Prise de parole - Discours

5èmes Entretiens de l'Autorité, 27 avril 2000 / "Télécommunications et services multimédias interactifs" : intervention de Jean-Michel HUBERT, Président de l'Autorité de régulation des télécommunications

Mesdames et Messieurs,

Je tiens tout d'abord à remercier les différents intervenants pour la densité et la richesse de leurs réflexions sur un sujet en mutation si rapide et aux conséquences si importantes pour l'ensemble des acteurs, qu'ils soient opérateurs, industriels, distributeurs de services ou consommateurs.

Permettez-moi de remercier également Roger Chinaud pour l'initiative qu'il a prise d'organiser ces cinquièmes Entretiens de l'Autorité sur un thème qui, quelles que soient son ampleur et sa diversité, est assurément proche des préoccupations premières de l'Autorité.

En fait, dans la réflexion que nous menons depuis maintenant trois ans sur la notion de convergence, nous avons toujours cherché à favoriser l'évolution du marché des télécommunications, donc à discerner ce qu'il attend de la régulation. Notre souci constat est d'être à l'heure, voire en avance, aux rendez-vous que nous donne le marché ; j'espère ainsi faire mentir ceux qui me disent que la réglementation et la régulation sont toujours en retard sur la technologie et l'économie.

Cette préoccupation se retrouve d'ailleurs dans les réponses de l'Autorité à différentes consultations publiques : notre contribution au Livre vert de la Commission européenne sur la convergence, notre réponse au Livre blanc du Gouvernement sur la numérisation de la diffusion terrestre de la télévision et de la radio, et, plus récemment, notre contribution à la consultation du Gouvernement sur la société de l'information, et celle que nous avons fournie dans le cadre du réexamen mené par la Commission européenne.

Le développement des services multimédia interactifs, qui s'inscrit dans un contexte de convergence technologique et économique des télécommunications et de l'audiovisuel, est conditionné par le développement des réseaux à hauts débits et l'accès à ces réseaux. C'est à ce titre qu'ils intéressent l'Autorité.

I. Le contexte : la convergence

On assiste aujourd'hui à l'émergence d'une nouvelle économie de la communication, fondée sur la convergence des réseaux et la diversification des services.

La convergence est d'abord le résultat du progrès technique : par la numérisation de l'information, l'usage des différents réseaux tend à se banaliser et à devenir transparent, sinon toujours simple, pour les utilisateurs.

La convergence renforce et élargit l'enjeu économique qui résulte du triptyque : nouvelle technologies de réseaux / nouveaux services / concurrence.

En termes de réglementation et de régulation, cette convergence conduit à distinguer plus nettement les contenus et les contenants.

S'agissant des contenants, depuis sa réponse au Livre vert de la Commission européenne sur la convergence, l'Autorité a régulièrement souligné la nécessité de mettre en place un régime commun pour l'ensemble des réseaux, et cela de manière indépendante des services transportés, pour assurer la neutralité de la réglementation par rapport aux technologies. J'observe que cette orientation figure dans les principes essentiels retenus dans l'état actuel du projet de révision des directives européennes.

En outre, l'analyse des réseaux, et plus généralement du secteur des télécommunications, montre qu'il existe des goulets d'étranglement, actuels ou à venir, qui limitent la progression d'Internet et des services multimédia interactifs, dès lors que des offres intégrées et exclusives, notamment à travers les portails, seraient génératrices de nouvelles positions dominantes.

Tout à l'heure, la question a été posée de savoir si on assiste à un phénomène de convergence ou de divergence. Je souligne que la convergence ne signifie pas l'unicité des technologies et des réseaux, ce qui serait contraire à l'innovation et au développement du marché.

Par ailleurs, la régulation des contenus est au cœur de la réflexion du Gouvernement sur la société de l'information. Cette question, qui a une dimension internationale, doit prendre en compte la culture des acteurs présents, ouverts à l'autorégulation. C'est pourquoi la formule de la corégulation proposée par le Gouvernement me semble pleinement adaptée, en ce qu'elle constitue une solution pragmatique qui associe l'ensemble des acteurs, publics et privés. En effet, là comme ailleurs, la concertation est l'une des clés de la régulation. Je le répète souvent, on doit réguler pour le marché, c'est-à-dire pour les consommateurs ; on ne peut le faire qu'avec les acteurs.

