Prise de parole - Discours

1er Symposium international sur le Développement de la Régulation au sein de l'Espace Francophone 25 juin 2002 / Intervention de Monsieur Jean-Michel HUBERT, Président de l'Autorité de régulation des télécommunications

 

Mesdames et Messieurs,

 

C’est un réel plaisir pour moi de vous accueillir, au nom de l’Autorité, de mes collègues et de moi-même, à ce premier Symposium international sur le Développement de la Régulation au sein de l’Espace francophone ; et je tiens à vous remercier très chaleureusement de votre présence, qui témoigne de votre attachement à la communauté francophone.

 

Je voudrais tout particulièrement saluer la participation à ce symposium de Monsieur Pierre-André Wiltzer, Ministre de la coopération et de la francophonie, qui m’a fait l’amitié d’accepter mon invitation, tardive en raison d’un calendrier que nous ne pouvions maîtriser, et qui nous fera l’honneur de venir témoigner, en conclusion de cette réunion, de l’importance qu’attache le Gouvernement français au développement de la société de l’information au sein de l’espace francophone.

 

Je tiens aussi à saluer les personnalités qui nous ont fait l’honneur de s’associer à ce Symposium :

  • M. Hamadoun Touré, Directeur du bureau du développement de l’Union internationale des télécommunications, institution qui a beaucoup œuvré pour le développement de la société de l’information, notamment à travers la CMDT d’Istanbul.
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  • M. Emmanuel Caquot, Chef du Service des Technologies et de la Société de l'Information au ministère de l’Economie, des Finances et de l’Industrie, qui représente aujourd’hui M. Francis Mer, Ministre de l’Economie, des Finances et de l’Industrie.
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  • M. Michel-Yves Peissik, Ambassadeur plénipotentiaire chargé des télécommunications et de la Société de l’Information au Ministère des Affaires Etrangères.
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  • et M. Roger Dehaybe, Administrateur général de l’agence intergouvernementale de la francophonie.
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Avant de vous présenter les objectifs et l’organisation de notre rencontre, permettez moi de revenir un instant sur les valeurs qui nous réunissent aujourd’hui : la construction d’une société de l’information pour tous, la place qu’est appelée à y jouer la régulation et la francophonie.

 

I. La société de l’information pour tous

 

La société de l'information, c’est une perspective nouvelle pour le développement de nos sociétés. Elle s’appuie sur une véritable révolution technologique, dont la numérisation de l’information est la clé de voûte. Par son caractère immatériel, elle accélère de façon vertigineuse la circulation de l’information et les échanges entre les hommes, où qu’ils se trouvent dans le monde. A ce titre, elle est un facteur de rapprochement entre les cultures et les civilisations, qui favorise leur compréhension mutuelle. Elle est un instrument privilégié pour renforcer la solidarité et l’amitié entre les peuples.

 

La société de l’information contient des éléments d’humanisation de la mondialisation, car elle place potentiellement chaque être humain au cœur de l’histoire et de la géographie mondiales. Elle est ainsi de nature à modifier le rapport de l’humanité à l’espace et au temps ; ce faisant, elle va changer en profondeur les relations sociales et l’organisation économique auxquelles nous sommes habitués.

 

Comme toute innovation majeure, l’avènement des technologies de l’Information et de la Communication est porteur de nombreux espoirs mais comporte aussi de défis et de risques importants.

 

Les nouvelles technologies recèlent ainsi des d’immenses possibilités pour permettre à chacun d’accéder plus facilement à l’information, à la culture, en un mot à l’Autre. Elles représentent un formidable outil de réduction des inégalités et de progrès social dans de nombreux domaines : l’éducation, la culture, la santé, en sont quelques exemples.

 

L’entrée des technologies de l’information à l’école est pour tous les pays un enjeu décisif et un facteur de développement majeur ; car l’école, instrument d’égalité culturelle et éducative, doit donner aux nouvelles générations les compétences indispensables aux exigences de la vie moderne. Lieu privilégié de découverte et de familiarisation aux nouvelles technologies, l’école est ainsi l’un des pivots de la société de l’information et tient une place déterminante dans l’émergence de la " société du savoir ". La formation de formateurs et le développement de ressources humaines qualifiées est à cet égard fondamentale.

 

Décentralisées et facilement accessibles, les technologies de l'information peuvent et doivent contribuer à l'expression de la diversité des cultures et des langues. La francophonie, qui est aujourd’hui au cœur de notre démarche, constitue, je le sais, un cadre privilégié de promotion de cette nécessaire diversité.

 

L’application des nouvelles technologies à la santé peut apporter un progrès décisif au bien-être de l’humanité, pour peu qu’elle soit maîtrisée et solidaire. Je pense en particulier aux pays les moins avancés, qui pourraient en être les premiers bénéficiaires, dans le cadre d'une stratégie internationale concertée, axée sur le concept de la " télésanté ".

 

Les technologies de l’information peuvent enfin stimuler la croissance économique en créant de nouveaux produits, en augmentant la productivité et ouvrant la voie à de nouvelles techniques de gestion et de commercialisation.

