Synthèse de la réponse de l'Autorité de régulation des télécommunications à la communication de la Commission du 10 novembre 1999 / 9 février 2000

"Vers un nouveau cadre pour les infrastructures de communications électroniques et les services associés - Réexamen 1999 du cadre réglementaire des communications"

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ART's response to the Review99 of the regulatory framework : english version

Synthèse

Position de l’Autorité

Synthèse

Le travail accompli par la Commission mérite d’être salué, tant pour la somme d’informations recueillie pour obtenir une vision d’ensemble du marché, de la régulation et du degré de concurrence atteint par les Etats membres, que pour la qualité des propositions faites, qui sont le fruit d’une réflexion approfondie sur les facteurs de libéralisation du secteur des télécommunications.

L’Autorité appuie totalement la démarche de la Commission visant à faire progresser l’harmonisation au sein de l’Union européenne.

1. Le rôle du régulateur.

L’acception française du terme de régulation, à la différence de l’anglaise, ne confond pas l’élaboration des règles et leur mise en œuvre. Ainsi, le régulateur a la responsabilité d’appliquer les textes adoptés par l’Union européenne et par les pouvoirs publics nationaux (Gouvernement et Parlement). De son expérience approfondie des mécanismes du marché, il tire des enseignements lui permettant d’élaborer des propositions ou des avis pour l’autorité réglementaire. C’est d’ailleurs ce que prévoit la loi française de réglementation des télécommunications de 1996, qui a créé l’ART.

C’est pourquoi l’Autorité estime que la Commission devrait mieux définir ce qu’est le régulateur. En conservant le terme usuel d’" Autorité réglementaire nationale " (ARN), elle se prive de la distinction capitale des responsabilités entre les institutions chargées d’édicter le droit et celles qui l’appliquent, ces dernières devant pouvoir agir de façon pleinement indépendante, c’est-à-dire user de façon impartiale de leurs pouvoirs d’arbitrage et de gardien en premier ressort de la concurrence.

2. L’intérêt des consommateurs est l’objectif premier

Pour l’Autorité, la libéralisation et une concurrence accrue sont indispensables, mais ne sont pas une fin en soi. Elles ne valent que si le développement du marché profite avant tout au citoyen et au consommateur.

Le citoyen doit pouvoir bénéficier, quelles que soient sa situation et sa localisation géographique, des avantages que commencent à offrir les nouveaux services de la société de l’information. Il faut éviter toute apparition d’une "fracture numérique " conduisant à des formes d’exclusion.

Le consommateur bénéficie d’ores et déjà de la libéralisation grâce à la forte baisse des tarifs qu’elle engendre. Il convient cependant d’être particulièrement attentif à l’application de ces avantages à tous les services de base, ce qui confirme l’enjeu de l’ouverture de la boucle locale à la concurrence. Le consommateur a également droit à une protection efficace de ses intérêts et de sa vie privée, qui soit adaptée aux nouveaux risques que fait naître le développement rapide des échanges d’informations et du commerce électronique.

L’Autorité estime que le principe du service universel doit demeurer un fondement essentiel du droit européen des communications. L’égal accès de tous à des services de qualité à un coût abordable, dans le respect des règles de concurrence, prend une importance accrue avec l’avènement de la société de l’information. Comme la Commission, elle s’interroge sur la possibilité, pour les gouvernements, d’inclure de nouveaux services dans le champ du service universel, et en particulier l’accès aux réseaux à large bande, sans porter atteinte à la neutralité technologique et à l’équité financière (§ 4.4).

L’Autorité accueille très favorablement les initiatives visant à améliorer la défense des intérêts du consommateur. Elle estime toutefois que les propositions de la Commission pourraient être complétées sur deux points : la prise en compte des problèmes posés par Internet, notamment au regard de la protection de la vie privée (§ 4.5.1), et l'exigence d'une transparence tarifaire permettant effectivement au consommateur de choisir entre plusieurs opérateurs (§ 4.5.4).

L’ouverture de la boucle locale à la concurrence, enfin, doit être un axe prioritaire de la réforme. Cette question est traitée au point 5.

3. La compétitivité de l’industrie européenne

L’Autorité estime que le rôle des pouvoirs publics dans le soutien à la compétitivité des opérateurs et industriels européens est essentiel sur un marché devenu mondial. Elle souhaite que la Commission prenne davantage ces enjeux en considération.

