Synthèse de la réponse de l'Autorité de régulation des télécommunications à la communication de la Commission du 10 novembre 1999 / 9 février 2000
Position de l'Autorité
L’Autorité de régulation des télécommunications française est heureuse de participer à la consultation publique lancée par la Commission européenne sur la réforme du cadre réglementaire. En effet, ce dernier, et les lois nationales qui en découlent, sont le fondement de l’existence même des régulateurs indépendants et de leur action quotidienne.
L’Autorité est résolument en faveur de l’harmonisation européenne et de l’objectif d’un marché unique des télécommunications poursuivi par la Commission. Elle souhaite, par le présent document, mettre son expérience au service de ce grand dessein.
Les développements qui suivent se limitent aux questions qui ont paru à l’Autorité relever directement de ses attributions et de son expertise . Ils ne sont pas exclusifs de positions ultérieures sur d’autres sujets, notamment lorsque commencera l’examen des propositions concrètes de la Commission européenne.
L’ordre suivi est celui de la communication du 10 novembre 1999, à laquelle renvoient les numéros de paragraphe.
3.1 Objectifs politiques pour le secteur
Considérant le développement d’une âpre concurrence sur un marché devenu global, l’Autorité souhaite que soit affirmé avec davantage de force l’objectif de défendre et promouvoir les intérêts des opérateurs et industriels européens, notamment chaque fois que des pratiques discriminatoires sont constatées sur ce marché, mais aussi lorsque des critiques injustifiées sont formulées contre les décisions européennes ou l’action des acteurs du secteur. Cette remarque s’applique en particulier aux domaines nouveaux d’expansion du marché que sont Internet et les systèmes de télécommunications mobiles de troisième génération.
3.3 Conception du futur cadre réglementaire
Cadre d’ensemble
Le secteur des télécommunications connaît une situation particulière liée, d’une part, à ses caractéristiques, organisation en réseaux, haute technicité, utilisation des ressources rares que sont les fréquences et les numéros et, d’autre part, au fait qu’il ne soit sorti que récemment d'une situation de monopole. La concurrence ne saurait donc s'y développer efficacement que si des droits et obligations précis sont fixés. C'est à cette seule condition, en effet, que les acteurs, y compris les opérateurs historiques, peuvent engager à long terme une stratégie d'investissement portant sur des montants souvent considérables.
Les règles doivent être non seulement clairement et précisément fixées, mais également inscrites dans des textes à effet obligatoire, afin d’éviter la fragmentation du marché qui résulterait d’interprétations disparates. Le souci de l’harmonisation européenne doit être l’axe principal de cet exercice, à côté de l’exigence de sécurité juridique pour les acteurs.
En outre, il est indispensable de maintenir des mécanismes de contrôle a priori tant que la concurrence n’est pas suffisamment développée. A cette fin, l'Autorité estime qu'il est impératif de conserver le principe d'une réglementation sectorielle permettant d’imposer des obligations ex ante aussi longtemps que les opérateurs historiques seront en mesure d'influencer significativement le fonctionnement du marché (nécessité pour les autres opérateurs de s’interconnecter à leur réseau, monopole de fait sur la boucle locale…).
Le débat sur le maintien d'un droit sectoriel pose également la question connexe des institutions (cf.§ 4.8). Pour l'Autorité, l'existence de régulateurs spécialisés dans les télécommunications, disposant d'une vue d'ensemble de toutes les questions juridiques, techniques et économiques du marché est pour les opérateurs la meilleure assurance que les décisions seront prises avec le professionnalisme qu’exige la technicité du secteur et la rapidité indispensable. C'est également en s'appuyant sur des règles juridiques européennes claires qu'ils pourront favoriser la concertation entre les acteurs et leur fournir une meilleure visibilité, propice au développement de la concurrence, mais tenant compte des spécificités des marchés nationaux - qu'ils sont les mieux placés pour connaître. C'est aussi en coordonnant leur action qu'ils développeront une doctrine adéquate et adopteront une interprétation commune des règles juridiques communautaires.
Une harmonisation de leurs compétences, visant à s’aligner sur les meilleurs exemples actuels, est par ailleurs extrêmement souhaitable. Les règles précitées devront donc asseoir le rôle décisif des régulateurs sur des bases incontestables offrant aux opérateurs des voies de recours efficaces.
Ces règles doivent être précises. Certes, la simplification du cadre existant est un objectif louable, et l'adaptabilité aux évolutions du marché doit être encouragée, mais les opérateurs, hormis les opérateurs historiques, et leurs clients ne peuvent se satisfaire de principes généraux. Le nombre croissant de recours contentieux montre que le besoin d’un cadre juridique stable, précis et s’appliquant à l'ensemble des Etats de l'Union s'affirmera davantage.
C'est pourquoi l'Autorité privilégie l'idée que le cadre réglementaire devra contenir des règles de base sans ambiguïté juridique. L'exercice de réexamen devra porter prioritairement :
* sur la définition de ce qui peut être allégé sans dommage pour la concurrence,
* sur la précision des normes juridiques communes
* et sur les dispositions nouvelles qui permettront de développer effectivement la concurrence sur la boucle locale.
Il devra également prévoir des mécanismes assurant une application de ces règles conciliant l’homogénéité communautaire et le respect de la subsidiarité.
