Prise de parole - Audition devant le Parlement

Audition du 15 novembre 2023

Audition de Laure de La Raudière, présidente de l'Arcep, par la Commision des affaires économiques de l'Assemblée nationale, présidée par Guillaume Kasbarian, Député de la 1ère circonscription d'Eure-et-Loir.

Monsieur le Président,

Mesdames et Messieurs les députés,

Merci de votre invitation à cette audition. C’est toujours un grand plaisir pour moi de revenir à l’Assemblée nationale, et notamment dans cette salle où j’ai passé de nombreuses heures de ma vie.

C’est surtout un honneur de venir rendre des comptes à la représentation nationale de l’activité de l’Arcep.

Mes propos liminaires se limiteront à 3 sujets uniquement ce matin ; 3 sujets au cœur de la stratégie de l’Arcep :

  • La généralisation de la fibre optique
  • Nos travaux sur l’impact environnemental du numérique
  • Les nouvelles compétences de l’Arcep prévues dans le projet de loi Sécuriser et Réguler l’Espace Numérique

Je vous propose d’évoquer les autres champs de compétences, à l’occasion des questions.

En premier lieu, le déploiement de la fibre : l’objectif à atteindre n’a pas varié, je le rappelle à chaque fois que j’en ai l’occasion, l’objectif, c’est la généralisation de la fibre !

En tant qu’élue, je le défends depuis au moins 15 ans ! Pourquoi ? Tout simplement parce qu’une famille ou une entreprise qu’elles soient situées dans un petit village en milieu rural, dans notre beau département d’Eure-et-Loir par exemple, Monsieur le Président, ou en ville, ont exactement les mêmes usages d’Internet, et que ces usages sont devenus essentiels et indispensables au fonctionnement de notre société.

En tant que régulateur, je le défends aussi. Le cadre de régulation mis en place par l’Arcep est conforme à cet objectif de généralisation de la fibre.

 

La généralisation de la fibre optique, c’est l’engagement pris par tous : pouvoirs publics et opérateurs.

Il faut donc que l’ensemble des acteurs publics et privés soient au rendez-vous et respectent leurs engagements. Cela implique donc de poursuivre et d’achever les déploiements, c’est d’ailleurs un préalable indispensable à la fermeture du cuivre.

Alors pourquoi l’Arcep a-t-elle sanctionné Orange la semaine dernière ?

Refaisons un peu d’historique. En 2010, Orange a répondu à l’appel à manifestation d’intérêt de l’Etat pour le déploiement de la fibre en s’engageant à couvrir 3000 communes sur fonds propres. Ce faisant, il préemptait des zones que certaines collectivités auraient bien aimé intégrer dans leurs projets d’initiatives publiques. Certains élus s’en souviennent encore de façon vivace.

Ensuite, en 2018, Orange a pris des engagements juridiquement opposables dans ces zones dites AMII, avec deux échéances à respecter :

  • Une première échéance, Fin 2020 : où il s’engageait à rendre 100% des locaux de ces zones, raccordables ou, dans la limite de 8%, raccordables sur demande sous six mois
  • Deuxième échéance : Fin 2022, 100% des locaux de ces zones raccordables.

L’Arcep mais aussi les collectivités concernées et le gouvernement ont constaté un très fort ralentissement des déploiements par Orange en zone AMII à partir de fin 2021, et même un quasi arrêt dans certaines communes.

Aussi, la formation de règlement de différend, de poursuite et d’instruction de l’Arcep a ouvert une procédure, constaté le manquement du respect de ses engagements par Orange, mis en demeure Orange, en mars 2022, de respecter ses engagements liés à la première échéance de fin 2020. Cette décision a été contesté par Orange devant le Conseil d’État, qui a rejeté ce recours le 21 avril 2023.

Ce sont au moins 543 000 locaux, faisant partie du périmètre des engagements d’Orange au 31 décembre 2020 qui n’ont pas été rendus raccordables ou raccordables à la demande à l’échéance fixée par la décision de mise en demeure.

Après instruction, la formation de règlement de différend, de poursuite et d’instruction de l’Autorité a constaté le non-respect par Orange de la décision de mise en demeure. Elle a donc notifié les griefs le 6 juillet 2023, à l’opérateur et a transmis en conséquence le dossier à la formation restreinte de l’Autorité en charge des sanctions, présidé par François Lions.