Il serait souhaitable d’inclure dans les objectifs politiques (§ 3.1) celui de la promotion et de la défense des intérêts économiques européens.

4. Anticiper l’évolution du marché

La régulation du marché inclut nécessairement une capacité d’anticipation. Regarder loin devant permet de prévoir les évolutions techniques, économiques, juridiques ou de société qui influeront dans quelques années sur l’exercice de la concurrence. Cette anticipation est particulièrement importante pour l'élaboration d'une réforme qui n'entrera en vigueur que vers 2003, dans un contexte qui aura sans doute profondément changé.

L’Autorité accueille très favorablement les mesures visant à tenir compte de certaines évolutions inéluctables : la banalisation des réseaux numériques ("convergence" entre télécommunications et audiovisuel), le rapprochement entre les réseaux fixes et les réseaux mobiles, et, surtout, la croissance explosive d’Internet. Elle soutient donc les propositions tendant à une régulation uniforme des réseaux (§ 4.1.2), y compris mobiles (§ 4.2.7) et encourage toute mesure visant à assurer le développement d’Internet et du commerce électronique dans un cadre concurrentiel proche de celui des télécommunications (§ 4.1.5 et 4.2).

5. L’architecture du cadre juridique

La régulation du marché des télécommunications repose avant tout sur un corps de règles juridiques, fixant clairement les droits et obligations des différents acteurs et habilitant le régulateur à exercer son rôle de " gardien de la concurrence ". Le cadre général des futures règles et les procédures d’élaboration des mesures d’application méritent donc un examen attentif.

L’Autorité approuve l’approche générale de la Commission, tendant à établir les principes fondamentaux de la régulation dans les directives sans détail excessif, à confier aux régulateurs nationaux des compétences accrues et à instituer des procédures plus flexibles et proches du marché pour la définition des lignes directrices encadrant les décisions nationales (§ 3.1 et 3.2).

Elle reste cependant soucieuse de voir figurer dans les directives des dispositions suffisamment précises concernant les droits et devoirs des acteurs du marché, afin d’assurer la plus grande sécurité juridique.

A cet égard, la position initiale de la Commission quant au tracé de la frontière entre ce qui relève des directives et ce qui peut être renvoyé sans inconvénient à des mesures qualifiées de " normes douces " ("soft law") manque de netteté (§3.3).

De l’analyse de ses propositions, il semble ressortir que ces " normes douces " couvriraient un champ très important, incluant des dispositions essentielles, et qu’elles pourraient se voir conférer un caractère obligatoire. Si tel était le cas, l’Autorité considère qu’on s’écarterait à la fois de l’objectif de sécurité juridique et de celui d’une régulation proche du marché et respectueuse de la subsidiarité.

Quant à l’élaboration des mesures d’application ou " normes douces ", l’Autorité ne partage pas le point de vue de la Commission sur le dispositif institutionnel le plus adéquat.

S’il est indéniable que les mesures obligatoires doivent être adoptées selon les procédures habituelles des comités, il serait plus judicieux que l’élaboration et l’application des textes d’encadrement, de nature non-obligatoire, relèvent des régulateurs eux-mêmes, agissant de concert au sein du Groupe des Régulateurs indépendants. La reconnaissance de ce rôle du G.R.I. aux côtés du COCOM rendrait superflue la création du " Groupe à haut niveau des communications " tel que défini par la Commission (§ 4.8).

6. Le maintien de règles sectorielles de concurrence

Le cadre actuel a permis la libéralisation du marché des télécommunications, qui doit être poursuivie et étendue. Fortement inspiré des principes du droit commun de la concurrence, le droit sectoriel des télécommunications a démontré sa nécessité et son efficacité en édictant des normes juridiques adaptées aux circonstances particulières du marché, notamment pour le régime des licences, de l’interconnexion et de la gestion des ressources rares.

Toute idée de modification substantielle doit donc être examinée avec prudence, pour ne pas casser une dynamique qui commence à produire des résultats tangibles. C’est dans cet esprit que l’Autorité a examiné les propositions de la Commission.