 

Mais si l’on n’y prend garde, l'expansion rapide des TIC peut aussi avoir des conséquences néfastes, et notamment le risque d'une aggravation des disparités économiques et sociales, aux niveaux international, régional et local. C’est vrai dans chacun de nos pays.

 

On parle beaucoup aujourd’hui de la " fracture numérique ", pour désigner cette réalité complexe, qui ne peut se résumer par une formule. Pour favoriser la croissance des pays dits du Sud, l’important aujourd’hui est moins de désigner cette réalité que de trouver des solutions pour y remédier. Cela passe d’abord par un changement de perspective. Il faut concentrer nos efforts sur le " développement numérique ", un terme qui rassemble les peuples plutôt que de les diviser en deux catégories.

 

Chacun doit pouvoir trouver sa place et son rythme propres dans le développement numérique mondial. Et c’est aussi pour engager cette réflexion que nous sommes réunis aujourd’hui.

 

II. La place de la régulation

 

Comment la régulation des télécommunications s’inscrit-elle dans ce grand projet qu’est la société de l’information ?

 

Je veux d’abord m’arrêter un instant sur la notion de régulation. Qu’est-ce que la régulation et quel est son rôle ?

 

La langue française présente, dans ce domaine, un net avantage sur l’anglais. Là où l’anglais ne connaît que le seul terme de "regulation", elle distingue la réglementation et la régulation, c’est-à-dire respectivement la définition et l’application des règles.

 

Dans un marché libéralisé, il est utile de distinguer les deux concepts, car s’il appartient aux pouvoirs publics - Gouvernement et Parlement - d’édicter les normes de fonctionnement du marché, l’application des règles est de plus en plus souvent confiée à une institution distincte, qui a vocation à être indépendante. Cette notion d’indépendance, qui s’analyse habituellement quant aux relations avec le Gouvernement, doit également être vécue à l’égard des opérateurs, dont l’expertise, mais aussi l’influence sont également grandes, nous le savons bien. Car le régulateur est avant tout un organe de l’Etat, en charge de l’intérêt général.

 

Dans une économie régulée, il y a donc complémentarité entre la réglementation et la régulation. L'une exprime les objectifs et les orientations de l'action publique, l'autre les met en œuvre, en veillant à s'inscrire en permanence dans l'action globale des pouvoirs publics, c’est-à-dire la recherche de l’intérêt général.

 

Ainsi la régulation, et plus particulièrement celle des télécommunications, a-t-elle pour mission de mettre en œuvre une politique publique fondée sur l’introduction de la concurrence pour favoriser le développement des réseaux et services de télécommunications, au bénéfice des consommateurs.

 

Cet objectif s’inscrit, et j’insiste sur ce point, dans le respect des principes du service public, qui est un outil de lutte contre toute fracture, notamment numérique. Nous avons dans ce domaine des expériences différentes et des préoccupations sans doute proches ; et c’est l’un des points sur lesquels la mise en commun de nos approches peut se révéler particulièrement fructueuse, compte tenu de l’ampleur des enjeux qui y sont attachés.

 

La régulation, c’est pour la plupart d’entre nous, un processus relativement nouveau. En France, l’ART est encore jeune, puisqu’elle a moins de six ans. Et pourtant, malgré son jeune âge, elle doit déjà s’adapter, comme toutes ses homologues européennes, aux évolutions du marché, dans le cadre de la transposition d’un nouveau paquet de directives qui vient d’être adopté. C’est dire à quel point ces évolutions sont rapides. C’est dire aussi combien la mise en commun régulière de nos expériences est essentielle à une compréhension partagée des enjeux dont elle est porteuse.

 

Enfin, la régulation, c’est un mode d’action publique original et nouveau, qui permet une grande souplesse dans l’action et qui a su s’adapter aux traditions institutionnelles et aux spécificités économiques des différents pays où elle a été installée, comme en témoignent l’exemple des quinze régulateurs européens, ainsi que votre présence aujourd’hui.

 

La régulation est donc un concept et une forme d’action très riches d’enseignements, sur le plan de l’organisation institutionnelle, des compétences et des méthodes de travail. C’est pourquoi il me semble très utile de l’explorer ensemble, aujourd’hui et à l’avenir.

 

III. La régulation dans l’espace francophone

 

La francophonie

 

Mais ce qui nous réunit aujourd’hui c’est tout autant la francophonie que la régulation.

 

Car le fait d'avoir la langue française en partage favorise le dialogue et l'écoute. Mais l'esprit qui nous rassemble va au-delà de la langue ; c'est un héritage culturel et historique, un corps de traditions juridiques, un attachement à une conception du droit et des services publics, et à des valeurs fondées sur la démocratie et le respect des droits de l'Homme.

 

La francophonie, ce sont aussi des liens politiques qui, réunissant des pays de tous les continents, sont essentiels en ce monde multipolaire. Il est important de conforter l’ambition commune par des réalisations concrètes dans un secteur aussi stratégique que celui des communications. C’est aussi un des objectifs de ce Symposium.

