A quelques jours de son départ de l’Arcep, Paul Champsaur a accordé une interview à EuroTMT.
Malgré un cadre réglementaire favorable à la concurrence, le marché français connaît un niveau de concentration élevé et une faible intensité concurrentielle. Comment expliquez-vous cette situation ? Est-ce un échec pour le régulateur ?
Pas du tout. Les structures de coûts caractérisées par de fortes économies d’échelle et les investissements importants, que doivent réaliser les opérateurs, conduisent naturellement à une structure de marché oligopolistique. Un marché comptant une dizaine d’acteurs, cela n’existe nulle part dans le monde, ou alors uniquement de façon transitoire. L’objectif du régulateur est de permettre l’existence de quelques acteurs significatifs (trois ou quatre) pérennes, de s’assurer que les barrières à l’entrée demeurent faibles et de vérifier que le marché est raisonnablement concurrentiel. Ce qui compte, c’est que les entreprises ne soient pas en collusion tacite, dans une logique de partage de rente. . L’Arcep a mené, en cohérence avec les directives européennes, une régulation favorisant l’innovation et l’investissement des acteurs dans des infrastructures en propre. Une fois ces infrastructures déployées, la régulation s’allège pour se concentrer sur les goulots d’étranglement restants et in fine disparaît. Le marché français du haut débit est plutôt bien placé en Europe. Nous avons les prix du triple play les plus bas au monde et la France est championne du monde de la téléphonie sur IP et de la TV sur ADSL. Le principal problème du marché français est qu’il est facile pour un opérateur mobile d’entrer sur le marché du haut débit fixe, mais l’inverse est très difficile. Cette situation est très préoccupante, car je crois à terme à la convergence fixe mobile, c’est à dire à un marché où seuls des opérateurs intégrés survivront.
L’un des principaux objectifs fixés par la Commission européenne était de créer un marché unique des télécoms. Mais la concurrence entre opérateurs historiques demeure très limitée et de nombreux pays ont tendance à protéger leur opérateur domestique. Quelles mesures doivent être prises pour obtenir cette harmonisation européenne ?
Le marché unique visait deux objectifs : le marché des équipements, et c’est une réussite, et le marché des services. Il était un peu illusoire, à l’époque, de croire que l’on pouvait unifier le marché des services. Ces marchés sont restés très nationaux pour de nombreuses raisons. Le développement de la concurrence, par l’entrée des opérateurs historiques sur les marchés voisins, s’est révélé décevant. Les nouveaux entrants doivent avoir un modèle économique et une organisation industrielle différents des opérateurs historiques, c’était difficile pour des filiales d’opérateurs historiques. Il fallait des « animaux » nouveaux comme Neuf et Free. La concurrence en France s’est d’ailleurs construite sur les débris des filiales des opérateurs étrangers. C’est une belle leçon d’économie industrielle.
Les textes européens étaient excellents et proposaient une très bonne articulation entre autorité sectorielle et autorité de la concurrence. Mais la mise en œuvre de la régulation est devenue trop hétérogène. Je fais partie de ceux qui prônent un rôle plus actif de l’Europe en matière d’harmonisation des pratiques. Mettre 27 ou 30 régulateurs nationaux, qui ont déjà du mal à s’imposer chez eux, dans la même pièce ne peut aboutir qu’à la production « d’eau tiède ». La Commission doit surveiller plus rigoureusement ce qui se passe dans chaque pays, tout en s’appuyant sur l’expertise technique des régulateurs nationaux. Il ne faut ni une Commission autocratique, ni un GRE mou. La Commission doit élaborer des projets qui tiennent la route, et le GRE doit s’exprimer avec une règle de majorité, sur ces projets. Le Conseil des ministres et le Parlement cherchent une solution qui correspond à cette voie médiane.
Dans le dossier de la fibre optique, la bataille entre France Télécom et Iliad n’est-elle pas d’abord une bataille pour définir l’organisation à venir de la concurrence ? Le modèle souhaité par France Télécom ne risque-t-il pas de réduire un peu plus le champ de la concurrence ?
