Prise de parole - Discours

Articulation entre politique de concurrence et politique industrielle, articulation entre régulation sectorielle et application du droit commun de la concurrence, recul de la régulation sectorielle asymétrique au bénéfice d'une régulation symétrique pesant sur tous les opérateurs : voici quelques uns des thèmes abordés par le président de l'Autorité, Paul Champsaur, lors de son discours de fin de mandat, le 18 décembre 2008.

Monsieur le Secrétaire général, je voudrais vous remercier tout particulièrement de votre présence et pour les mots par trop élogieux que vous m’avez adressés. Je pense qu’à travers nos personnes ces propos honorent l’Institution, l’ARCEP.

Eric BESSON qui arrivera plus tard prononcera quelques mots de conclusion.

1- Quand je suis arrivé à l’ART le 6 janvier 2003, j’ai été extrêmement bien reçu par mon prédécesseur Jean-Michel Hubert, qui m’avait laissé une ART en parfait ordre de marche, par le Collège de l’époque, par le directeur général, Jean Marimbert et par l’ensemble des services à commencer par Brigitte Bailly, ma collaboratrice de tous les instants.

Gabrielle Gauthey et moi avons pu nous mettre au travail dans une excellente ambiance. Depuis, le temps a passé très vite et je devrais formuler beaucoup de remerciements bien mérités. Je ne vais pas le faire, faute de temps, à deux exceptions près et je prie toutes celles et ceux que je ne cite pas ce soir de bien vouloir m’excuser.

Ces deux exceptions ce sont d’une part Philippe Distler, directeur général depuis octobre 2003 et d’autre part tous les jeunes de l’ARCEP.

Philippe Distler est un remarquable directeur général de l’ARCEP. Sa compétence technique, sa sagesse matinée de détermination, sa sureté ont été pour moi extrêmement précieuses. Nous nous comprenions à demi mot et, avec lui, les choses allaient vite, sans fioritures. Je conserverai un souvenir ému de nos conversations, fréquentes, brèves, confiantes et efficaces.

Dans la durée, la qualité d’une Autorité de régulation repose sur la qualité de ses services. Et de ce point de vue, l’ARCEP est bien dotée. En effet, elle est capable d’attirer de nombreux jeunes, remarquablement talentueux, qui certes ne restent que quelques années à l’ARCEP mais qui sont très compétents, travailleurs et loyaux Je garderai aussi un souvenir ému des réunions de travail avec ces jeunes, fiers à juste titre des analyses qu’ils avaient produites mais ouverts à la discussion et à la critique constructive. Le meilleur vœu que je puisse formuler pour l’ARCEP est de continuer à recruter des jeunes aussi doués et bien disposés.

J’aurai 65 ans le 6 janvier prochain et serai alors à la retraite. Mais, rassurez-vous, je ne vais pas prononcer un discours de départ à la retraite. Je me contenterai de tirer quelques enseignements de ces six années et d’évoquer quelques sujets auxquels l’ARCEP sera confrontée. Je ne résisterai pas, devant une si belle audience, au plaisir de glisser un peu de cours d’économie.

Quand je suis arrivé début 2003, les institutions européennes venaient d’adopter un ensemble de directives dites " paquet Télécom ", qui allait être transposés en droit français par la loi du 9 juillet 2004. Ces textes étaient excellents et l’on pourrait résumer ces six années en disant qu’elles ont été consacrées par l’ARCEP à les mettre pleinement en œuvre dans la forme et dans l’esprit. Ces textes avaient pour objectif premier d’ouvrir à la concurrence de façon pérenne le secteur des services de communications électroniques, au niveau national et au niveau européen. L’expérience a montré que ce secteur se prêtait au développement de la concurrence et que les bénéfices de celle-ci étaient particulièrement marqués. Cela est du à la vigueur de l’innovation qui, facilite l’installation de concurrents et, en retour et est stimulée par la concurrence.

Certains parfois s’interrogent sur l’articulation entre politique de concurrence et politique industrielle. Une bonne articulation ainsi que la prise en compte d’autres objectifs publics légitimes dépend du secteur concerné. Mais dans le cas qui nous préoccupe, la conclusion est claire. L’intégration du marché européen est un élément primordial de politique industrielle. L’ouverture à la concurrence du secteur des services de communication électronique a eu pour effet bénéfique de sortir les monopoles nationaux de leur face à face avec les équipementiers nationaux et de permettre aux producteurs d’équipements de viser d’emblée l’ensemble du marché européen.

