Prise de parole - Interview

Câble, nouvelle économie et règlementation : une interview de Roger Chinaud publiée dans "Stratégies Télécoms et Multimédia" / 21 janvier 2000

Membre du collège de l’Autorité de régulation des télécommunications (ART) depuis sa mise en place début 1997, Roger Chinaud, ancien parlementaire , dispose ainsi, à côté de sa compétence technique, d’une solide connaissance du terrain. Quelques jours avant la tenue de la quatrième édition des Journées du Câble, il évoque la place de ces réseaux dans de ce que l’on a désormais coutume d’appeler la nouvelle économie. Encore une fois, il plaide pour l’harmonisation des régimes juridiques des réseaux câblés et de télécommunications.

Ainsi, si l’on s’émeut régulièrement aujourd’hui de la très faible, voire inexistante, ouverture de la boucle locale à la concurrence, il nous rappelle que la présence de services de télécommunications sur les réseaux câblés a pourtant été très rapidement l’objet de décisions importantes de la part du régulateur.

Il se félicite parallèlement du volontarisme des collectivités territoriales, dans un contexte qui ne leur facilite pas la tâche : fréquemment consultée par celles-ci, l’Autorité assume alors pleinement sa mission de conseil.

Stratégies Télécoms & Multimédia - Peut-on vraiment compter sur les réseaux câblés comme vecteur de développement de la concurrence dans les télécoms sur la boucle locale ?

En effet, le fait que l’accès à Internet démarre lentement et surtout que les service de télécoms soient encore pratiquement inexistants sur les réseaux câblés en France ne fait-il pas douter de la capacité du câble à remplir cette fonction ?

Roger Chinaud - Le développement de la concurrence sur la boucle locale est une nécessité absolue. Comme il ne peut y avoir un seul type de concurrent, nous avons privilégié un certain nombre de pistes dont la boucle locale radio pour laquelle l’appel à candidatures est en cours et le câble, sans oublier le dégroupage. Je rappelle que nous avons soutenu le câble dès le début puisque l’une de nos première décision portait précisément sur le câble et que cette décision visait justement à encourager le développement de l’accès à Internet sur le câble. Rapidement, nous avons pris une autre décision qui elle était favorable au développement d’une offre de service téléphonique sur le câble. Nous avons donc très tôt fait en sorte que le câble puisse être un facteur de développement de la concurrence sur la boucle locale. Ces décisions de l’ART étaient positives.

Si les opérateurs concernés n’ont pas pu être plus rapides et plus efficaces dans le développement de ces services, nous le regrettons bien sûr. Et, c’est à eux qu’il faut demander pourquoi …!

STM - Le fait que, Lyonnaise Câble et NC Numéricâble, les deux plus gros opérateurs en dehors de France Télécom aient été jusqu’à récemment bridés par le Plan Câble, explique-t-il totalement ce moindre dynamisme dans le développement des nouveaux services sur le câble ?

RC - Nous nous sommes certes demandé pendant quelque temps si l’opérateur Lyonnaise Câble, qui a très tôt déclaré ses intentions de se développer sur ces marchés, avait vraiment l’intention d’aller au bout de la démarche qu’il avait engagé. Nous avons remarqué que cette société a connu des problèmes de technique et de métier qui l’ont empêchée d’aller plus vite dans la mise en œuvre de ces projets. Se sont ajoutés sans doute des problèmes d’appréciation de ces difficultés et la stratégie de lenteur de France Télécom. Ces problèmes semblent aujourd’hui résolus mais je pense qu’il faudra maintenant attendre le franchissement de la prochaine étape, à savoir le choix du troisième partenaire de la nouvelle entité constituée entre France Télécom et Lyonnaise Communications , pour voir les choses évoluer sensiblement : cela ne devrait plus tarder. NC Numéricâble s’est d’abord concentré sur d’autres priorités et s’est intéressé plus tard à ces marchés.

STM - La part non négligeable occupée par FranceTélécom dans le capital des société d’exploitation créées récemment par ceux-ci n’est-il pas un handicap, un facteur d’immobilisme ?

RC - Je crois que France Télécom a évolué sur la question du câble. L’opérateur historique a aujourd’hui intérêt à valoriser ses fortes participations dans le câble, avec une stratégie d’investisseur ; Son intérêt est que la valorisation des sociétés en question soit la plus élevée possible au moment où il se retirera. Cela explique le poids de France Télécom dans le choix du troisième partenaire que je viens d’évoquer.

