Prise de parole - Discours

Audition de Paul Champsaur, Président de l’ARCEP, par la Commission parlementaire du dividende numérique, le 22 mai 2008

Monsieur le Président,

Mesdames et Messieurs les Parlementaires,

Mesdames et Messieurs.

Je remercie la Commission du dividende numérique pour l’organisation de cette audition. C’est pour moi l’occasion de vous présenter, en tenant compte de l’avancement des travaux, des points complémentaires à ceux abordés lors de la précédente audition du 17 janvier dernier sur cette question essentielle qu’est le dividende numérique, puis de répondre au mieux à vos questions.

1. Au préalable, je souhaite rappeler l’enjeu majeur d’aménagement du territoire associé à la mise à disposition de fréquences basses du dividende numérique pour les services mobiles

Les services de communications mobiles s’apprêtent à suivre le même chemin que les services fixes, c’est-à-dire une transition accélérée vers l’accès à haut et très haut débit.

L’accès mobile devrait naturellement s’inscrire dans le prolongement des offres Internet fixe, pour assurer au consommateur - particulier ou professionnel - la continuité et l’ubiquité de l’accès personnel aux services Internet, sur une grande diversité de terminaux, en dehors de son domicile ou de son entreprise, avec le même confort d’utilisation et la même richesse d’usages que les accès filaires performants.

Cette tendance peut dès à présent être observée sur le marché, à travers la croissance des débits et du trafic de l’UMTS et ses évolutions, ainsi que l’introduction de terminaux adaptés à l’internet mobile.

Le coup d'envoi est d’ores et déjà donné pour l'introduction des systèmes qui prendront la succession de l’UMTS au tout début de la prochaine décennie. Il s’agit en particulier des systèmes dits 3G LTE - LTE désignant " évolution de long terme ".

L'attribution de la bande de fréquences hautes à 2,6 GHz harmonisée à cette fin en Europe est déjà engagée. La Suède vient d'attribuer des licences par enchères et les opérateurs retenus annoncent un déploiement à partir de 2010. Le Royaume-Uni et l'Allemagne s'apprêtent à le faire d'ici quelques mois.

Mais pour que les réseaux à très haut débit puissent être déployés sur l’ensemble du territoire, il est indispensable que leur soient allouées de nouvelles fréquences basses, c’est-à-dire inférieures à 1 GHz, dont les propriétés physiques de propagation radioélectrique sont adaptées à la réalisation d’une couverture étendue. En effet, la bande de fréquences à 900 MHz, qui a rendu possible la couverture GSM et va permettre l'extension de la couverture UMTS, est beaucoup trop étroite pour les technologies à très haut débit.

Sans fréquences basses additionnelles, les services mobiles vont donc se trouver dans une pénurie grave de fréquences basses et une nouvelle fracture numérique apparaîtra entre les zones denses où le très haut débit mobile sera disponible grâce à la bande haute à 2,6 GHz et le reste du territoire.

Aux Etats-Unis, les fréquences à 700 MHz ont été mises aux enchères début 2008. L’opérateur Verizon a annoncé un déploiement du LTE dans cette bande à partir de 2010.

Pour l’Europe, une étape importante a été franchie en novembre 2007, avec l'identification par la Conférence mondiale des radiocommunications – la CMR - de la sous-bande 790 à 862 MHz. Même si cette quantité de spectre est faible par rapport aux besoins et en retrait par rapport à celles identifiées dans d’autres régions du monde, cette décision est essentielle et doit être mise en œuvre.

A cet égard, les travaux d’harmonisation des conditions techniques d’exploitation de la sous-bande pour les services mobiles sont déjà en cours au niveau européen et devraient aboutir d’ici début 2009.

L’affectation effective aux services mobiles de la sous-bande identifiée à la CMR relève cependant d’une décision des Etats-membres. Une décision en ce sens a déjà été prise en Suède le 19 décembre 2007. La procédure de délivrance de licences est envisagée pour 2009 ou 2010 et viendra ainsi compléter la procédure menée cette année pour la bande 2,6 GHz.

Cette décision laissera largement ouvertes les possibilités de développement des services audiovisuels, qui sont de toute manière les principaux bénéficiaires du dividende numérique.

En effet, la sous-bande identifiée à la CMR ne représente qu’une part très minoritaire du dividende numérique. Elle n’entre qu’à hauteur de 40 MHz en recouvrement avec la bande UHF affectée à la radiodiffusion. Les 32 MHz compris entre 830 et 862 MHz sont affectés au système Félin du Ministère de la défense, avec lequel des discussions sont déjà engagées concernant une migration vers des fréquences plus hautes.

De plus, les études techniques disponibles indiquent qu’une densification de l’utilisation de la bande UHF bien au delà des seuls sept multiplexes audiovisuels actuellement prévus est aisément réalisable. Elles montrent ainsi que, tout en réservant la sous-bande 790-862 MHz pour les services mobiles, il est possible de mettre en œuvre 12 multiplexes audiovisuels, soit 10 multiplexes de TNT et 2 multiplexes de télévision mobile DVB-H.

Au demeurant, les analyses économiques confirment l’intuition que l’accroissement de bien-être social correspondant à l’introduction de chaînes supplémentaires, lorsqu’est déjà offert un grand nombre de chaînes, est très faible, alors qu’il est très élevé lorsqu’est étendue à l’ensemble du territoire une couverture en très haut débit mobile autrement limitée aux seules zones denses.

