Prise de parole - Discours

Colloque annuel de l’ARCEP du 25 septembre 2012 sur « Les territoires du numérique » : Introduction de la table ronde  sur « La transformation numérique des territoires »,  par Jérôme Coutant, membre du collège de l’ARCEP

Nous allons parler dans l’heure et demie qui suit de la « transformation numérique des territoires ».
De quoi s’agit-il ?

Faisons un instant un parallèle : peut-on parler a posteriori de transformation ferroviaire des territoires ? De même, doit-on considérer qu’il y a eu une transformation électrique, suivie d’une transformation téléphonique des territoires… ?

La question s’adresse tout particulièrement à l’économiste Jean-Marc Daniel, professeur associé à l’ESCP Europe et journaliste. Il ouvrira le débat sur un aspect important de notre histoire, le rôle des infrastructures - transport, énergie, communication et même éducation - dans le développement économique et la structuration des territoires au cours des deux siècles précédents.

De toute évidence le numérique transforme notre vie, notre rapport au temps et à l’espace. Internet est aujourd’hui le moteur de l’innovation  dans tous les domaines et relie entre eux déjà 3 milliards d’êtres humains qui peuvent coopérer s’ils le veulent, ou résister. Nous sommes à « l’âge de la multitude ». C’est évidemment sans précédent dans l’histoire de l’humanité !

C’est pourquoi il est urgent de se poser la question suivante : quelle stratégie numérique pour les territoires en France, comment organiser leur bascule, leur transformation numérique pour armer les entreprises et les citoyens français dans la compétition économique mondiale ? Dit autrement, comment faire exister 68 millions de personnes dans un univers de 7 milliards d’êtres humains ?

C’est pour nous guider dans ces réflexions que le comité de prospective de l’ARCEP s’est intéressé en 2011 à certains leviers de transformation numérique à fort impact territorial. Je voudrais évoquer rapidement quelques aspects remarquables :

Nous avons examiné avec la FING les travaux sur la ville durable et connectée, les smart cities. Nous nous sommes intéressés aux bâtiments intelligents et aux perspectives ouvertes par la convergence entre internet et réseaux d’énergie, les smart grids. Nous avons auditionné des acteurs français de cloud computing, notamment des acteurs régionaux. Nous avons été sensibilisés aux enjeux de l’open data, et aux technologies dites de big data pour exploiter les données publiques et privées, qui sont « le bio-carburant de l’ère numérique ». Nous avons évoqué avec Pierre Bellanger les risques bien réels de perte de souveraineté numérique pour la France et pour l’Europe si nous ne fixons pas des règles de  territorialité en matière de centre serveurs.

Nous avons aussi réfléchi aux changement très structurants induits par la fibre optique : son potentiel quasi infini de montée en puissance ; la symétrie des flux qui replace l’usager au centre, au 1er km, et non plus à la périphérie du réseau ; le rétrécissement de l’espace et donc la possibilité de créer de la valeur depuis n’importe quel point du territoire, loin des matières premières, loin des villes, loin du donneur d’ordre.

Nous avons évoqué la croissance fulgurante des usages de l’internet mobile, qui attire toutes les convoitises et pourrait constituer un nouveau relais de croissance pour le secteur. « Le téléphone mobile aura-t-il la peau de la télévision », titrait récemment un excellent article de presse. Arun Bickshesvaran, Directeur du marketing d’Ericsson, nous éclairera sur les bouleversements à venir dans ce domaine.

Ces quelques exemples d’innovations, de tendances, vont constituer, parmi bien d’autres, autant d’opportunités pour les entreprises et pour les territoires. Encore faut-il qu’elles figurent en bonne place dans l’agenda des managers publics et des entrepreneurs.

Justement, quel est le regard des entreprises sur ces sujets ? Aucune entreprise, grande ou petite, ne peut prospérer sans intégrer le numérique à tous les étages. Quel environnement territorial faut-il alors mettre en place pour favoriser l’innovation et la créativité des entreprises ? Christian Sainz, entrepreneur et chargé de l’économie numérique à la CGPME répondra à cette question. Il nous apportera le témoignage des 3 500 000 entreprises françaises.