STM - Et si ce troisième opérateur était NTL, dont France Télécom est actionnaire, comment l’ART réagirait-elle ?

RC – L’ART n’a pas à s’immiscer dans la politique industrielle des opérateurs. Elle doit simplement s’assurer lors des modifications substantielles du capital des sociétés titulaires d’une licence L.33-1, que les engagements pris par l’opérateur seront tenus, les dispositions du cahier des charges appliquées et que la société nouvelle a la capacité technique et financière de répondre durablement aux obligations résultant des conditions d’exercice de son activité. Les conditions nécessaires pour assurer une concurrence loyale figurent dans le cahier des charges et sont précisées par la loi.

STM - Votre présence aux Journées du Câble marque-t-elle selon vous sans ambiguïté la nature multiservices du câble et votre compétence à en assurer la régulation, même si celle-ci n’est pas encore officialisée ?

J’insiste sur le fait que nos premières décisions importantes ont concerné le câble. Après avoir été saisi par les deux opérateurs du Plan Câble, nous nous sommes prononcés dans un délai très court, dans un sens favorable à l’ouverture de la concurrence. Et, notre légitimité à nous prononcer sur ce type de litige a été confirmée par la cour d’appel de Paris. Cette décision a d’ailleurs posé l’Autorité qui, en cas de décision contraire, aurait perdu une large partie de la crédibilité dont l’avait investi le législateur et dont l’existence aurait de fait été sérieusement remise en cause. Ceci fût, nous dit-on, peut être espéré …. !

STM - Dans la contribution que vous avez remise à la consultation lancée le 5 octobre par le Gouvernement sur la société de l’information, vous évoquez l’harmonisation des régimes juridiques des réseaux câblés et des réseaux de télécommunications. Pouvez-vous nous rappeler votre analyse sur cette question ?

RC – L’Autorité est en effet favorable à une harmonisation des régimes juridiques qui s’appliquent aux réseaux câblés et aux réseaux de télécommunications. Nous avons d’ailleurs déjà proposé au Gouvernement un projet de modification du code des postes et télécommunications, qui harmonise, dans le cadre défini par l’article L.33-1, le régime d’autorisation de ces réseaux et prévoit que les demandes de licences sont instruites par l’Autorité.

Notre proposition, qui s’inscrit dans le cadre d’une démarche de simplification et de prise en compte des évolutions technologiques, va au-delà des réseaux câblés utilisant une technologie filaire : nous souhaitons qu’un régime commun soit mis en place pour l’ensemble des réseaux – réseaux par satellites, réseaux de boucle locale radio via la technologie MMDS, réseaux audiovisuels par voie hertzienne terrestre -, qui soit indépendant des services transportés.

STM - Plus largement, pouvez-vous nous résumer les points forts de cette contribution ?

RC – Nous évoquons la régulation d’Internet et rappelons que son développement s’inscrit déjà pour une large part dans le droit en vigueur, en particulier le droit des télécommunications. Pour ce qui concerne les contenus, la distinction fondamentale entre correspondance privée (e-mails, commerce électronique) et communication ouverte au public (forums, …) nous paraît s’appliquer aussi à ce nouveau mode de communication. Concernant le développement de l’Internet, il nous semble qu’il passe nécessairement par la liberté d’accès aux réseaux, c’est à dire une concurrence effective et loyale au bénéfice du consommateur.

Pour assurer la régulation des contenus, qu’il convient de distinguer des contenants, nous estimons que l’approche pragmatique envisagée par le Gouvernement, la corégulation qui associe les différents acteur – y compris les pouvoirs publics -, semble bien adaptée à la situation d’Internet en France.

Enfin, nous estimons que la diffusion de l’accès à Internet passe par le développement concomitant de l’accès à Internet par le réseau commuté et les accès à haut débit : le dégroupage de la boucle locale et les technologies ADSL semblent ainsi un moyen efficace de contribuer à l’essor du marché.

STM : Je crois que vous envisagez également l’aspect international d’Internet ?

RC : En effet ! Je pense qu’il est essentiel que la France soit présente au plan européen et au plan international pour défendre notre conception de l’Internet face à la domination de fait du continent nord-américain. C’est pourquoi nous souhaitons que soit rapidement achevée le processus de transposition de certaines directives communautaires

STM - Que pensez-vous des propositions de modifications de l’amendement à la loi d’aménagement du territoire formulée par plusieurs collectivités ou groupements de collectivités, dont le Sipperec et l’Avicam, le mois dernier ?

