Prise de parole - Discours

Conférence Analysys / Mobility Futures : Competing visions of a 3G World / Londres - 29 novembre 2000 / Intervention de Monsieur Jean-Michel HUBERT, Président de l’Autorité de régulation des télécommunications

Mesdames et Messieurs,

Je vous remercie de votre invitation et je suis heureux de l’occasion qui m’est donnée de vous exposer aujourd’hui la position du régulateur français sur le dossier de l’UMTS, dossier essentiel pour l’avenir du marché européen des télécommunications.

Je tiens également à saluer et à rendre hommage à mon collègue, David Edmonds, avec qui nous travaillons en étroite collaboration, notamment au sein du GRI ; l’Oftel est pour l’ensemble des régulateurs européens un illustre pionnier et une référence. Nous agissons de concert et j’apprécie le soutien mutuel qui caractérise nos relations ; le dégroupage en est un bel exemple.

Mon propos portera, pour une large part, sur la sélection des opérateurs pour l’UMTS, donc sur la procédure de soumission comparative. Je n’ignore naturellement rien de la conviction que les autorités de ce pays ont placée dans le choix d’une procédure d’enchères. Serais-je donc bien audacieux, voire présomptueux de venir, avec sérénité et non moins de conviction, vous exposer la ligne de conduite retenue par la France ?

J’ai bien noté que David Edmonds devait commenter le rôle stratégique du régulateur pour le développement de la concurrence. Je ne m’exprimerai donc pas spécifiquement sur ce thème, sauf pour vous dire que cet objectif est tout aussi fondamental pour le régulateur français et pour souligner que notre action a d’ores et déjà contribué à une réelle ouverture du marché français.

Ainsi, plus de 100 opérateurs, fixes ou mobiles, ont obtenu une autorisation en France. Sur le segment de la longue distance, la part de marché de la concurrence s’établit à 30% fin septembre. Quant au nombre d’abonnés à la sélection du transporteur et à la présélection, il a dépassé les 4 millions à la fin du premier semestre 2000.

Le marché, qui a connu une croissance en valeur de plus de 12% en 1999, continue à progresser au premier semestre 2000, toujours sous l’impulsion des mobiles et d’Internet : ainsi, le volume des communications mobiles et le volume des communications d’accès à Internet ont pratiquement doublé par rapport au premier semestre de l’année précédente.

I. Le choix de la soumission comparative : l’exemple de la boucle locale radio en France

Venons en à la méthode de la soumission comparative ; elle a déjà été utilisée en France, avec succès, à l’occasion de la délivrance des licences de boucle locale radio.

Après une première phase expérimentale conduite depuis 1998, l’Autorité a ouvert le processus de sélection des opérateurs en octobre 1999 en retenant un dispositif d’appels à candidatures pour l’exploitation de cette technologie hertzienne.

Celui-ci prévoyait la délivrance de deux catégories de licences :

     

  • Deux licences nationales ;
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  • Cinquante deux licences régionales (2 par région), y compris dans les départements d'Outre-mer .
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La procédure de sélection a été lancée le 30 novembre 1999, avec la publication par le ministre chargé des télécommunications des appels à candidatures proposés par l’Autorité. Au total, 28 candidats ont déposé 218 dossiers.

La méthode de la soumission comparative retenue prévoyait 7 critères, dont deux revêtent une importance particulière :

     

  • La capacité à stimuler la concurrence dans la boucle locale au bénéfice des utilisateurs ;
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  • L’ampleur et la rapidité de déploiement sur le territoire concerné ;
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Nous avons rendu publics les résultats de la procédure en juillet dernier. Sur les 54 licences prévues, 47 ont été délivrées par le ministre chargé des télécommunications. En effet, 3 des 12 opérateurs retenus se sont désistés car ils ne s’estimaient pas en mesure de faire face aux engagements qu’ils avaient pourtant souscrits.

Un appel à candidature complémentaire à été lancé et aujourd’hui, pour chacune des autorisations restant à attribuer, il existe un candidat ou plus.