II. Services multimédia interactifs et télécoms

La convergence conduit également à distinguer plusieurs catégories de services :

     

  • Les services qui relèvent de la correspondance privée : les services de télécommunications
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  • Les services qui relèvent de la communication au public : c'est le cas des services audiovisuels et de certains services Internet
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  • Les services mixtes, qui reposent sur une combinaison des deux premiers.
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C'est dans ce contexte qu'émergent les services multimédia interactifs, intégrant en particulier la voix (domaine traditionnel des télécommunications) et l'image (domaine traditionnel de l'audiovisuel). Comme ceux présents sur Internet, la plupart de ces services sont des services mixtes, relevant à la fois du principe du secret des correspondances et des règles de la communication au public.

Or l'évolution en cours consiste à proposer des points d'entrée pour une offre multiple de services. Dans ces conditions, l'approche conduisant à une distinction fondée sur le contenant, donc le réseau, en fonction du type de communication -privée/publique, point/multipoints- qu'il véhicule, pourrait, demain, devenir moins pertinente.

Comme cela a été souligné au cours de ces Entretiens, l'émergence des services de type multimédia et de type interactifs va, à l'avenir, permettre de marier l'offre des services de télécommunications, des programmes audiovisuels et de nouveaux types de services. Demain, la concurrence entre le numérique terrestre hertzien, le câble, le satellite -ou d'autres supports de télécommunications- ne se fera donc plus exclusivement sur les contenus actuels, donc sur les programmes de télévision : il faudra également compter sur une nouvelle offre de services -Internet notamment- afin de répondre à la demande croissante en matière d’interactivité et de haut débit.

Tant du côté des acteurs des télécommunications que de celui des acteurs de l'audiovisuel et des éditeurs de contenus, chacun réfléchit aux synergies possibles.

A cet égard, on constate que l'économie de l'Internet présente des différences importantes en Europe et aux Etats-Unis. En effet, le marché européen de l'accès au réseau, et en particulier celui des communications d'accès à Internet, concentre l'essentiel de la valeur créé au sein de la chaîne de valeur Internet. Aux Etats-Unis, au contraire, c'est dans le secteur des contenus qu'elle se concentre. Les démarches sont par conséquent différentes, mais la priorité reviendra en dernier ressort à la diversité des services proposés. Ainsi, la concurrence ne doit pas s'exercer uniquement sur les réseaux mais également sur les services.

Dans ce nouveau modèle économique, la question de l’accès -telle qu'elle s'exprime pour les télécommunications- est devenue prioritaire, car le contrôle de l'accès à l'utilisateur final soulève bien évidemment la question de la réalité de la concurrence. Comme dans toute économie marquée par la personnalisation accrue de services à haute valeur ajoutée, le marché des services multimédia interactifs confirme le rôle majeur du client final. Mais, encore faut-il que la possibilité d’y accéder soit la même pour tous. C'est ainsi l'un des enjeux majeurs de la concurrence. Les perspectives offertes par le développement du commerce électronique, pour ne citer que cette application, en sont un puissant révélateur.

Ainsi, le commerce électronique et les services multimédia interactifs dans leur ensemble constituent une formidable prise de pouvoir par le consommateur ou par le client suivant le point de vue que l'on adopte.

III. Les enjeux de la régulation des télécoms : l'accès aux hauts débits

L'essor des services multimédia interactifs va dépendre de plus en plus de la diversification des supports et de la généralisation de la voie de retour. Il suppose également la progression des réseaux d'accès à haut débits, car pour être opérationnels, ces services ont besoins de capacités importantes. Dans ce domaine l'Autorité s'attache depuis trois ans à favoriser le développement et la diversification des voies d'accès, à travers son action en faveur de l'ouverture de la concurrence sur la boucle locale. L'accès à Internet à haut débit sur différents supports est une des trames essentielles de notre action.

