Quelle régulation pour le FFTH ?
Permettez-moi tout d’abord de souligner la différence dans le paysage du très haut débit entre il y a encore un an et aujourd’hui. Quelle accélération en quelques mois !
Il y a peu encore, voici le genre de questions et de réflexions que nous entendions ici et là :
- " certes la France est en retard mais les usages sont-ils au rendez-vous pour justifier un investissement de la fibre dans le réseau d’accès ?
- il ne pourra pas y avoir de déploiements sans que le régime de la régulation n’ait été précisé et surtout sans perspective de " regulatory holiday ".
- les déploiements ne devraient-ils pas plutôt se faire en FTTC +VDSL comme chez la plupart de nos voisins européens ? "
Comme souvent depuis quelques années en France, le marché et le dynamisme des opérateurs nous ont tous surpris.
Il ne se passe une semaine où nous ne soyons sollicités en Europe (Londres, Amsterdam, Bonn, Turin...) pour évoquer ce qui est en train de se passer chez nous, car il est bel et bien en train de se passer des choses.
Certes la fibre dans le réseau d’accès n’est pas un sujet neuf et l’ARCEP y a beaucoup travaillé cette année au sein du CRIP (Comité des Réseaux d’Initiatives Publiques) essentiellement pour accompagner une action des collectivités locales dans le fibrage des zones d’activités.
Mais depuis quelques mois, il s’agit d’autre chose avec l’arrivée d’Erenis (depuis racheté par Neuf), de Citéfibre (racheté par Free) puis de Free, Noos, Neuf en région parisienne et surtout de France télécom dans la plupart des grandes villes de notre pays.
On ne peut s’empêcher de souligner que cet élan constaté aujourd’hui sur le très haut débit est essentiellement issu du dynamisme du marché sur le haut débit, principalement fondé sur l’innovation et la concurrence permises par le dégroupage et qui fait de notre pays un leader en terme d’offres de Voix sur broadband et d’offres triple-play.
Il convient également de souligner que ce qui se passe en France est assez différent de ce qui se passe chez nos voisins européens où on assiste souvent à un déploiement du type FTTC+VDSL.
Or le FTTH suppose la reconstruction de la boucle locale du futur en fibre en remplacement du cuivre et pose des questions de réglementation substantiellement différentes.
Ainsi, certains de nos voisins sont aujourd’hui confrontés à des problématiques de démontage des répartiteurs de leur opérateur historique au profit des sous-répartiteurs avec tous les problèmes que cela suppose pour les opérateurs alternatifs dégroupeurs.
- Quels sont les enjeux et les risques de ce déploiement FTTH ?
- Quelle action publique, quelle régulation en particulier pour l’encourager, le faciliter dans les meilleures conditions pour tous ?
- Quels sont les obstacles majeurs, les fameux " goulots d’étranglement " sur lesquels la régulation doit se concentrer ? Et comment y remédier ex-ante ?
- Le cadre réglementaire actuel est-il adapté ?
Quels sont tout d’abord les objectifs du régulateur ?
Il est indéniable que les investisseurs ont besoin de prévisibilité réglementaire même si, reconnaissons-le, ce n’est pas là le seul moteur ni même le principal moteur de l’investissement mais bien plutôt le souci de conserver une avance dans l’innovation et la pression concurrentielle.
Néanmoins le risque élevé de re-monopolisation de la boucle locale ne doit pas être sous-estimé.
Il n’y a pas de solution unique dans le monde et nous savons bien que ce qui se passe aux USA n’est absolument pas transposable (ni souhaitable) dans notre contexte européen.
Notre but est :
1/ Tout d’abord d’identifier les goulots d’étranglement techniques et économiques et de qualifier assez vite ce qui a les caractéristiques d’une infrastructure non substituable et difficilement réplicable, bref d’une infrastructure essentielle ou d’un monopole naturel.
2/ De permettre l’ouverture de cette infrastructure, tout en garantissant un retour raisonnable sur cet investissement dont le coût pourrait et devrait peut-être même être partagé.
3/ De prendre aujourd’hui les mesures appropriées sur ces " goulots d’étranglement " pour qu’ils soient résolus d’emblée si possible au moment de la construction afin d’éviter d’avoir à réguler lourdement demain.