Après une procédure contradictoire, la formation restreinte a décidé de prononcer une sanction financière de 26 millions d’euros à l’encontre d’Orange.

Je dois vous dire que j’ai eu maintes fois l’occasion de constater lors de mes déplacements ou au travers des courriers reçus à l’Arcep la colère et la frustration des élus, des citoyens, des professionnels, de de devoir attendre l’arrivée de la fibre indéfiniment, sans aucune prévision concernant les dates de réalisations. Je pense aux zones Amii Orange de Vendée, de Corrèze, du Vaucluse ou encore du Gard particulièrement mal couvertes et dont les habitants ne voient aucune amélioration depuis des mois.

Maintenant, cette sanction financière n’est pas la fin de l’histoire et elle n’exonère nullement Orange de ses engagements, en particulier de la deuxième échéance, celle de fin 2022, toujours en vigueur.

C’est d’ailleurs la révision de cette échéance, qui a fait l’objet d’une négociation entre Orange et le ministre Jean-Noël Barrot et de l’accord annoncé par le gouvernement, il y a une semaine.

Je comprends que l’Arcep devrait être saisie prochainement. Nous rendrons alors un avis formel sur la proposition des nouveaux engagements d’Orange.

L’objectif reste le même : nous préférons tous ici une réelle reprise des déploiements en zone AMII.

Pour faire un rapide bilan des déploiements de la fibre à date :

Au 30 juin 2023, 83% des locaux sont raccordables à la fibre, et 62% des abonnements Haut Débit ou Très Haut Débit sont des abonnements fibre. Ce qui montre l’appétence des Français et la réussite commerciale de la fibre. Ce sont désormais les zones rurales, dans les Réseaux d’Initiative Publique qui représentent plus de 2/3 (70% exactement) des nouveaux déploiements.

Dans les zones très denses et les zones AMII du territoire, le ralentissement du rythme des déploiements, déjà observé en 2022 et début 2023, se poursuit, en particulier.

Dans ce contexte, il semble utile, afin de rassurer nos concitoyens, de redire que le cadre réglementaire prévu par l’Arcep impose comme critère central, pour la fermeture du réseau cuivre, l’achèvement du déploiement FttH dans la commune.

Après deux phases d’expérimentation qui se sont globalement bien déroulées, la fermeture du réseau cuivre entre dans sa phase opérationnelle. En janvier 2024, 162 communes pour 210.000 locaux sont concernées, d’abord par la fermeture commerciale de l’ensemble des offres existantes sur le réseau cuivre, puis au bout d’un an par la fermeture technique, c’est-à-dire l’arrêt technique des services.

L’Arcep sera vigilante au respect des critères de fermeture, en particulier en matière de couverture fibre et de disponibilité des offres. Le cas échéant, l’Arcep n’exclut pas des reports de la fermeture, à la maille de la commune.

Au global, le plan d’Orange prévoit une fermeture commerciale nationale le 31 janvier 2026, dans un peu plus de deux ans. Celle-ci ne sera possible que si les déploiements accélèrent, et que les offres, notamment à destination des entreprises, émergent sur tous les réseaux.

Enfin pour réussir la fermeture du réseau cuivre, il faut assurer une qualité de service attendue et dans la durée sur les réseaux fibre : des raccordements réussis, réalisés dans les règles de l’art et une fibre bien exploitée !

Les problèmes de qualité : c’est sans doute le sujet sur lequel je suis le plus alertée par les élus. Je reçois encore de trop nombreux témoignages de clients débranchés sauvagement, d’abonnés privés d’internet régulièrement ou très longtemps, de comportements peu professionnels de certains agents d’intervention.

Je n’ai cessé depuis ma prise de fonction de faire de cet enjeu de qualité de service des réseaux, une priorité stratégique pour l’Arcep.

Où en est-on ? Au milieu du gué sans doute.

La prise de conscience des opérateurs est là et les actions, présentées par la filière au ministre et à moi-même, visant à une amélioration générale des pratiques et des contrôles des agents d’intervention se mettent en œuvre. De même, les plans de reprise des réseaux les plus accidentogènes se déroulent, et l’on constate des améliorations significatives, une fois la reprise effectuée.

