Prise de parole - Discours

Discours d'introduction de Jean-Ludovic Silicani, président de l'ARCEP, lors de la réunion plénière du Groupe d'échange entre l'ARCEP, les collectivités territoriales et les opérateurs (GRACO) sur le thème : vers le très haut débit fixe et mobile, le 28 septembre 2010.


Mesdames et Messieurs les parlementaires et les élus locaux,
Mesdames et Messieurs,
Chers amis,

Depuis notre dernière réunion, il y a un an, le paysage a beaucoup changé. En effet, l'année 2009 a été une année de transition, pour notre instance (le CRIP devenu le GRACO), mais surtout pour les dossiers prioritaires de l'ARCEP qui touchent de près les collectivités territoriales.

Les perspectives sont désormais plus claires. S'agissant du très haut débit fixe et mobile, qui est le thème général de cette journée, le paysage réglementaire se dessine avec de plus en plus de précision. D'une part, le cadre du déploiement de la fibre optique jusqu'à l'abonné (FttH), en passe d'être adopté pour l'ensemble du territoire ainsi que la mise en œuvre du programme national très haut débit du Gouvernement permettront d'initier une couverture progressive mais homogène du territoire. D'autre part, les fréquences pour le très haut débit mobile devraient être attribuées d'ici l'été prochain. Enfin, le cadre opérationnel de la montée en débit sur cuivre devrait être défini pour la fin de l'année.

Toutes ces questions, que je vais détailler, seront je n'en doute pas, abordées par les intervenants des deux tables rondes.

Je voudrais, d'une façon générale, saluer l'importance et l'utilité des travaux et des échanges entre l'ARCEP, les collectivités territoriales et leurs associations, que ce soit dans le cadre du GRACO ou hors de ce cadre. Ces travaux et échanges ont été fructueux et ont permis d'améliorer les " productions " de l'ARCEP ainsi que, je l'espère, les actions menées par les collectivités territoriales.

J'en viens maintenant aux travaux menés par le GRACO au cours de l'année écoulée.

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I - Les travaux du GRACO

Ces travaux ont été intenses et fructueux ; ils ont porté sur l'ensemble des grands dossiers en cours, permettant d'y associer pleinement collectivités territoriales et opérateurs, à travers les groupes de travail et les réunions bilatérales qui les ont accompagnées dans une période particulièrement dense. Nous publions aujourd'hui, comme chaque année, le compte rendu des travaux du GRACO.

Je citerai trois exemples.

1) En premier lieu, je dirai quelques mots sur les réseaux d'initiative publique

La croissance des RIP se poursuit : 215 projets ont fait l'objet d'une déclaration à l'Autorité contre 189 l'an dernier. Parmi eux, on recense 111 projets de taille importante, couvrant chacun plus de 60 000 habitants, dont 12 régions, 54 départements et 45 établissements publics de coopération intercommunale.

J'insisterai tout particulièrement sur les collectivités qui ont déployé un réseau de collecte en fibre optique. Elles peuvent s'appuyer sur ce réseau pour préparer le FTTH. Ainsi, comme l'avait indiqué l'Autorité dans son rapport établissant un premier bilan de l'intervention des collectivités, les réseaux de collecte constituent une étape essentielle pour préparer l'avenir.

2) En deuxième lieu, je souhaite souligner l'intervention des collectivités territoriales dans la réduction des zones blanches du haut débit. En effet, selon les chiffres communiqués par France Télécom, 98,5% de la population est éligible au haut débit par DSL aujourd'hui, ce qui signifie qu'environ 430 000 foyers n'y sont pas éligibles.

L'Autorité a procédé, au printemps et à l'été 2010, à une évaluation du nombre de foyers disposant du haut débit par d'autres technologies, grâce à l'intervention des collectivités dans le cadre de réseaux d'initiative publique : il y en a environ 165 000.

40 000 foyers sont ou seront prochainement rendus éligibles à l'ADSL via des solutions NRA-ZO. Par ailleurs, près de 100 000 foyers peuvent disposer d'un accès haut débit via le Wimax ou le Wifi. Enfin, environ 25 000 foyers disposent du haut débit par satellite dans le cadre de RIP.

