.
C’est la même ambition que nous devons avoir dans le domaine des données.
Aujourd’hui, si je caricature un peu, le monde se partage entre « les détenteurs de données » et « les utilisateurs de données ».
Parfois, malheureusement, ce sont les mêmes entreprises qui jouent les deux rôles : les GAFAM. Par la puissance de leur collecte de données et leur croisement, ces acteurs ont la capacité de développer toujours plus de nouveaux services, accroissant leur puissance de marché dans de nombreux secteurs. On y assiste une fois de plus avec le développement de l’intelligence artificielle.
A l’opposé, il y a des entreprises détentrices de données qui les conservent, ne les partagent pas, mais qui n’ont pas - non plus - accès, à des sources de données complémentaires pour développer de nouveaux services. Cela leur permettrait pourtant d’accroitre la valeur proposée à leurs clients ou de se développer sur de nouveaux marchés.
Développer le partage des données, créer un marché unique des données, pour favoriser l’innovation et le développement économique tout en garantissant la protection des droits des citoyens et la sécurité des données, c’est toute l’ambition de la commission européenne dans sa stratégie pour la donnée. Pour atteindre cet objectif, il faut créer les conditions de la confiance entre les acteurs pour faciliter le partage des données.
C’est le but du statut d’Intermédiaires de données créé par Data Governance Act – C’est d’ailleurs le sens de l’évènement d’aujourd’hui de montrer les bénéfices qu’apportent les intermédiaires de données dans le maquis du marché ou des marchés de la donnée.
L’Arcep a été désignée en 2024 comme l’autorité de régulation de ces acteurs.
Aujourd’hui, en France 9 prestataires de services d’intermédiation de données se sont notifiés auprès de l’Autorité. Nous en avons labellisé deux d’entre eux, à leur demande, et après instructions de leur dossier : il s’agit de MiTrust et de Hub One DataTrust.
Plus du tiers des intermédiaires de données dans l’Union européenne sont français.
C’est une dynamique inédite : nous avions à cœur d’être prêt à recevoir les notifications dès l’entrée en vigueur de la loi. Cela a permis aux premiers acteurs de se notifier en France dans les jours suivants l’adoption de la loi transposant le Data Governance Act.
Le processus de labellisation nécessite un examen plus poussé de la part de l’Arcep et de nombreux échanges avec les acteurs, notamment sur la sécurisation des données, leurs conditions d’utilisation ou encore les pratiques tarifaires. Cette labellisation est valable dans toute l’Europe, son objectif est d’apporter de la confiance dans l’activité d’intermédiation.
Nous travaillons main dans la main avec la Cnil, mobilisée dès lors que des questions relatives à la protection des données personnelles sont susceptibles de se poser. J’en profite pour remercier la Cnil pour la qualité de cette relation.
Que signifie tout ceci ? Que les fondations pour renforcer la confiance dans l’économie de la donnée sont en place, et que les écosystèmes de partage des données sont encore en cours d'émergence. Mais le potentiel des données européennes reste inexploité, car leur disponibilité pour l'utilisation et la réutilisation est encore assez faible.
Le cadre défini par la précédente stratégie européenne pour les données constitue une base solide, le Data Act, entrée en vigueur il y a trois semaines constitue une étape clef supplémentaire. Sa mise en œuvre efficace peut libérer d'énormes quantités de données, et le Data Governance Act peut garantir cet environnement fiable pour le partage des données, à même de renforcer ainsi la position de l'Europe dans ce domaine.
Il nous faut donc amplifier la dynamique du partage de données.
Comment ?
Suite aux échanges avec différents acteurs et avec notre expérience de régulateur technico-économiques, nous proposons des ajustements mineurs au cadre actuel, pour garantir la viabilité économique des fournisseurs de services d'intermédiation de données.
J’insiste d’abord sur le fait que ces ajustements ne peuvent être que mineurs. En effet, il est important de préserver la stabilité du cadre pour lui permettre de porter ses fruits. C’est ce qu’attendent les entreprises déjà régulées et leurs utilisateurs.
Quels ajustements envisager dans ce contexte ? Voici les plus importantes ; je sais que certaines d’entre elles font écho à vos réflexions :
- D’abord, mettre en place des laboratoires de données pour l'IA : pour répondre aux besoins spécifiques de certains développeurs d’IA, une gouvernance des données fiable et interopérable, par exemple au sein d’espaces de données interconnectés, pourrait être envisagée, grâce à des intermédiaires de données interopérables ;
- Encourager le développement d'interfaces afin de faciliter l'accès des Intermédiaires de données et des autres parties prenantes aux données ;
- Étendre les droits de portabilité des services cloud existants aux logiciels sur site afin de libérer davantage de données ;
- Aider les entreprises à évaluer la valeur de leurs données afin d'encourager plus avant leur partage ;
- Garantir la contestabilité sur le marché de l'IA grâce à un accès équitable, raisonnable et non-discriminatoire, aux données d'utilisation des grands acteurs, les BigTech.
Enfin, puisque nous partageons l’objectif de simplification générale de la réglementation qui s’impose aux entreprises, nous considérons que la consolidation et la rationalisation de la réglementation pourraient en améliorer la clarté. Voici donc quelques pistes dans ce cadre :
- Le régime de régulation des Intermédiaires de Données doit rester obligatoire, tout en donnant plus de visibilité aux acteurs labellisés ;
- Le Data Governance Act, le Data Act, et le Règlement sur la libre circulation des données non-personnelles, parfois oublié, pourraient être consolidés ;
- Pour réduire la charge administrative des entreprises, certaines obligations auxquelles les intermédiaires sont soumis pourraient être alignées plus habilement avec d’autres dispositifs réglementaires, par exemple en matière de cybersécurité ;
- Pour soutenir startups et PME qui souhaitent développer des services d’intermédiation de données, il faut permettre, grâce à des bacs à sable réglementaires, aux entreprises de tester plus largement des solutions nouvelles et d’effectuer des tests de marché en matière de partage de données.
Voici donc la teneur des propositions que nous avons formulées à la Commission européenne. Nous allons continuer à travailler avec vous, avec le Comité européen pour l’innovation en matière de données, pour que ce cadre porte effectivement ses fruits.
Mesdames, messieurs,
le cadre de régulation des intermédiaires de données est encore tout récent, avec un écosystème d’acteurs très dynamiques, mais parfois encore fragiles ; je tiens à vous exprimer tout l’engagement de l’Arcep, pour accompagner le développement de vos activités, au service de l’innovation et du développement économique.
Je vous remercie. »
Laure de La Raudière, présidente de l'Arcep