Pour que cette sous-bande puisse être effectivement libérée, il est crucial que le schéma national d'arrêt de la diffusion analogique et de basculement vers le numérique garantisse son dégagement à l’extinction de l’analogique.

La libération de la sous-bande n’affectera que peu le schéma national d’arrêt de la diffusion analogique et de basculement vers le numérique, dont la complexité est due à l’ampleur considérable des réaménagements propres aux conditions de mise en œuvre de la TNT, comme l’a montré l’Agence nationale des fréquences (ANFR) dans son rapport remis au Comité stratégique pour le numérique le 8 août dernier.

2. Pour réussir le déploiement sur tout le territoire du très haut débit mobile lors de la prochaine décennie, des décisions politiques sont indispensables aujourd'hui :

Il est indispensable d'inscrire dans le tableau national de répartition des bandes de fréquences arrêté par le Premier Ministre l'affectation à titre exclusif de ces fréquences aux services mobiles dès l'arrêt de la diffusion analogique.

Il est indispensable également que le schéma d'arrêt de la diffusion analogique et de basculement vers le numérique garantisse que les fréquences d'atterrissage des multiplexes audiovisuels se situent à l'extérieur de cette sous-bande sans délai à l'extinction de l'analogique.

Il est indispensable enfin de donner les orientations concernant la migration du système Félin du Ministère de la défense vers des bandes hautes, permettant l’engagement des travaux pour l'établissement de son calendrier précis et de ses modalités financières.

Ces décisions donneront aux acteurs, opérateurs et constructeurs, la visibilité et les garanties qui leur sont nécessaires pour engager sans attendre sur le plan industriel et économique la préparation des investissements nécessaires, dans un contexte de compétition mondiale.

Elles fourniront un mandat clair à l'Agence nationale des fréquences pour mener les négociations bilatérales de coordination aux frontières qui sont de toute manière indispensables pour coordonner les opérations de basculement vers la diffusion numérique entre pays voisins.

Elles permettront enfin à l’ARCEP d’engager la préparation de l’attribution des licences, en prenant en compte simultanément les fréquences basses issues du dividende numérique - pour les besoins de couverture - et les fréquences hautes à 2,6 GHz - pour la capacité en zones denses -. Une consultation publique pourrait être lancée en 2009.

3. Les modalités d'attribution des fréquences basses issues du dividende numérique devront être conçues en fonction de l’objectif de couverture de l’ensemble du territoire en très haut débit mobile d’ici le milieu de la prochaine décennie

Même s’il convient à ce stade de rester prudent compte tenu notamment des travaux d’harmonisation en cours au niveau européen qui définiront d’ici début 2009 l’organisation technique de la sous-bande, plusieurs pistes pourraient d’ores et déjà être esquissées :

- les licences attribuées devraient inclure une obligation de déploiement sur l'ensemble du territoire du très haut débit mobile. Cette obligation pourrait porter sur la fourniture au milieu de la prochaine décennie d'un débit d'au moins une dizaine de Mbit/s sur une couverture de la population analogue à celle aujourd’hui atteinte en GSM.

- chaque licence devrait comprendre une quantité suffisante de spectre pour la fourniture effective aux consommateurs des débits attendus lors de la prochaine décennie. Compte tenu de l’objectif en débit, la relative étroitesse de la sous-bande identifiée à la Conférence mondiale des radiocommunications limite le nombre de licences possibles et introduit des contraintes techniques pour son exploitation : il devrait être possible d’y attribuer 2 licences de 15 MHz duplex, voire peut-être 3 licences de 10 MHz duplex. Ces éléments devront être confirmés et précisés en fonction de l'organisation technique de la sous-bande en cours d'harmonisation au niveau européen.

- plusieurs licences devraient être attribuées pour assurer une concurrence effective au bénéfice du consommateur. En effet, la constitution d'un seul réseau en situation de monopole dans cette sous-bande ne saurait être envisagée pour desservir ces zones non denses d'une ampleur considérable, puisqu'elles représentent de l'ordre de 70% de la surface du territoire et 30% de la population. Cependant, dans la mesure où la quantité de fréquences du dividende numérique attribuées aux services mobiles ne permettrait pas d'attribuer autant de licences que dans les bandes de fréquences hautes, il sera nécessaire d’explorer les possibilités de mutualisation ou de co-investissement entre opérateurs.

- Enfin, les redevances associées à la délivrance de ces fréquences devront être définies par le Gouvernement. Elles s'ajouteront pour les opérateurs aux charges de remboursement du fonds de réaménagement du spectre pour la migration du système du Ministère de la défense. Le montant des recettes résultantes tiendra compte de l'ampleur des obligations associées, notamment en terme de déploiement.

Il appartiendra alors aux pouvoirs publics de définir l’emploi de ces recettes. A titre d’exemple, en France la loi de finances prévoyait l'affectation au fonds de réserve des retraites des redevances associées aux licences d'opérateurs mobiles de troisième génération dans la bande 2,1 GHz. Aux Etats-Unis, la loi a prévu l'affectation du produit des enchères qui viennent de se terminer il y a quelques semaines dans la bande 700 MHz à un fonds - appelé " Digital Television Transition and Public Safety Fund " – contribuant notamment au financement du passage des téléspectateurs de l’analogique au numérique et à la mise en place de systèmes de communications sans fil pour les forces d’urgence.

Je vous remercie de votre attention.