En revanche, il reste encore de nombreuses communes qui sont incluses dans les plans de reprise et pour lesquelles les travaux n’ont pas commencé. Et l’ensemble des actions prévues par le plan de la filière ne sont pas encore toute pleinement opérationnelles.

Parallèlement, l’Arcep a publié son premier observatoire de qualité de service sur les réseaux fibre. C’est un outil de pilotage supplémentaire qui permettre un suivi objectif des amélioriations.

Comme vous voyez, c’est un travail de longue haleine, et les résultats ne se feront sentir que progressivement. Je veux vous assurer de toute l’attention et de l’implication des équipes de l’Arcep sur ce sujet.

Deuxième sujet : nos travaux sur l’impact environnemental du numérique.

Aujourd’hui, le secteur du numérique représente 2,5% des émissions de CO2 en France et consomme 10% de l’électricité consommée en France. L’étude prospective que nous avons faite avec l’ADEME montre que si rien n’est entrepris, à croissance des usages égale à aujourd’hui, l’empreinte Carbone du numérique pourrait tripler d’ici 2050 et sa consommation énergétique doubler.

Alors même si nous sommes tous d'accord pour dire que les innovations numériques font partie de la solution pour atteindre la neutralité climatique, nous pouvons aussi tous nous accorder sur le fait que cela n’exonère pas le secteur du numérique d’actions visant à réduire cet impact.

Depuis 3 ans, l'Arcep a décidé de faire de l’impact environnemental du numérique un nouveau chapitre de la régulation. Nous réunissons les parties intéressées (des experts, des acteurs du secteur privé et public, des associations…) pour travailler collectivement sur ce sujet. Depuis 2021, nous collectons les données environnementales du secteur, d’abord auprès des opérateurs, et progressivement auprès de tous les acteurs du numérique, grâce aux nouvelles compétences que vous nous avez confiées. Nous avons aussi réalisé plusieurs études avec l’Ademe, et conduit des travaux avec l’Arcom.

L'Arcep se positionne comme un expert neutre, afin d’alimenter le débat public et d’éclairer les choix politiques. Nous intégrons aussi cet enjeu dans nos choix de régulation.

Comme ces actions n’ont de sens que si elles sont intégrées dans une réflexion internationale, nous en faisons la promotion au niveau européen au sein de l’organe regroupant les régulateurs européens des télécommunications (le Berec) ou à l’International auprès de l’OCDE et de l’Union Internationale des Télécommunications notamment. Nous organisons aussi des évènements, pour donner écho à ces travaux et pour médiatiser ces enjeux. Le prochain a lieu lundi prochain 20 novembre à la cité des sciences à Paris sur le thème « Satellites et environnement ». Nous le co-organisons avec l’ADEME et le CNES, et vous y êtes tous conviés, ainsi que vos équipes.

Dernier sujet : nos futures nouvelles compétences en matière de régulation du numérique

Un mot encore pour vous dire que l’Arcep accueille avec un réel enthousiasme les nouvelles missions prévues dans le projet de loi Sécuriser et Réguler l’Espace Numérique. D’abord, en ce qui concerne le cloud : ce marché est concentré autour de trois acteurs, Amazon, Microsoft et Google et fait l’objet de pratiques freinant le développement de nouveaux concurrents ou la réelle liberté de choix des entreprises. Le projet de loi, qui reprend certaines mesures du Data Act européen, vise donc à lever les barrières techniques et tarifaires existantes à la migration vers d’autres fournisseurs. En outre, ce projet de loi reprend également des mesures du Data Governance Act européen, dont l’objectif est de créer un cadre de confiance pour fluidifier le partage de données, notamment entre acteurs industriels, en certifiant des tiers de confiance.

Notre approche sur ces sujets est simple : nous allons faire ce que nous savons bien faire à l’Arcep : nous allons contribuer à ouvrir un écosystème technique à la concurrence et à assurer une dynamique de marché saine. Nous le ferons, comme nous le faisons en particulier dans les télécoms, en dialoguant largement avec tous les acteurs de l’écosystème du cloud d’une part, des plateformes de données d’autre part. Nous serons heureux de voir qu’à travers ce texte, le législateur viendra confirmer le rôle de l’Arcep, en tant régulateur technico-économique du numérique.

Revoir l'audition en vidéo