Les barrières du génie civil et comment les surmonter
Nous savons que le coût du génie civil compte pour 50% à 80% du coût selon les zones et que ces infrastructures sont éminemment mutualisables.
Voici quelques unes de nos réflexions sur cette partie du réseau :
Les opérateurs ne sont pas à égalité sur la ligne de départ. Avec de nombreuses emprises enfouies à sa disposition, l’opérateur historique est dans une position plus avantageuse héritée du monopole.
L’accès aux fourreaux est crucial et doit être investigué. Nous regardons comment le mettre en œuvre dans le cadre réglementaire européen actuel. Bien sûr il s’agira aussi de le traiter dans la review dont nous savons toutefois que la mise en œuvre pratique sera tardive pour les sujets dont nous parlons aujourd’hui.
Néanmoins, la mise en place d’une offre d’accès aux fourreaux nécessite pour être utile de nombreuses conditions : la disposition d’un système d’information bien renseigné sur leur localisation et leur disponibilité. Surtout pour être efficace, cette disponibilité doit être en continuité optique et non discontinue le long d’un trajet intéressant un opérateur. On peut donc s’interroger sur les difficultés de mise en œuvre d’une telle offre, mais aussi sur son caractère suffisant ou non, notamment pour les villes de province.
En effet, la seule disponibilité de fourreaux si elle semble suffisante économiquement pour Paris et quelques zones très denses, le sera-t-elle pour nos villes moyennes et permettra-t-elle d’avoir plusieurs opérateurs de réseaux ?
Il est probable que les fourreaux ne soient par la seule facilité passive dont l’accès doive être envisagé et qu’à partir d’un certain niveau dans un réseau, notamment dans les villes les moins denses, l’accès à la fibre soit nécessaire.
La barrière de la partie terminale de la ligne
- Pouvons-nous en dehors de Paris espérer, même souhaiter avoir plusieurs déploiements parallèles, au même endroit alors qu’il s’agit d’infrastructures éminemment partageables ?
- Est-ce de plus économiquement faisable ? Et souhaitons-nous avoir des poches de duplication horizontale qui risquent d’être durablement réduites au détriment d’une emprise géographique plus large ?
- Si le partage doit être encouragé, est-il techniquement faisable ?
Il s’agit là clairement d’un " second goulot d’étranglement " à partir d’un certain point du réseau horizontal et bien sûr dans la partie verticale.
En effet, nous avons un gros doute sur le fait que puisse être construite plus d’une infrastructure par immeuble, en raison du coût du câblage, des négociations avec les bailleurs et les copropriétés.
Ainsi, le risque de préemption par le premier opérateur présent, et donc de reconstitution de micro-monopoles est réel.
Voulons-nous des immeubles, des quartiers, Free, Neuf, France Telecom ou Noos ?
Voulons-nous avoir à recâbler notre salon, voire à changer d’immeuble pour pouvoir changer d’opérateur ?
Le partage de ce monopole naturel nous paraît essentiel
D’ailleurs les opérateurs sont en principe d’accord avec ce constat, l’admettent pour certains, le réclament même pour d’autres.
Il s’agit donc d’organiser l’accès à des capacités passives dans la boucle locale.
Pour ce faire, subsistent néanmoins plusieurs questions techniques, économiques et réglementaires.
Difficultés Techniques.
Quel point de mutualisation est adapté techniquement ?
Il est tout d’abord lié au choix de la topographie, de la localisation des chambres de mutualisation qui diffère selon des opérateurs.
La question est plus simple pour le FFTC+VDSL, où il y a peu de doute que ce ne soit le sous-répartiteur (ce qui n’est pas forcément très facile à mettre en œuvre)
Une des difficultés du FFTH est la reconstruction de ce monopole naturel qu’est une nouvelle boucle locale fixe dans un contexte de pluralisme.
Il dépend également de la technologie et de l’architecture choisie.
Certaines technologies permettent moins facilement que d’autres l’accès à des capacités passives en un nombre de points raisonnables, à moins que la redondance nécessaire n’ait été prévue et anticipée au moment du déploiement, avec des capacités excédentaires de fibres et de splitters.
Est-ce le cas aujourd’hui dans les déploiements qui ont lieu en France ?