RC - Dans le discours qu’il a prononcé à l’Université d’été de la communication à Hourtin, le Premier ministre, Lionel Jospin avait insisté sur le fait que les collectivités devaient s’investir pour faciliter l’accès de leur concitoyens à la société de l’information. Face à cette position avancée, le lobbying de France Télécom a visiblement été très efficace, puisque le texte de l’amendement à l’article 17 de la loi d’orientation sur l’aménagement durable du territoire est plutôt restrictif et surtout imprécis sur plusieurs points, en particulier sur les notion de carence et de publicité. Mais il demeure quelque chose de positif : en effet, il est reconnu aux collectivités territoriales un droit d’investir dans des boucles locales.

STM - Quel doit selon vous être le rôle des collectivités en matière de télécoms ?

RC - Les collectivités ne doivent pas faire n’importe quoi. Mais, dans une grande partie du territoire, il est évident que si celles-ci n’investissent pas, il y aura du retard pris. Aujourd’hui, il faut que des collectivités se lancent. Et je constate que même parmi celles dont les maires, parlementaires ont voté le texte en vigueur aujourd’hui, il en est qui sereinement et à juste titre avancent. Il apparaît ainsi, une fois de plus, que ce sont les faits qui seront créateurs du droit. Mais, on peut regretter que dans un domaine qui avance aussi vite que les télécoms, on ait pris un tel retard en raison des freins qui existent. Cela dit, il y a une ouverture dans la loi, il faut la faire vivre. Pour ce qui nous concerne, nous jouons notre rôle de conseil. Nous sommes en effet souvent appelés par des collectivités locales ; nous allons sur place travailler avec leurs équipes.

STM - Le fait que des câblo-opérateurs soient candidats à la BLR pour prolonger leurs réseaux câblés et les étendre aux zones peu denses vous semble-t-il normal et pertinent ?

RC – Les candidatures sont libres. Nous les attendons pour le 31 janvier au plus tard, les licences devant pouvoir être attribuées pour le fin du premier semestre.

STM - L’ART a donné une évaluation de 60 milliards de francs pour la part du local dans un marché des télécoms évalué en 1998 à 176,5 milliards de francs. Quelle place pourraient occuper les câblo-opérateurs sur ce segment du marché des télécoms ? L’explosion d’Internet et le besoin de bande passante, et donc de réseaux haut débit, vont-il être à l’origine de la renaissance du câble et de son succès futur ou bien le câble doit-il plutôt compter sur la téléphonie ?

Nous avons permis aux opérateurs d’aller vers ces marchés. A eux de s’y atteler et de faire en sorte d’y occuper une place significative.

STM – Quelle place occuperont les constellations de satellites sur ce vaste marché ?

RC - Beaucoup d’interrogations ont été suscitées par les déboires d’Iridium et d’ICO. Mais, si ces projets n’ont pas rencontré de succès commercial, c’est parce que leur stratégie n’a pas été jugée bonne par les marchés financiers américains. Il ne faut pas pour autant considérer que le satellite n’a pas d’avenir : ce serait une faute lourde ! La France occupe dans ce domaine une place très importante : elle est largement impliquée dans les projets Globalstar et Skybridge. Notre pays est l’un des rares au monde, le seul en Europe, à posséder une maîtrise industrielle (fabrication de satellites et de lanceurs) et financière spécialisée (banques et assurances) ; c’est une grande chance dans la formidable bataille mondiale aux prémices de laquelle nous assistons en ce moment.

STM - Le rapprochement ou plutôt la fusion entre l’ART et le CSA vous semble-il totalement inéluctable ?

RC - Si cette question n’est pas vraiment d’actualité, il est certain que les faits feront évoluer les choses. Aujourd’hui, nous avons des problèmes spécifiques à régler, notamment tout ce qui concerne la mise en place de la concurrence sur le marché du service téléphonique. Et les problèmes sont ici très différents de ceux rencontrés dans l’audiovisuel. Nous sommes bien sûr ouverts à la réflexion. Nous avons d’ailleurs avec les régulateurs européens des échanges à ce sujet. Dois-je rappeler que les directives en-cours d’examen incitent les régulateurs à affiner leur réflexion sur les thèmes " contenants - contenus ", qui ne sont pas de même nature et nécessitent donc bien des approches différentes.

Propos recueillis par Françoise Payen

 

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