Prise de parole - Discours

Colloque du 26 mars 1998 organisé par le Secrétaire d'Etat à l'industrie sous la présidence de M. Lionel JOSPIN, Premier ministre énergie, Poste, Télécommunications : Quel avenir pour le service public en France et en Europe? Séance plénière : régulation et politiques publiques Intervention de M. Jean-Michel HUBERT Président de l'Autorité de régulation des télécommunications

Les télécommunications françaises se sont développées jusqu'à ces dernières années dans le cadre d'une politique publique fondée sur des missions de service public, mise en oeuvre par un opérateur public en situation de monopole, à qui était confié un grand programme d'action.

L'ouverture à la concurrence conduit à une approche différente de cette politique publique. L'idée majeure reconnue pertinente que le meilleur service pouvait être assuré par une administration ou une entreprise publique intervenant seule dans la mise en oeuvre d'un réseau unique est abandonnée, ainsi que l'expriment les règles communautaires reprises dans la législation nationale. Désormais, des opérateurs peuvent proposer des services diversifiés sur des réseaux distincts.

La notion de politique publique n'a pas disparu pour autant; elle est au contraire clairement réaffirmée; et le service public, jusqu'alors identifié avec l'entreprise publique qui le mettait en oeuvre, a fait l'objet d'un profond réexamen. Les nouveaux concepts de service universel, de services obligatoires, de missions d'intérêt général sont aujourd'hui les éléments essentiels de cette politique publique des télécommunications. Elle trouve son expression renouvelée dans la loi du 26 juillet 1996, au sein des orientations générales de l'action publique.

En effet, la concurrence introduite par l'objectif de libéralisation ne saurait s'opposer à l'existence d'une mission de service public. Elle appelle en revanche l'établissement d'un rapport différent entre la définition de la politique publique et la mise en oeuvre du service public, car il y a désormais un marché.

I. LA POLITIQUE PUBLIQUE DES TÉLÉCOMMUNICATIONS

    1. Le service public des télécommunications

Il comprend donc le service universel, les services obligatoires, les missions d'intérêt général. Le service universel, principale composante du service public, a pour objet de fournir à tous, donc en tout point du territoire, un service téléphonique de qualité à prix abordable; certains services y sont associés : annuaire et renseignements, cabines publiques, tarifs sociaux.

Selon les termes de la loi, France Télécom est l'opérateur public chargé de sa mise en oeuvre; il est aujourd'hui le seul, à l'exception des tarifs sociaux, sur lesquels tout opérateur peut présenter une proposition. Toutefois, la loi précise que tout opérateur acceptant la fourniture du service universel sur l'ensemble du territoire et capable de l'assurer peut également en être chargé. Introduisant ainsi une innovation importante, la loi prévoit que le service universel est financé par l'ensemble des opérateurs notamment au moyen d'un fonds spécial.

Les services obligatoires font l'objet d'une définition plus souple, la loi ayant voulu laisser place aux évolutions techniques. France Télécom est là encore tenue d'en assurer la fourniture sur l'ensemble du territoire; mais aucune exclusivité ne lui est explicitement réservée.

Enfin, les missions d'intérêt général concernent la défense et la sécurité, la recherche publique et l'enseignement supérieur.

    2. Les orientations générales prévues par la loi

La loi définit avec force ses objectifs économiques. Il s'agit :

  • du consommateur : la concurrence doit se développer au bénéfice du consommateur; elle n'est donc pas une fin en soi, mais ne trouve sa justification que dans l'amélioration de la qualité de service et la baisse des tarifs;
  • de l'innovation et de l'emploi, donc de l'investissement qui doit être privilégié;
  • de l'aménagement du territoire, qui doit être pris en compte dans l'exercice de la concurrence.

II. LE RÔLE DE LA RÉGULATION

Ce bref rappel de la politique publique des télécommunications conduit à souligner deux points essentiels :

  • Premièrement, la politique publique trouve sa définition dans une décision de l'autorité politique, Parlement et Gouvernement; la régulation est l'une des composantes de sa mise en oeuvre.
  • Deuxièmement, l'Autorité de régulation est appelée à participer pleinement à l'action publique générale; elle fait donc également siens les objectifs fondamentaux liés au développement économique et social de notre pays, au sein de l'Union européenne et dans la compétition internationale.