L’Autorité est naturellement favorable à l’objectif d’inscrire, à terme, le marché des télécommunications dans le droit commun de la concurrence. Du fait cependant de la persistance d’une position dominante, voire d’un quasi-monopole des opérateurs historiques sur certains segments du marché, dont la boucle locale, elle considère qu’il serait irréaliste d’espérer atteindre ce but dans un proche avenir. Le maintien de règles sectorielles est encore indispensable et reste le moyen le plus adéquat de poursuivre l’ouverture et de parvenir à un véritable équilibre du marché.

L’Autorité est opposée à la proposition d’introduire deux seuils distincts pour les obligations pesant sur les opérateurs, respectivement dominants et puissants. Cette réforme conduirait à d’inutiles complications et créerait une confusion entre des concepts issus du droit commun de la concurrence et les règles sectorielles actuelles (§ 4.7.2).

En matière de licences, tenant compte du régime déjà très libéral appliqué en France, l’Autorité est prête à étudier la proposition de recourir de façon plus étendue au système d’autorisations générales, sous réserve que des garanties suffisantes soient maintenues dans ce cadre (§ 4.1).

En matière d’accès et d’interconnexion, l’Autorité se prononce pour la poursuite d’une régulation asymétrique imposant des obligations particulières aux opérateurs puissants, notamment quant à l’offre d’interconnexion de référence approuvée préalablement par le régulateur. Elle demande à la Commission de maintenir dans les directives l’obligation, pour ces opérateurs, d’offrir, et non seulement de négocier, l’interconnexion (§ 4.2).

L’Autorité approuve d’autre part la volonté de la Commission d’ouvrir la boucle locale à la concurrence, en commençant par la question essentielle du dégroupage (§ 4.2.3). Elle préconise, en sus des recommandations en cours d’élaboration, l’introduction de règles à ce sujet dans les directives elles-mêmes, de manière à asseoir le dispositif sur des bases juridiques solides et à renforcer l’action du régulateur.

S’agissant de la gestion des ressources rares, l’Autorité ne considère pas que les plans nationaux de numérotation soient un obstacle à l’entrée sur le marché ou à la mise en œuvre de services paneuropéens. En revanche, les problèmes posés par le nommage et l’adressage dans le cadre d’Internet devraient être traités par les organes internationaux compétents dans le respect des principes de transparence et de non-discrimination (§ 4.6). Pour les fréquences radioélectriques, qui constituent un enjeu important, toute évolution du droit communautaire devra tenir le plus grand compte de l’impératif de subsidiarité, et éviter de dessaisir les pouvoirs publics de leurs pouvoirs de contrôle, en particulier par la création d’un marché secondaire des fréquences, jugée inopportune (§ 4.3).

Dans les deux cas, et sous réserve de ne pas amoindrir l’efficacité des mécanismes existants de coordination à l’échelle paneuropéenne (C.E.P.T.), une plus grande cohésion européenne dans les négociations internationales constitue un objectif souhaitable.

7. Importance de la normalisation

Les aspects techniques jouent un grand rôle dans l’évolution et le dynamisme du marché. Il appartient aux pouvoirs publics d’en tenir compte et d’anticiper les changements, comme il a été dit au point 3. La normalisation (§ 4.2.6) est un domaine où ils ont longtemps eu une responsabilité majeure. Celle-ci a partiellement été transférée aux acteurs du marché, mieux à même de discerner les tendances réelles de l’innovation, mais les Etats et l’Union européenne pèsent encore d’un poids important dans l’édiction de normes propres à structurer le marché, comme le montre l’exemple de l’U.M.T.S.

L’Autorité juge indispensable, comme la Commission, d’appliquer le principe de neutralité technologique à la régulation. Cette attitude n’interdit cependant pas une démarche volontariste lorsque la mise en application de normes européennes, élaborées par les industriels et opérateurs, paraît de nature à soutenir le développement du marché, à renforcer la visibilité pour les acteurs et à satisfaire le consommateur par une meilleure interopérabilité.

Elle estime par ailleurs que les acteurs privés, dans l’exercice des compétences qui leur sont attribuées en matière de normalisation, doivent satisfaire aux mêmes exigences de transparence que les autorités publiques, et elle invite la Commission à compléter en ce sens ses propositions.


©Autorité de régulation des télécommunications - Février 2000
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