Ainsi, neuf opérateurs de boucle locale radio ont déjà obtenu une autorisation et ont commencé à déployer leur réseau. Ils ont prévu d’investir 2,7 milliards d’euros (18 milliards de francs) et de créer plus de 6000 emplois sur la période 2000-2004.

L’attribution des licences et des fréquences correspondantes donne lieu au versement, par les opérateurs retenus, de taxes et de redevances dont le montant est identique à celui payé par les tous les opérateurs de télécommunications. Le revenu total attendu pour l’ensemble des opérateurs de boucle locale radio sur la durée des licences (15 ans) correspond à un montant de l’ordre de 140 millions d’euros (914 millions de francs). Ce chiffre semble dépasser les résultats, assurément décevants, des enchères conduites au Royaume-Uni.

Cet exemple illustre la pertinence, l’efficacité et la transparence de la méthode de soumission comparative, malgré le mépris dont elle a fait l’objet au cours des deux dernières années en Europe.

     

  • Pertinence car elle permet de sélectionner les candidats selon des critères objectifs, en accords avec les principes de la politique publique ;
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  • Efficacité car elle va permettre d’attribuer l’ensemble des licences, dans des conditions économiques viables pour les opérateurs ;
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  • Transparence car nous avons publié la totalité des dossiers d’instruction, donc des notes relatives à chaque critère pour chaque opérateur. Cela constitue une première pour un dossier de cette envergure. Je précise à cet égard que la procédure n’a donné lieu à aucun contentieux alors que la période de dépôt des recours vient de s’achever
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II. La situation et les perspectives de l’UMTS en France et en Europe.

Vous aurez compris que ces mêmes principes et méthodes vont s’appliquer à l’UMTS. La procédure de sélection que nous avons adoptée en France est en cours ; les candidats doivent déposer leurs dossiers avant le 31 janvier 2001. Mais depuis un an, la situation européenne a largement évolué. C’est à la lumière de ces changements que je vous propose d’analyser le cas français.

1. Les principes de sélection des opérateurs mobiles de troisième génération

En France, l'Autorité est chargée de proposer au ministre chargé des télécommunications, c’est-à-dire d’établir, les conditions d'attribution des licences UMTS.

Sur la base d’une large concertation avec les acteurs, nous avons choisi, dès le début de l’année 2000, de retenir le principe de la soumission comparative et non celui des enchères, essentiellement pour trois raisons :

     

  • D’abord, la quasi-totalité des acteurs consultés (opérateurs, équipementiers, experts, analystes, économistes) s’est prononcée en faveur de cette procédure ;
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  • Ensuite, contrairement aux enchères, elle présente l’avantage d’être maîtrisable pour les acteurs, donc d’offrir une visibilité infiniment supérieure ; et l’on a vu récemment combien ce critère est important et utile ;
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  • Enfin, la soumission comparative s’est révélée par le passé plus favorable au développement du marché que les enchères, qui contraignent à sélectionner les candidats sur le seul critère financier, sans tenir compte d’autres paramètres importants. Cette dimension est essentielle puisqu’il s’agit d’un nouveau marché, sur lequel des incertitudes pèsent encore.
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En raison des résultats totalement inattendus de la procédure d'enchères qui s'est déroulée au Royaume-Uni, le Gouvernement a engagé une réflexion complémentaire sur le nombre de licences, les modalités de leur attribution et le montant des contributions qui pouvaient être demandées aux opérateurs.

Dans ce contexte, l’Autorité a maintenu sa position en faveur de la soumission comparative et de l’attribution de quatre licences ; le Gouvernement l’a fait sienne ; la proposition de l’Autorité a été publiée par le ministre pendant l’été.

Parallèlement, le montant des contributions financières des opérateurs a été revu à la hausse, pour tenir compte des intérêts patrimoniaux de l’Etat. Chaque opérateur devrait payer la près de 5 milliards d’euros (32,5 milliards de francs) pour l'attribution de la licence et des fréquences, somme payable pour moitié sur deux ans, le solde étant dû sur 13 ans.