Ceci dit, le champ de la concurrence est influencé par d’autres principes, en premier lieu le principe de neutralité qui est souvent invoqué dans le débat européen, par exemple en matière de gestion des fréquences hertziennes. Ce principe part de l’idée que le marché serait mieux placé que les pouvoirs publics, quels qu’ils soient, pour effectuer des choix technologiques voire des choix quant au type de services. Or l’Union Européenne, contrairement aux USA, n’est pas un état fédéral. En conséquence il peut y avoir contradiction entre le souhait d’établir un marché européen unifié et l’application trop poussée du principe de neutralité au niveau de chacun des Etats membres alors que les institutions européennes seraient incapables de leur imposer une harmonisation suffisante de leurs normes et standards. Autrement dit, l’existence d’un marché européen unifié avec tous les bénéfices qui en découlent ne peut se passer d’une politique européenne d’harmonisation active nécessairement plus prescriptive que celle mise en œuvre sur le marché nord américain.

J’ai évoqué cela pour illustrer l’idée que, certes le développement de la concurrence était un instrument décisif pour l’efficacité de notre économie et donc de notre prospérité, mais que le type et le champ de la concurrence méritaient également réflexion en tenant compte des institutions européennes telles qu’elles sont.

L’une des grandes qualités du paquet Télécom de 2002 est d’avoir posé le principe d’une bonne articulation entre régulation sectorielle et application du droit commun de la concurrence en se référant aux mêmes concepts. Le droit commun de la concurrence est incapable de gérer la transition d’une situation de monopole à une situation de concurrence normale, d’où la nécessité d’un droit sectoriel spécifique et d’une autorité de régulation sectorielle. Pour certains, la complexité du fonctionnement des secteurs soumis à régulation sectorielle et l’incertitude éventuelle résultant de l’interaction des compétences respectives de deux autorités indépendantes militent pour que l’autorité de régulation sectorielle soit également dotée d’une partie au moins des pouvoirs de l’autorité horizontale, c’est à dire le Conseil de la concurrence en France. Certains pays se sont orientés dans cette voie. Je ne pense pas que ce soit souhaitable.

En effet, les modes d’exercice des deux compétences, de régulation sectorielle ex ante et de sanction de pratiques anticoncurrentielles ex post, sont profondément différents et se combineraient mal au sein d’une même institution. En outre, la collaboration entre le Conseil de la concurrence et l’ARCEP a été exemplaire. Ainsi il convient de réaffirmer que la régulation sectorielle est par essence transitoire. Sa réussite crée les conditions de son effacement progressif au bénéfice de l’application du droit commun de la concurrence. C’est ce que l’on constate depuis quelques années : l’ARCEP a supprimé toute régulation concurrentielle des marchés de détail et a sensiblement réduit le champ de la régulation qu’elle exerce sur les marchés de gros.

Ainsi le secteur des communications électroniques français est entré de plein pied dans la logique des textes européens. Celle-ci a une grande vertu : elle pousse à mieux distinguer, préciser et éventuellement séparer les différentes missions dont on s’accorde généralement à penser qu’elles relèvent de la responsabilité publique. Le fonctionnement de l’économie y gagne du fait du supplément de transparence et de règles du jeu claires et stables. La décision publique est également améliorée car mieux proportionnée et mieux informée. En témoignent notamment la pratique systématique de consultations publiques et la mise en place de comités ouverts, pérennes et très vivants, qui se sont ajoutés aux Commissions consultatives plus anciennes. Je cite par ordre d’ancienneté le comité de l’interconnexion, le comité d’experts pour l’introduction de nouvelles techniques, le comité des réseaux d’initiative publique (CRIP), le comité des consommateurs. Depuis que l’ART est devenue ARCEP et qu’elle est chargée de la régulation des activités postales, les consultations publiques systématiques se sont étendues à celles-ci. D’autre part le dernier comité mis en place, celui des consommateurs, traite non seulement des services de communications électroniques mais aussi des services postaux. La qualité de la participation à ces comités, et j’en remercie tous les membres, démontre que la régulation n’est pas l’affaire de la seule ARCEP mais bien d’un ensemble beaucoup plus large d’acteurs qui s’y intéressent et s’en sentent un peu responsables.