En effet, Internet est devenu l'un des moteurs essentiels du développement du marché européen des télécommunications. Au cours de l'année 2000, le trafic d'accès à Internet en France devrait dépasser 15% du trafic téléphonique total de France Télécom. D'ici trois ans, il pourrait représenter 50% du trafic local. A cette date, l'accès à haut débit pourrait représenter entre 15 et 30% du marché de l'accès à Internet. C'est dire l'enjeu qu'il représente. Plusieurs solutions vont contribuer à son essor:

     

  • La boucle locale radio: son introduction d'ici l'été 2000 constitue une nouvelle voie pour la fourniture aux entreprises et aux particuliers de services à haut débit. L'accès à Internet y figure logiquement en première place. D'autres services interactifs pourraient également y trouver leur place. La procédure d'instruction doit s'achever comme chacun sait avant le 31 juillet. Nous mettons tout en œuvre pour tenir les délais et même avancer un peu la date de publication des résultats.
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  • La mise à niveau des réseaux câblés: l'année 1999 a été marquée par la reprise des investissements visant à moderniser ces réseaux, et par la conclusion d'accord entre France Télécom et les câblo-opérateurs sur les site du plan câble. Cette nouvelle situation va, je l'espère, permettre un développement rapide des services interactifs, de l'accès à Internet et du téléphone, ce qui constituera une traduction concrète des décisions et des recommandations établies dès 1997 par l'Autorité.
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  • Le dégroupage de la boucle locale: le développement de l'accès à Internet à haut débit passe en particulier par celui des technologies xDSL. Le problème qui se pose aujourd'hui à la régulation est de nature concurrentielle. En effet, il importe d'assurer la mise à disposition de cet atout technologique majeur à tous les opérateurs qui entendent s'engager sur ce marché, ce qui suppose la mise en œuvre du dégroupage. En lançant voici un an et demi une consultation publique sur le sujet, nous avons identifié différentes options possibles et engagé une démarche devant conduire à la mise en œuvre d'au moins deux d'entre elles. Nous avons par là-même manifesté l'importance que nous attachons au dégroupage. Le Gouvernement, puis France Télécom, ont confirmé cette position. Aujourd'hui, notre conviction demeure : le dégroupage est essentiel.
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En ce sens, et prenant acte de la décision prise hier par le Gouvernement, je souligne que l'Autorité a pris l'initiative de travaux associant tous les acteurs, dont France Télécom, qui ont donné leur accord sur un programme et un calendrier. En rappelant qu'il s'agit de travaux préparatoires, je précise que rien, à mon sens, ne justifierait leur interruption.

Je rappelle également que la Commission vient d'adopter une recommandation prônant le dégroupage dans les Etats membres. De fait, les recommandations de la commission prennent une force effective dans un marché soumis à la concurrence. En outre, si cette question ne figure pas encore dans une directive, elle est inscrite à l'ordre du jour du réexamen en cours de la réglementation communautaire.

     

  • Internet sur les mobiles: Le mariage de la mobilité et d'Internet est une autre priorité. L'année 2000 sera marquée par la mise en place de deux processus complémentaires. D'une part, l'arrivée de nouvelles technologies de réseaux et de services, qui vont permettre la fourniture de services Internet dans l'environnement GSM (cela concerne en particulier le WAP et le GPRS). D'autre part, la définition des conditions d'introduction de la troisième génération de mobiles.
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A cet égard, l'Autorité a transmis sa proposition au Gouvernement pour la publication de l'appel à candidatures. Et chacun sait que le Gouvernement examine par ailleurs les dispositions financières qui doivent compléter ce dossier. Nul doute que les prochains jours permettront d'analyser plus précisément la signification et les conséquences de la procédure d'enchères que vient de conduire le Gouvernement britannique, et par là-même d'éclairer des décisions très attendues et dont j'ai conscience qu'elles sont tout aussi importantes, pour ne pas dire cruciales, pour l'action publique et pour le marché : les opérateurs, les industriels et les consommateurs.

Conclusion

Si le développement en France de cette nouvelle économie de la communication va, à n'en pas douter, impliquer de plus en plus les acteurs des télécommunications, leur réussite dépendra toutefois de leur capacité à savoir gérer les contraintes techniques et à trouver le bon modèle économique.

Chargée de définir les conditions d’accès aux réseaux ouverts au public et d’interconnexion de ces réseaux, l'Autorité mesure combien l’accès -à et par l’utilisateur final- est une question centrale pour le déploiement des services multimédia interactifs. Les travaux que nous menons actuellement sur le dégroupage, sur la boucle locale radio, ou sur les mobiles de troisième génération, ne pourront que contribuer à une meilleure diffusion de ce nouveau types de services, au bénéfice des utilisateurs.

Je vous remercie de votre attention.