Sans vouloir préempter sa réponse, un élément d’environnement semble dominer tous les autres : c’est la disponibilité d’infrastructures numériques neutre et ouvertes, réseaux bien sûr, mais aussi plates-formes mutualisées de services ou de stockage de données.

S’agissant des réseaux, nombreuses sont les collectivités territoriales qui ont agi depuis une dizaine d’années avec beaucoup de clairvoyance et de courage pour aménager le territoire en haut et très haut débit et dynamiser la concurrence. Dans le contexte de l’éclatement de la bulle internet, leur intervention sur les réseaux de collecte a eu un effet catalyseur sur l’investissement privé et permis de dynamiser le dégroupage et de faire naître des offres de services adaptées aux PME sur une bonne moitié du territoire, y compris parfois dans des zones très rurales.

Le déploiement des réseaux de nouvelle génération est une course mondiale, c’est aussi un nouveau défi pour la France. Le risque de fracture numérique est considérable et les collectivités territoriales ont à nouveau un rôle essentiel à jouer. Deux visions se confrontent : d’un côté ceux qui pensent que le réseau n’est qu’un accessoire de l’économie réelle, comme l’était le réseau ferroviaire ou le réseau téléphonique ; Il suffirait donc de répliquer le modèle classique de déploiement, par densité décroissante ; de l’autre ceux qui pensent que le nouveau réseau est une infrastructure essentielle pour tous, le moteur et le coeur du processus de création de valeur au cours des prochaines décennies ; alors il faut un déploiement concomitant sur l’urbain et le rural, une complémentarité entre initiatives privées et intervention publique et naturellement l’aide publique nécessaire à une infrastructure de long terme essentielle. C’est l’approche retenue aujourd’hui. L’ARCEP a inscrit les principes de concomitance urbain/rural, de mutualisation de l’investissement et de complétude des déploiements au cœur de ses décisions sur les réseaux de fibre à l’abonné et sur la 4G.

Naturellement, le grand chantier de l’infrastructure numérique de la France au 21ième siècle démarre à peine. Des questions très importantes demeurent, comme celle du financement de la péréquation nationale, question qui relève du Gouvernement et du Parlement. Je suis très heureux que Gwenegan Bui, vice-président du Conseil régional de Bretagne en charge du numérique et député du Finistère, soit avec nous. Il a travaillé sur la stratégie numérique de sa région. Il nous donnera sa vision de la transformation numérique des territoires du point de vue des collectivités, et je l’espère, du point de vue du législateur.

Reste maintenant une question importante : dans cette période de crise économique aigue, la transformation numérique des territoires sera-t-elle suffisante pour en sortir ?

Les grandes transformations économiques de l’histoire se sont produites quand une nouvelle technologie de communication ou de transport a convergé avec un nouveau système énergétique. L’infrastructure planétaire émergente, internet, rétrécit l’espace et ouvre l’ère de la coopération, de l’intelligence partagée, d’une gestion plus solidaire, plus éco-responsable, des ressources de la planète. Nous sommes, je l’espère, à la veille d’une nouvelle convergence entre communication et énergie.

C’est pourquoi j’ai demandé à Gilles Berhault, président du Comité 21 et récemment président du pavillon français à Rio+20, de nous expliquer les effets de cette convergence entre transformation numérique et développement durable des territoires. Il sera en quelque sorte le porte-parole des générations futures.

Nous aurons donc cinq regards croisés sur le thème de la « transformation numérique des territoires ». Ma conviction personnelle profonde, c’est que l’alliance du numérique et du green, de l’intelligence collective en réseau et de la durabilité, constituent l’une des clés de la renaissance.

A moins qu’il ne s’agisse d’une utopie ? Comme Daniel Kaplan, que je cite : «  je constate en tout cas que malgré la résistance du réel, l’énergie des acteurs territoriaux demeure. C’est peut-être cela le vrai sens d’une utopie : elle ne donne pas la clé de la transformation, mais la force nécessaire pour l’accomplir ».

Je passe maintenant la parole aux intervenants.