Quand j’ai évoqué le recul de la régulation sectorielle j’avais en tête la régulation concurrentielle asymétrique, c’est à dire la régulation qui définit et applique des obligations pesant sur les seuls opérateurs dominants. Cependant en faisant allusion à des missions publiques autres que le développement de la concurrence et en citant les divers comités, j’ai introduit implicitement un autre concept, celui de régulation symétrique, c’est-à-dire une régulation qui repose sur des obligations pesant sur tous les acteurs du marché.

Je ne m’étendrai pas sur les diverses composantes de la régulation symétrique et sur les raisons de son importance croissante. Ceci vaut d’ailleurs aussi bien pour les activités postales que pour les communications électroniques. Il faut souligner que la régulation symétrique est le plus souvent une corégulation exercée conjointement par le Gouvernement, qui possède le pouvoir réglementaire, et par l’ARCEP qui apporte son expertise ou propose des textes que le Gouvernement peut homologuer. Le Parlement y contribue également comme le montrent par exemple les parties télécommunications de la loi pour le développement de la concurrence au service des consommateurs et de la loi sur la Modernisation de l’Economie. Je me contenterai de citer trois points. Le droits des usagers, les choix technologiques ou de gestion des fréquences, l’aménagement du territoire.

Par usagers, j’entends aussi bien les consommateurs que les entreprises, notamment petites. Les fruits de la concurrence dépendent beaucoup de la capacité des acheteurs à exercer au mieux leurs choix en disposant d’une bonne information. D’autre part, il est souhaitable que les usagers soient protégés par des règles ou codes de bonne conduite appliqués par tous les opérateurs. Je salue les efforts dans ce sens de la jeune Fédération Française des Télécommunications et ceux de l’Association Française des Opérateurs Mobiles (AFOM), notamment pour favoriser l’autonomie des personnes handicapées. Il est clair que l’interconnexion, l’interopérabilité, le déploiement de nouveaux réseaux, la disponibilité d’équipements utilisables partout et par tous sur le marché français ou européen supposent des choix technologiques et une harmonisation collectives.

Je serai un peu plus long sur l’aménagement du territoire et le rôle des collectivités territoriales. Paradoxalement l’apparition de la concurrence et l’affirmation de la régulation sectorielle ont conduit à ce que ces questions se posent en des termes nouveaux. Ceux qui habitent et travaillent sur un territoire ont intérêt à ce que la concurrence se développe sur ce territoire dans la mesure du possible. Et les collectivités territoriales en sont maintenant bien conscientes tout en étant légitimement attachées à ce que les services soient accessibles à tous dans de bonnes conditions. Les collectivités ont donc cherché à se doter des moyens légaux, je pense à l’article L.1425-1 du Code Général des Collectivités Territoriales, et de l’expertise leur permettant d’intervenir pour favoriser l’offre de services de communication électronique sur leur territoire. L’ARCEP, par l’intermédiaire du CRIP, a mis son expertise et certains de ses instruments à leur service. Elle vient d’achever, à la demande du Parlement, un rapport qui dresse le bilan des RIP, réseaux d’initiative publique. Je me félicite de la qualité du dialogue qui s’est noué entre les collectivités territoriales et l’ARCEP. A titre personnel j’ai été heureusement impressionné par l’engagement et la compétence des responsables politiques territoriaux au cours des conversations que j’ai pu avoir avec eux.

Pour terminer je vais évoquer quelques uns des grands chantiers auxquels l’ARCEP devra s’atteler. J’en ai retenu quatre : la régulation postale, le nouveau cadre européen du secteur des communications électroniques, le déploiement de la fibre optique par plusieurs opérateurs dans la boucle locale, enfin la convergence entre réseaux et contenus, notamment audiovisuels. Dans chaque cas je me garderai de toute prescription de façon à laisser, comme il se doit, toute liberté à nos successeurs.

Sur le secteur postal, l’ouverture totale à la concurrence aura lieu en 2011. D’ici là il faudra préciser les conditions d’une coexistence harmonieuse entre les exigences légitimes de service public et le développement de la concurrence. Celle-ci devrait bénéficier en premier lieu aux entreprises qui sont, et de loin, les principaux émetteurs de courrier. Les textes existants, directives européennes et loi française du 20 mai 2005 sont bons mais assez généraux. Ils laissent donc une large place aux textes réglementaires que prépare le Gouvernement, afin de préciser les obligations de service public ainsi que les modalités de leur gestion et de leur financement. De la qualité de ces textes dépendront la qualité de la régulation postale et une bonne mise en œuvre des obligations de service public. Il est clair que l’entreprise La Poste aura un rôle éminent à jouer dans cette mise en œuvre.