Cette décision appartenait au Gouvernement, qui a voulu tenir compte de ce fait nouveau que constituait le résultat des enchères britanniques dans l’équilibre économique du marché européen et de son appréciation quant à la capacité contributive des acteurs, au regard de l’investissement par ailleurs nécessaire pour la constitution d’un réseau.

Les résultats seront, comme le prévoit la loi, publiés par l'Autorité, et cela avant le 31 mai 2001.

Les candidats seront sélectionnés par la méthode de la soumission comparative à partir de 14 critères, répartis en trois volets : technique, commercial et financier. Chaque candidature fera l’objet d’une notation sur chacun de ces critères, puis recevra une note globale.

Les critères les plus importants sont les suivants :

     

  • L'ampleur et la rapidité de déploiement du réseau ;
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  • La cohérence et crédibilité du projet ;
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  • La cohérence et crédibilité du plan d’affaires ;
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  • L'offre de services.
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L'appel à candidatures comporte enfin un certain nombre d'obligations que les opérateurs retenus devront respecter. Parmi ces dispositions je retiendrai en particulier :

     

  • des obligations de couverture du territoire définies en pourcentage de la population couverte par les services de voix et de données, au bout de 2 et 8 ans ;
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  • l’obligations de fourniture d'une liste de services déterminée (voix, accès à Internet, transmission de données, localisation de l’utilisateur, etc.), ainsi que des obligations de disponibilité et de qualité de service ; l’objectif est la réelle fourniture de service de troisième génération ;
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  • la possibilité d'itinérance avec les réseaux GSM, pour les opérateurs qui ne disposent pas d'un réseau de deuxième génération, dès lors qu’ils auront satisfait à des exigences préalables et minimales de couverture ;
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  • des obligations en matière de partage des sites pour des raisons liées à l'équilibre de la concurrence et à l'environnement ;
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J’ai bien compris les deux principales critiques qui se sont exprimées depuis le printemps :

     

  • La faible légitimité des choix du régulateur : les technocrates ne seraient pas compétents pour déterminer, mieux que le marché, ce dont le consommateur a besoin ; à cela je réponds que le dispositif mis en place correspond à une volonté politique, réaffirmée chaque semaine par le Gouvernement et le Parlement, à savoir la préoccupation de couverture du territoire ; dans cette perspective, le service universel demeure une préoccupation majeure pour l’Europe ;
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  • Le manque de transparence de la procédure de soumission comparative : les nombreux contentieux qui voient le jour sur les enchères conduites dans certains pays, ainsi que les cas de défection de plus en plus nombreux, suggèrent que la soumission comparative offre aujourd’hui au moins autant de garanties en termes de transparence que les enchères.
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Je demeure persuadé aujourd’hui que ce dispositif est une solution équilibrée, lisible et raisonnable pour sélectionner les opérateurs UMTS en France. J’observe en tout état de cause que dans la décision de concourir ou de ne pas concourir en France, aucun opérateur n’a contesté le mode de sélection. Chacun aura compris que la récente décision de Deutsche Telekom n’est pas liée aux caractéristiques du marché français ; elle est plutôt une conséquence directe des résultats antérieurs des enchères au Royaume-Uni et en Allemagne.

La théorie économique affirme certes que les enchères sont une procédure efficace sur le plan économique car elles reflètent le prix des licences tel qu’il est évalué par les acteurs eux-mêmes, et non par un intervenant extérieur au marché. C’est oublier que nous sommes dans un domaine où certains acteurs, les opérateurs 2G, sont de facto contraints d’obtenir une licence 3G pour rester présents sur le marché et que l’une des conditions requises pour la conduite d’enchères n’existe pas sur ce marché : la réelle possibilité de se retirer.

Cela va avoir pour effet de mettre à l’épreuve le système de financement européen, à tel point que certains opérateurs, parmi lesquels figurent de grands opérateurs européens, ont renoncé à concourir dans plusieurs pays. C’est une des raisons pour lesquelles les marchés financiers corrigent depuis plusieurs mois leurs anticipations trop optimistes et parfois irrationnelles. Cela montre aussi que l’appréciation du marché s’effectue à un instant donné, sans prise en compte du long terme. Cette approche est excessive et peut être dangereuse.