Toutefois, même les technologies point à point supposent, pour être partageables, des locaux suffisamment dimensionnés.
Difficultés économiques
L’accès aux infrastructures passives doit être donné en un nombre raisonnable de points de mutualisation.
Le dégroupage de la boucle cuivre supposait le raccordement en un nombre de points limités du réseau, les répartiteurs.
Nous voyons bien qu’un accès donné en pied de chaque immeuble constituerait une énorme barrière à l’entrée.
Si ces questions ne sont pas résolues, nous voyons qu’il y a donc un risque certain de dégradation de la concurrence par le dégroupage que nous connaissons aujourd’hui au profit d’une concurrence par le bitstream qui dans notre pays a toujours été un " second best " c’est-à-dire un complément temporel ou géographique au dégroupage.
Dans ces conditions, quelle action publique envisager ? Et notamment quelle régulation ?
Comme nous l’avons vu, l’accès aux fourreaux devrait pouvoir trouver sa solution dans le cadre actuel.
Mais comment organiser aujourd’hui l’accès, bien sûr à des conditions tarifaires raisonnables à définir, à des capacités passives de ce nouveau monopole de boucle locale ?
La " review " devrait certes nous le permettre, notamment par une révision de l’art.12 de la directive cadre qui aujourd’hui précise que les " régulateurs doivent encourager le partage des facilités essentielles ".
Il s’agirait de préciser un principe symétrique consistant à obliger les opérateurs à négocier de bonne foi l’accès à ces facilités essentielles et en envisageant que tout refus serait porté devant l’ARCEP.
Les Etats auraient la possibilité d’imposer en outre la pose de facilités passives redondantes.
Toutefois, ces dispositions risquent d’arriver trop tard, alors que ce qui ressemble fort à un monopole naturel est en train de se déployer sous nos yeux…
L’ARCEP investigue aujourd’hui avec les opérateurs les voies possibles d’un partage afin que des lignes directrices puissent être établies sur ce que devrait être une offre raisonnable d’accès à la partie terminale passive du réseau d’accès.
Enfin dans le cadre du CRIP, nous travaillerons avec des acteurs dont nous n’avons pas encore parlé mais qui seront clés sur ce sujet : les collectivités locales. Nous envisageons d’ailleurs un groupe dédié cette année sur ce sujet du FTTH.
L’action facilitatrice des collectivités sera décisive, à plusieurs titres :
1 – A minima, elles peuvent encourager le partage au moment de l’accord des droits de passage.
2 – Elles peuvent être plus proactives et organiser la pose de capacités excédentaires de fourreaux, essentiels pour les opérateurs qui n’en disposent pas.
3 –Elles peuvent aider à lisser l’investissement privé en évitant les duplications inutiles d’infrastructures de base (fourreaux, fibre) mutualisables sur des zones durablement limitées et en organisant un déploiement plus large.
Elles peuvent ainsi avoir un effet de levier sur investissements privés (sur les projets déjà engagés dans les infrastructures de collecte par les collectivités, on constate en général qu’1 € d’investissement public a suscité 3 € d’investissement privé)
4 –Elles peuvent faciliter les négociations avec les bailleurs sociaux (notamment quand elles y ont des participations) et les copropriétés.
5 – Enfin et surtout leur intervention peut être cruciale pour définir une topographie de fourreaux et de chambres commune à l’ensemble des opérateurs et pour assurer une ouverture satisfaisante de cette nouvelle boucle locale.
Nous avons la chance de nous saisir du sujet suffisamment en amont.
Mieux vaut ici prévenir que guérir pour le bien de la collectivité nationale.
C’est la conjonction du dynamisme des opérateurs, de l’action publique nationale, de la régulation et de l’action publique locale qui a permis nos succès dans le haut débit.
Nous sommes à la veille d’un investissement qui sera structurant pour notre pays, notre industrie, nos opérateurs et nos territoires pour les 20 années à venir.
Ce sont des forums tels que celui qui nous réunit aujourd’hui, qui nous aideront à poser sereinement les termes du débat, à trouver les voies de la juste régulation et à construire des partenariats publics/ privés qui permettront à notre pays de garder dans le très-haut débit la place qu’il a su gagner dans le haut débit.