Sur le nouveau cadre européen, je voudrais saluer le remarquable travail réalisé par le Parlement Européen et le Conseil Européen. Leurs efforts conjoints devraient aboutir très bientôt à un nouvel ensemble de directives qui s’annonce excellent. Il ne s’agira pas d’une révolution par rapport au cadre de 2002, révolution qui n’était pas nécessaire. Il ne s’agira pas non plus d’un statu quo. Le succès même des régulations sectorielles dans les pays membres de l’Union Européenne a fait apparaître ces dernières années un besoin accru de leur harmonisation dont les institutions actuelles ne permettent pas l’émergence. Il est souhaitable que le Groupe des Régulateurs Européens, le GRE, fonctionne à l’avenir de façon à pouvoir instruire des positions plus tranchées avec l’aide de la Commission Européenne. Autrement dit il est souhaitable que la Commission Européenne et le GRE collaborent activement, la Commission ayant besoin de l’expertise du GRE et le GRE ayant besoin de la légitimité de la Commission en matière d’harmonisation.

Notre pays a pris très au sérieux l’enjeu du déploiement de la fibre optique dans la boucle locale, avec tout ce que cela implique d’investissements et de services nouveaux. Nous nous sommes dotés d’un cadre législatif et réglementaire qui, certes, est adapté à nos caractéristiques propres mais qui est plus avancé que dans beaucoup d’autres pays et qui soulève ailleurs un intérêt admiratif, en Europe et au-delà. Grâce au succès du haut débit, notre pays a la très grande chance que plusieurs opérateurs aient les moyens et la volonté d’investir dans le déploiement de la fibre optique. Je me réjouis des engagements pris mardi dernier par tous les opérateurs concernés au cours d’une réunion organisée par les Ministres Besson et Chatel. L’ARCEP est déterminée à suivre tout cela de très près et à en tirer les enseignements dès que possible quant aux précisions qui restent à apporter afin de compléter le cadre réglementaire.

Sur la convergence, j’ai déjà eu l’occasion de m’exprimer et n’en dirai pas plus. La montée inéluctable des problèmes liés à la convergence rend nécessaire que l’Etat français examine son organisation et l’adapte si nécessaire. C’est ce qui a été annoncé le 20 octobre dernier à l’occasion de la présentation du plan France numérique 2012 par Eric Besson qui, sur ce point avait explicitement cité le Président de la République. Cela renvoie en particulier aux attributions respectives du CSA et de l’ARCEP en tenant bien sûr compte du rôle du Conseil de la concurrence.

En conclusion j’aimerais insister sur un principe essentiel : l’indépendance du régulateur, indépendance vis à vis du pouvoir politique et vis à vis de tous les acteurs du marché, producteurs et usagers. Cette indépendance peut s’exercer pleinement alors même que le régulateur entretient d’intenses relations avec tous et reste dans les limites que la loi et les règlements lui fixent. L’indépendance de l’ARCEP a été parfaite. Je remercie tous les acteurs qui auraient pu être tentés de l’écorner mais qui l’ont bien comprise et respectée.

Cette indépendance repose fondamentalement sur l’existence, la composition et le fonctionnement du Collège. Les décisions de l’ARCEP sont prises finalement par son collège en toute collégialité. Aucune d’entre elles n’est écrite par avance. L’indépendance, la sagesse et la compétence de chaque membre du Collège sont autant d’ingrédients indispensables à une bonne régulation. Alors je dois bien sûr remercier Gabrielle Gauthey. Elle a beaucoup travaillé et s’est beaucoup engagée. Elle a remarquablement représenté l’ARCEP devant les publics les plus divers, aussi bien à l’international qu’auprès des collectivités territoriales. Je lui souhaite le plus grand succès dans sa future fonction. Je remercie aussi du fond du cœur les cinq autres membres du Collège actuel qui feront partie du nouveau collège : Edouard Bridoux, Nicolas Curien, Denis Rapone, Patrick Raude, Joëlle Toledano.

Je souhaite bonne chance au nouveau Collège.

Et maintenant je passe la parole à Gabrielle.