Il reste donc un peu moins de 300 000 foyers, sur les 30 millions que compte notre pays, qui ne disposeront pas du haut débit par des technologies terrestres d'ici fin 2010.

3) troisième exemple de sujet traité dans le cadre du GRACO : un guide pratique, que nous rendons public cette semaine, a été établi par l'ARCEP, le centre d'études techniques de l'équipement de l'Ouest et la DGCIS, sur la transmission aux collectivités , par les opérateurs, d'informations sur leurs réseaux.

Mais des progrès restent à accomplir pour que les collectivités puissent aisément et rapidement bénéficier des informations indispensables pour l'établissement de schémas directeurs pertinents et préparer leurs projets d'aménagement numérique de leurs territoires.

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II - J'en viens à présent au déploiement de la fibre optique et à son cadre réglementaire. Je le présenterai en quatre volets.

1er volet : le projet de décision concernant l'ensemble du territoire hors zones très denses

Depuis notre précédente réunion, l'ARCEP a adopté fin 2009 une décision relative à la mutualisation de la fibre optique dans les zones très denses (20% des foyers). Les opérateurs ont annoncé leurs programmes d'investissement pour l'année 2010-2011, portant sur 800 000 nouveaux raccordements FTTH, s'ajoutant aux 900 000 existant à la mi 2010. Si l'on prend aussi en compte les raccordements par les réseaux câblés, ce sont près de 5 millions de foyers français qui sont aujourd'hui raccordables ou raccordés à la fibre optique, ce qui correspond au plus haut niveau en Europe. En revanche, le nombre d'abonnements est encore faible.

Consciente de la nécessité de lancer les déploiements de façon simultanée sur la totalité du territoire, l'Autorité s'est immédiatement attachée à préparer le projet de décision concernant l'ensemble du territoire, en dehors des zones très denses (80% des foyers).

Ce travail a été réalisé en concertation étroite avec les collectivités territoriales, aussi bien dans le cadre des travaux du GRACO que par de nombreuses réunions bilatérales. Les remarques formulées par les collectivités et leurs associations ont permis d'améliorer ce projet, notamment à l'issue de la consultation publique lancée en juin.

Ce projet de décision a été soumis à l'Autorité de la concurrence qui a rendu son avis hier. Je me félicite du soutien appuyé de l'Autorité de la concurrence et l'ARCEP tiendra le plus grand compte de ses observations. Ce projet de décision sera soumis pour avis à la Commission européenne dans les prochaines semaines et fera l'objet, en parallèle, d'une nouvelle consultation publique, avant son adoption définitive avant la fin d'année.

Sur le fond, ce projet de décision définit un cadre relativement souple, précisément pour permettre de l'adapter à la diversité des territoires concernés. Il s'applique à l'ensemble des opérateurs, privés ou publics. Je tiens à souligner deux points qui me semblent importants :

- d'une part, le double principe d'un appel au co-investissement a priori et de la disponibilité d'une offre d'accès pérenne a posteriori par l'opérateur d'immeuble est essentiel pour permettre un partage des coûts de déploiement et offrir des conditions d'accès stables à l'opérateur demandeur ; la souplesse des modalités de mise en œuvre de ce co-investissement devrait en faire un outil efficace pour l'ensemble des acteurs ;

- d'autre part, s'il s'attache à permettre la concurrence là où elle est possible, ce projet de décision comporte également des dispositions importantes pour favoriser une couverture homogène du territoire, afin d'éviter autant que possible que subsistent des trous de couverture ; c'est pourquoi l'opérateur d'immeuble sera tenu de déployer un réseau horizontal sur l'ensemble de la zone arrière de son point de mutualisation dans les 3 à 5 ans et de publier une offre de raccordement des logements pour les autres opérateurs ; il devra également effectuer un découpage cohérent plus large, à une maille à définir notamment avec la ou les collectivités concernées.

2ème volet : le projet de décision sur la tarification des fourreaux

En complément des dispositions sur la mutualisation, la question de l'accès au génie civil de France Télécom est également stratégique pour les opérateurs comme pour les collectivités, notamment sur la question des tarifs d'accès. Depuis notre dernière réunion plénière, l'ARCEP a conduit trois consultations publiques sur son projet de décision relatif à la tarification de l'accès au génie civil en conduite de France Télécom. Elle a fait évoluer significativement son projet pour mieux tenir compte des enjeux d'aménagement du territoire, à la demande des collectivités et de plusieurs de leurs associations.