En effet, il faut garder à l’esprit que les opérateurs de télécommunications vont, pour la seule obtention de l’ensemble des licences UMTS en Europe, supporter une charge, raisonnablement imprévisible en janvier dernier, de l’ordre de 150 milliards d’euros (980 milliards de francs).

Où est l’Europe dans tout cela ? Les différents Etats membres se sont divisés sur les méthodes et leurs conséquences financières. Il n’y a donc pas de licence type pour l’UMTS.

A cet égard, on peut s’interroger sur les différences qui existent sur le coût total d’acquisition des licences UMTS rapporté au nombre d’habitants dans les principaux pays d’Europe. Ce prix peut en effet varier du simple au triple, voire davantage, d’un pays à l’autre. Il est par exemple de 171 euros aux Pays Bas, de 211 en Italie, de 330 en France et supérieur à 600 euros en Allemagne et au Royaume-Uni. (18 euros en Suisse et 0,005 euros en Suède). Je mentionne en outre les incertitudes aux décisions de l’Espagne pour l’attribution de nouvelles licences de deuxième génération.

La France n’a pas participé à l’euphorie qui a gagné au printemps les milieux économiques, et même gouvernementaux, alors même que le critère essentiel de réussite du lancement d’un nouveau marché semblait devenir celui du niveau du prélèvement effectué par les Etats sur les opérateurs.

Elle entend aujourd’hui ne pas sombrer dans l’inquiétude, voire le pessimisme qui, moins de six mois plus tard, semble s’exprimer, au moins dans certains pays ou chez certains opérateurs.

Il faut garder confiance dans l’avenir de l’UMTS. Il faut aussi se souvenir que le marché garde une certaine liberté : celle du rythme de son développement. C’est sa liberté et c’est sa force, car c’est le marché qui détient la réponse à ces questions, toujours ouvertes : quels services pour quels consommateurs et à quel prix ?

2. Etablir les conditions de développement du marché

Car, si les conditions d’attribution des licences ont un impact déterminant sur la structuration du marché, il importe de préparer l’arrivée des nouveaux services multimédias sur les mobiles. Pour ce faire, il y a des étapes nécessaires, qui conditionnent la rapidité d’évolution du marché.

Notre approche consiste à prendre acte des étapes nécessaires à l’avènement de la 3G, à les conduire avec dynamisme, mais à ne pas les brûler pour autant ; d’où l’intérêt apporté par l’Autorité aux conditions de développement des services fournis à travers le protocole WAP et, prochainement, le système GPRS.

Nous venons à cet égard de publier des recommandations qui établissent les principes d’un développement ouvert et concurrentiel du marché de l’Internet mobile. Nous avons identifié 12 principes ; ils portent sur les conditions d’utilisation et de paramétrage des terminaux, la visibilité des services, l’accès à la passerelle WAP, le coût d’accès aux services, le coût des services eux-mêmes et la prise en compte des innovations du secteur.

Leur énoncé, établi après une large concertation, traduit notamment les objectifs d’information des utilisateurs, de simplicité et de rapidité d’utilisation, de neutralité des modes de commercialisation par rapport aux services et fonctionnalités disponibles et de non-discrimination entre les acteurs, notamment les fournisseurs de services.

Il s’agit bien de préparer l’arrivée de l’UMTS en établissant les conditions d’entrée de l’ensemble des acteurs sur ce marché et en permettant aux consommateurs de s’habituer progressivement aux nouveaux services fournis sur leur téléphone mobile.

A cette fin, nos recommandations privilégient deux objectifs :

     

  • la liberté d’accès au client pour l’ensemble des acteurs ;
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  • et la liberté de choix et d’accès aux services pour les consommateurs.
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Conclusion

Pour conclure, je suis aujourd’hui confiant sur le développement de l’UMTS en Europe. Nous nous sommes attachés à établir les conditions de ce développement sur la base d’une analyse raisonnable et, je le crois, lucide.

Je vous remercie de votre attention.