 

La francophonie joue déjà un rôle dans le développement de la société de l’information, à travers l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF). Ainsi, comme l’a souligné M. Boutros-Ghali, son Secrétaire général, à la Conférence régionale africaine sur la société de l’information le 28 mai dernier à Bamako : " Valoriser la diversité et combattre les déséquilibres : tels sont, pour la Francophonie, les deux grands enjeux de la société de l’information ". Il a également rappelé l’engagement de l’OIF aux côtés des pays francophones en faveur des nouvelles technologies de l’information.

 

Mais c’est la première fois que la promotion de la francophonie est abordée du point de vue des régulateurs des télécommunications. En quel sens faut-il entendre cette démarche ?

 

Régulation et francophonie

 

La régulation, comprise comme la mise en œuvre des outils juridiques propres à permettre l’établissement de la concurrence dans un secteur économique organisé en réseau ne prend pas en compte les considérations d’ordre culturel ou linguistique. C'est une approche économique dont la mise en œuvre est inhérente à la nature même des industries de réseaux, notamment des télécommunications. Il n’y a certes pas, au sens juridique du terme, une régulation francophone.

 

En revanche, la régulation peut être entendue comme une démarche partagée par des pays qui, malgré des organisations administratives et institutionnelles différentes, se reconnaissent dans l’appartenance à une communauté, en l’occurrence la communauté francophone, et dans son héritage. D’où la nécessité de nous rencontrer et de partager, au sein des pays de l'espace francophone, les expériences de chacun. Car il s’agit bien de partager et en aucun cas de définir ou de se référer à un quelconque " modèle " de régulation.

 

Les objectifs du symposium

 

L'initiative de réunir les régulateurs de l’espace francophone répond à une forte demande. 24 Etats sur les 52 que compte l’espace francophone se sont dotés d'une instance de régulation identifiée comme telle. D’autres s’y préparent. Depuis sa création, l'Autorité a développé de nombreux liens avec ses homologues francophones de par le monde. De ces multiples échanges est apparu le besoin de fonder une coopération sur la compréhension réciproque de nos missions et de nos métiers, et sur l'analyse concrète des réalités auxquelles nous sommes confrontés.

 

L’objectif est de mettre en place un cadre d’échange et de coopération afin de favoriser les échanges entre régulateurs de l'espace francophone. Si notre Symposium doit permettre de souligner les points communs, il va aussi rendre compte de la diversité des modes nationaux de régulation en mettant en exergue les éléments qui font la spécificité de chaque pays dans la conception et la mise en œuvre de la régulation.

 

Nos échanges vont ainsi se dérouler autour de cinq sessions :

 

  • 1ère Session : Les expériences de la régulation au sein de l’espace francophone
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  • 2ème Session : Les perspectives de la régulation et la Société de l’Information
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  • 3ème Session : Le processus d’adaptation de la régulation aux évolutions technologiques, économiques et réglementaires
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  • 4ème Session : Les compétences et les expertises souhaitables à une structure de régulation
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  • 5ème Session : L’impératif de formation
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Le programme de travail

 

Notre symposium ne doit pas être une simple rencontre ponctuelle ; il a vocation à être le point de départ de relations suivies et fructueuses.

 

Ainsi, le réseau qui pourrait être mis en place à l’issue de cette première rencontre permettrait notamment d'organiser la coopération entre les régulateurs francophones grâce à des programmes de formation et des échanges d'experts, et de constituer une force de propositions dans les négociations internationales pour l'obtention de financements.

 

Le Symposium s'inscrit par ailleurs dans le calendrier et la dynamique des grands rendez-vous internationaux : le réseau que nous pourrions créer aurait vocation à préparer les messages et à porter les réflexions de ses membres au sein des organisations internationales à l'occasion des grands rendez-vous des prochaines années : la Conférence des Plénipotentiaires de l’UIT et le Sommet des Chefs d'Etats et de gouvernement francophones, à l’automne 2002, le Colloque mondial des régulateurs au cours de l’hiver 2002, le Sommet mondial sur la Société de l'Information, prévu en décembre 2003 à Genève et en 2005 à Tunis.

 

Conclusion

 

Je conclurai en vous remerciant à nouveau pour votre participation et en vous souhaitant d’excellents travaux. Je remercie les membres du collège et le Directeur général de l’Autorité, qui vont présider chacune de nos sessions de travail.

 

J’espère qu’au-delà des échanges professionnels qui marqueront ce symposium, puissent se nouer ou se renforcer des liens d’amitié entre responsables de haut niveau, unis par des objectifs communs. Cette double appartenance, à une autorité d’Etat chargée d’une mission de service public et à la communauté francophone, est sans doute un gage de solidarité.

 

Puisque notre programme de travail est particulièrement chargé, je vous invite à commencer sans plus attendre notre session d’ouverture.

 

Je vous remercie de votre attention.