Par ailleurs, dans le cadre du renouvellement de l'analyse du marché des infrastructures haut et très haut débit (marché 4), l'Autorité envisage la possibilité de prévoir une obligation, pour France Télécom, de donner accès à ses poteaux, notamment pour y déployer de la fibre optique. Les réseaux déployés en aériens étant situés pour l'essentiel dans les zones peu denses, cette mesure serait favorable à l'aménagement du territoire.

3ème volet : les mesures d'accompagnement du très haut débit

En parallèle des décisions de l'Autorité, les mesures d'accompagnement prévues par la loi Pintat et par le Gouvernement se mettent en place.

En premier lieu, de nombreuses collectivités ont lancé l'élaboration de schémas directeurs, qui conditionne le bénéfice du programme national très haut débit. L'ARCEP en recense à ce stade près d'une quarantaine sur son site internet et d'autres sont annoncés. C'est une première étape vers le très haut débit.

Le Gouvernement a par ailleurs engagé cet été les premières étapes de la mise en œuvre du programme national très haut débit. Des projets pilotes seront lancés prochainement. Mais le représentant du Commissariat général à l'investissement devrait nous en parler plus en détail tout à l'heure.

4ème volet : l'évaluation du coût du déploiement du FTTH

Comme nous l'avions annoncé à la fin du mois de juillet dernier, l'ARCEP travaille actuellement à l'élaboration d'un modèle précis permettant d'obtenir une estimation la plus fine possible du coût de déploiement de la fibre optique sur l'ensemble du territoire national. Cet exercice est délicat et complexe. Une première estimation, après une consultation publique sur la méthodologie et le modèle de calcul, sera faite d'ici à la fin de l'année. Mais il n'y a guère de doute que nous arriverons à un chiffre assez nettement inférieur à 30 milliards d'euros, qui était la première estimation effectuée par la DATAR.

En effet, l'industrialisation progressive des processus de déploiements des réseaux FttH s'accompagnera d'une baisse sensible des coûts unitaires des équipements nécessaires (atteignant 50% en un an sur certains équipements).

Enfin, le cadre réglementaire en cours d'élaboration par l'ARCEP pour les zones moins denses prévoit une mutualisation renforcée des déploiements et donc le partage d'une partie substantielle des coûts de déploiement entre les opérateurs, réduisant ainsi le besoin de financement public.
A ce stade, une toute première estimation, qui reste à confirmer, permettrait de situer plutôt le plafond du montant total du coût de déploiement de la fibre optique à environ 25 milliards d'euros.

III - La montée en débit

Depuis la fin de l'année 2008, un certain nombre de collectivités ont manifesté un intérêt croissant pour une solution de montée en débit via l'accès à la sous-boucle locale de France Télécom. Des travaux ont été engagés par l'Autorité début 2009.

Ils ont donné lieu à une consultation publique, puis à la publication d'orientations en février 2010, devant être précisées par un groupe de travail.

Celui-ci a été créé en avril. Il a d'ores et déjà permis de franchir une étape cet été, avec la publication par France Télécom d'une offre d'informations préalables permettant aux opérateurs et aux collectivités de préparer leurs projets.

Par ailleurs, les travaux ont permis de distinguer deux modes d'accès à la sous-boucle, la mono-injection (solution dans laquelle l'ensemble des opérateurs injectent le signal au même endroit) et la bi-injection (solution dans laquelle un opérateur injecte le signal au niveau du sous-répartiteur, les autres pouvant demeurer au NRA).

En parallèle, dans le cadre du renouvellement de l'analyse du marché 4, est étudiée l'éventualité d'imposer à France Télécom une obligation de faire droit à toute demande raisonnable de réaménagement de sa boucle locale dans le cadre d'un projet de montée en débit.

Des mesures complémentaires seront nécessaires pour préciser le caractère raisonnable de cette demande. L'Autorité rendra publiques des propositions dans les prochains jours.