L’Arcep a essayé de décomposer le problème en deux : d’une part faciliter de déploiement horizontal de la fibre, en assurant aux opérateurs alternatifs un accès aux infrastructures de génie civil de France Télécom, et, d’autre part, conformément aux dispositions de la LME, mettre en place une mutualisation entre tous les opérateurs du câblage «vertical, à l’intérieur des immeubles. Nous pensions peut être naïvement que les discussions techniques entre opérateurs engagées à l’été, sous notre amicale pression, seraient suffisantes pour définir les conditions de la mutualisation. En pratique,. cela n’a pas été les cas, probablement pour un ensemble de raisons tenant tant aux choix technologiques et d’architecture différents qu’ au manque de recul sur les coûts et les conditions d’exploitation et enfin aux arrières pensées stratégiques des uns et des autres. Une intervention plus forte de la puissance publique est donc nécessaire. Grâce aux ministres Eric Besson et Luc Chatel, les opérateurs se sont engagés à mener, sous l’égide de l’ARCEP, des expérimentations qui permettront de définir de façon éclairée les conditions des déploiements futurs. Je suis raisonnablement optimiste sur les chances de trouver une solution de bon sens qui permette à chacun de mettre en œuvre ses choix technologiques et qui préserve l’avenir. En tout cas, l’ARCEP fera tous les efforts en ce sens.
La concurrence de plus en plus importante entre opérateurs télécoms et diffuseurs de contenus (principalement audiovisuels) ne nécessite-t-elle pas une remise à plat de la répartition des rôles entre l’Arcep et le CSA ?
Tout d’abord, l’Arcep ne réclame pas de nouveaux pouvoirs. Cette question a deux volets. Un volet concurrentiel : c’est l’effet de levier entre ces deux secteurs, qui peut conduire à une intégration verticale des opérateurs et à restreindre, via des exclusivités, l’accès à des contenus premium aux seuls clients de certains opérateurs. Ces questions complexes relèvent du droit de la Concurrence et je pense que le Conseil de la Concurrence est parfaitement à même de les traiter. Dans ce cas, il n’y a donc pas lieu d’élargir les compétences des autorités sectorielles concernées, qui interviennent aux travers de leurs avis au Conseil. Le deuxième volet concerne la politique de gestion du spectre. Le secteur des communications électroniques est face à une pénurie durable de spectre. Il est donc légitime que l’Etat et plus largement l’Europe, s’interroge sur l’optimisation de l’usage de ce bien commun, au service du développement économique. La numérisation a dissocié le lien univoque entre fréquences et services, qui fonde historiquement la gestion audiovisuelle des fréquences : il n’y a plus de raison d’attribuer les fréquences aux chaînes et de gérer directement l’ingénierie des opérateurs de diffusion. D’autre part, les missions de l’ARCEP et du CSA sont très différentes : l’ARCEP est un régulateur technico-économique, une autorité de concurrence sectorielle qui a vocation à s’effacer dans la durée. Le CSA est un régulateur sociétal, protecteur des libertés publiques dont la mission est évidemment pérenne. Notre pays, qui défend l’exception culturelle, a intérêt à maintenir un régulateur fort en matière de contenus,, veillant au pluralisme et à la diversité culturelle, et protégeant les publics fragiles. La gestion des fréquences n’est, du fait des évolutions technologiques, plus l’instrument adapté à ces objectifs de régulation. Il faut donc réfléchir à de nouveaux outils.
L’Arcep doit justement organiser l’attribution de trois types de fréquences dans l’année qui vient. A cette occasion sera-t-il possible d’améliorer le jeu concurrentiel ?
Je souhaite que le dossier de la quatrième licence soit résolu le plus vite possible. Je suis favorable à une procédure d’attribution où l’on réserve, dans une première étape, une partie des fréquences à un nouvel entrant. Il faudra ensuite attribuer les fréquences d’extension (190 MHz dans la bande des 2,6GHZ) et les 72 MHz du dividende numérique. L’Europe a défini un cadre. Ainsi la Suède, pour les fréquences hautes, a délivré cinq licences, dont une pour un opérateur WiMax. Pour les fréquences basses, on ne sait pas exactement combien d’acteurs pourront avoir de licences : 2ou 3. Certains acteurs auront donc accès à des fréquences d’extension, mais pas à des fréquences basses, qui devront être mutualisées. C’est une conséquence de la pénurie. Il faudra définir des critères de partage dans les appels à candidature afin de garantir l’accès aux fréquences basses aux acteurs qui n’en auront pas obtenu. L’exercice sera nouveau et complexe.
Propos recueillis par Thierry Gadault.