La fonction de régulation est ainsi un point de compatibilité entre la réalisation des objectifs de la politique publique et la liberté d'entreprise laissée aux acteurs économiques. Dans le secteur des télécommunications, l'expérience montre en effet que le seul droit de la concurrence, qui s'applique a posteriori dans le cadre de procédures judiciaires souvent longues, est insuffisant pour répondre rapidement à ces objectifs. Une action de régulation sectorielle, cohérente avec la régulation du droit de la concurrence, est donc nécessaire.

Ainsi, la cohérence d'une politique publique et de la régulation qui lui est associée se détermine au regard des caractéristiques du secteur d'activités concerné. C'est pourquoi il faut l'apprécier à la lumière des compétences et des missions de l'Autorité de régulation. J'en prendrai quelques exemples :

  • L'Autorité veille à la fourniture et au financement de l'ensemble des composantes du service universel;
  • elle évalue le coût du service universel et propose au ministre chargé des télécommunications la répartition de son financement entre les opérateurs; Pour 1998, le coût du service universel a été évalué à 6,043 milliards de francs. Je précise que le coût net du service universel à la charge de France Télécom avant contribution des opérateurs n'interfère en rien avec son contenu, ni avec la qualité de sa mise en oeuvre par l'opérateur public.
  • Elle veille, dans le cadre de l'instruction des licences, au respect, par les opérateurs, des obligations en matière de recherche et de financement du service universel qui figurent dans les clauses types de leur cahier des charges.
  • Elle favorise également la couverture du territoire par les réseaux mobiles, ce qui contribuera à l'amélioration du service. Je signale à cet égard qu'elle a tout récemment obtenu l'accord des opérateurs en vue de définir plusieurs catégories de contributions à cette couverture.
  • Elle rend des avis sur les tarifs du service universel et des services sous monopoles de fait, pour vérifier qu'il sont compatibles avec la concurrence; cela suppose en permanence, de la part du régulateur, une connaissance approfondie du marché.

 

Pour conclure, j'indiquerai les quelques enseignements de méthode que je retire de mon expérience de la régulation comme fonction de mise en oeuvre de la politique publique :

  • Le premier de ces enseignements est la double exigence de rigueur et de pragmatisme dans l'action de régulation. L'autorité du droit, source première de la légitimité d'une instance administrative indépendante, demande une rigueur constante. Celle-ci est inséparable du pragmatisme qu'exige la reconnaissance de l'action du régulateur par le pays, par ses dirigeants et par les acteurs du marché.
  • Le second d'entre eux est l'exigence de transparence à l'égard des pouvoirs publics et du marché. Les missions du régulateur sont indissociables d'une démarche ouverte, qui s'exprime notamment par la concertation permanente et la publicité de ses avis et décisions, par ailleurs susceptibles d'appel ou de recours.
  • Le troisième a trait à l'objectif d'équité qui doit guider l'action du régulateur : l'Autorité est conduite à pratiquer une régulation asymétrique, qui s'applique différemment à l'opérateur dominant et aux autres opérateurs, afin de permettre l'arrivée de nouveaux acteurs sur le marché. Cela ne signifie nullement que la régulation ne s'adresse qu'à France Télécom, l'Autorité pouvant également être appelée à contrôler d'autres opérateurs qui ne respecteraient pas les règles de la concurrence. C'est également le souci d'équité qui explique l'importance des compétences confiées à l'Autorité en matière " d'arbitrage ", de conciliation et de sanctions, dans le respect du droit général de la concurrence.
  • Enfin, j'insiste sur la nécessaire capacité d'adaptation dont la régulation doit faire preuve au regard des évolutions rapides du contexte économique et technologique. Ces évolutions peuvent conduire le législateur à modifier le cadre juridique de la régulation, par exemple en adaptant la définition du service universel, en concertation avec l'Union européenne; elles peuvent également conduire le régulateur à anticiper certaines tendances. Ainsi, la couverture du territoire par les réseaux mobiles permettra-t-elle de mieux préparer notre pays à l'arrivée d'une nouvelle génération de services mobiles.