IV - Le très haut débit mobile

Conformément à la loi du 17 décembre 2009 relative à la lutte contre la fracture numérique, l'objectif d'aménagement numérique du territoire est au cœur de la démarche engagée par les pouvoirs publics pour l'attribution des fréquences de la bande 800 MHz, en vue de la fourniture au public de services de communications mobiles à très haut débit.

Une consultation publique a été conduite entre le 27 juillet et le 13 septembre 2010 par l'ARCEP, afin notamment de recueillir les analyses et avis des acteurs.

Le document mis en consultation publique prévoyait le dispositif suivant pour l'attribution de la bande 800 MHz :

- une obligation cible de couverture ambitieuse, aux niveaux national et départemental, pour assurer une disponibilité à tous de services de communications mobiles à très haut débit ;
- une obligation de déploiement rapide dans certaines zones prioritaires mal desservies en services de communications électroniques ;
- des obligations de mutualisation importante de réseaux (voire de fréquences) à 800 MHz visant à faciliter, d'une part, une couverture étendue du territoire et, d'autre part, la fourniture de débits élevés grâce à des canalisations larges.

L'ARCEP s'appuie sur les nombreuses et intéressantes réponses des contributeurs à cette consultation publique pour préciser les modalités d'attribution qu'elle proposera au Gouvernement en vue de son lancement d'ici la fin 2010, après consultation de la commission parlementaire du dividende numérique.

Ainsi, les fréquences dans la bande 2,6 GHz pourront être attribuées au printemps 2011 et les fréquences dans la bande 800 MHz en juillet 2011.

 

V - Le rapport au Parlement

L'Autorité rend public aujourd'hui un rapport au Parlement qui répond à la fois, à la demande de la loi de modernisation de l'économie et de la loi " Pintat ". Ce rapport, intitulé " la montée vers le très haut débit ", comporte une mise en perspective historique et internationale du déploiement des réseaux, un état des lieux des technologies utilisables pour améliorer les débits, un aperçu du cadre réglementaire du très haut débit, ainsi qu'un recensement des scénarios de déploiement envisageables, un rappel des outils disponibles et une description des actions engagées ou à engager pour les mettre en œuvre.

Les principaux outils réglementaires et dispositifs d'accompagnement financier nécessaires au démarrage des déploiements en zones peu denses, on l'a vu, ont déjà été mis en place.

La priorité est donc aujourd'hui de mettre en œuvre ces outils de façon efficace pour que le déploiement des nouveaux réseaux à très haut débit s'engage de façon irréversible, au travers d'un certain nombre d'actions. J'en citerai quelque unes :

- la densification des réseaux de collecte en fibre optique,
- des actions tendant à favoriser le dialogue entre collectivités et opérateurs dans la mise en œuvre des déploiements, notamment à travers les schémas directeurs ou les réunions du GRACO,
- la mobilisation rapide des financements disponibles dans le cadre du programme national très haut débit,
- la finalisation et l'adoption des décisions de l'ARCEP pour le très haut débit fixe et mobile.

Parmi les questions traitées dans le rapport transmis au Parlement figure aussi celle de la résorption des zones blanches du haut débit liées à la présence d'un multiplexeur.

L'Autorité a demandé à France Télécom d'engager un programme pour rendre éligibles d'ici fin 2013 les lignes desservies par les plus gros multiplexeurs, qui représentent plus de 70% des lignes multiplexées. Par ailleurs, l'Autorité estime qu'une part importante des coûts de résorption des multiplexeurs, de l'ordre de 65 millions d'Euros, a légitimement vocation à être prise en compte dans le coût du réseau de boucle locale cuivre, puisqu'ils font partie des coûts d'entretien et de modernisation de ce réseau. France Télécom a accepté ces demandes dans leur principe. Les modalités de mise en œuvre seront définies d'ici la fin de l'année 2010.

En conclusion

Je tiens à remercier les personnalités qui ont accepté d'intervenir au cours de cette matinée, ainsi que tous ceux qui ont nourri depuis 6 ans déjà, les travaux du CRIP, puis du GRACO.
Je suis convaincu que, grâce à vous tous, le débat sera particulièrement riche et permettra d'approfondir de nombreuses questions que pose aujourd'hui le déploiement du très haut débit.
Pour sa part, l'Autorité s'attachera à répondre à l'ensemble ders questions qui relèvent de son champ d'intervention.

Bonne matinée à tous.