Sous réserve que les textes réellement contraignants (directives) regroupent bien les principales règles précitées, l’architecture proposée par la Commission pour le nouveau cadre paraît répondre aux souhaits de simplification et de meilleure lisibilité de l’ensemble.
Pour atteindre les objectifs d’harmonisation européenne et de sécurité juridique , l’Autorité juge nécessaire d’inscrire dans les directives les règles fondamentales régissant le secteur, et notamment celles qui créent des droits ou des obligations pour les acteurs du marché. Ces règles constitueront un droit sectoriel, qui semble indispensable aussi longtemps que la concurrence n’aura pas atteint un degré suffisant. Elles devront être complétées par une définition précise et la plus harmonisée possible du rôle et des attributions des autorités de régulation indépendantes, chargées de la mise en œuvre des directives.
Sous réserve de ce qui précède, le toilettage des directives permettra d’en alléger le contenu, mais devra également le compléter par des dispositions visant à étendre la concurrence à de nouveaux domaines, et au premier chef à la boucle locale.
Mesures d’application
Plusieurs questions importantes, auxquelles la communication n’apporte malheu-reusement aucune réponse, se posent cependant au sujet des "normes douces" ("soft law").
Il s’agit en premier lieu de savoir à quels domaines elles s’appliqueront. Bien évidemment, l’enjeu dépendra de l’importance des sujets qui tomberont dans leur champ d’application. Un recours trop large aux "normes douces" sur des questions essentielles s’opposerait à la sécurité juridique indispensable au développement harmonieux du marché.
Ensuite, il semble que la Commission amalgame deux concepts différents : la "législation secondaire" et les "normes douces" ; ces dernières ne devraient pas en principe être contraignantes, qu’elles soient adoptées par la Commission, ou établies par consensus des autorités nationales, qui conviendront d’exercer de façon similaire les compétences qui leur sont dévolues. Or, les normes présentées comme " non-contraignantes " par la communication seront apparemment comprises dans l’ensemble réglementaire et auront, de facto, sinon de jure, un effet obligatoire. La Commission précise en effet que le non-respect des recommandations sera susceptible de sanctions et souligne, au § 4.8, l’importance de donner force légale aux décisions prises par consensus.
Il convient donc d’assurer que leur adoption suive une procédure adéquate, le motif qu’elles seraient officiellement présentées comme dépourvues d’effet contraignant ne devant pas priver les autorités nationales de leurs pouvoirs de décision en la matière.
En outre, il convient de savoir avec précision comment seront partagés les pouvoirs de décision concernant leur élaboration et leur application. Par exemple, une harmonisation par consensus au sein du GRI peut dans certains cas se révéler plus efficace que des mesures adoptées par la seule Commission (cf. § 4.8).
Plus spécifiquement, les propositions relatives aux mesures non-contraignantes appellent les commentaires suivants :
A coté de lignes directrices et de recommandations, la Commission prévoit l'utilisation de codes de conduite ou d'accords de co-régulation impliquant des acteurs du secteur. Ce sujet soulève la question de la détermination des entités chargées de l'élaboration de tels textes et de la conformité de ces derniers avec les dispositions juridiques concernant les ententes restrictives de concurrence (article 81 du traité CE).
Dans le même esprit, la Commission prévoit une procédure par laquelle la décision de lever une obligation ex ante particulière pourrait être prise par l'autorité réglementaire nationale lorsque l’objectif de ces règles peut être atteint par d’autres moyens, pour autant que la Commission soit consultée au préalable. Ce concept, dit de "forbearance", par ailleurs totalement contraire à l’organisation juridique française, aboutirait à la segmentation des marchés et ne peut donc être accepté en l’état. Il serait logique, en revanche, de prévoir un mécanisme d’évaluation périodique de l’utilité des contraintes visant à favoriser le développement de la concurrence sur un marché donné, dans la mesure où cette dernière aurait atteint un degré suffisant de maturité. Rien n’interdit, par ailleurs, de fixer dans les directives des critères précis de levée de certaines des obligations qu’elles édictent.
Sur cette question, l’Autorité estime que les "normes douces", dont elle reconnaît l’utilité, doivent être clairement définies comme des mesures non-obligatoires, tendant au rapprochement des pratiques nationales de régulation, adoptées avec l’assentiment des autorités chargées de l’application du cadre réglementaire, et que celles-ci accepteraient de mettre en œuvre. Cette définition permettrait de clairement distinguer les "normes douces" de la législation dérivée, qui consiste en des mesures contraignantes, généralement adoptées par la Commission européenne ; elle ne ferait pas obstacle à l’utilisation d’autres concepts, tel celui de la co-régulation, supposant l’implication des acteurs du marché.
4.1 Licences et autorisations
Autorisations générales
Les objectifs poursuivis par la Commission peuvent être approuvés. En conséquence, s’il s’avère que le régime suggéré permet effectivement de favoriser l’entrée sur le marché et de faciliter la prise en compte des évolutions techniques et la neutralité technologique, l’Autorité est disposée à l’envisager et à s’inspirer des expériences les plus pertinentes, dans un souci d’efficacité et d’harmonisation communautaire.
Néanmoins, concernant la France, il paraît nécessaire de rappeler que plus de 80 opérateurs de réseaux ou de services ouverts au public ont demandé et obtenu une licence. Un tel développement de la concurrence en seulement deux ans dans un pays privilégiant les licences individuelles conduit à nuancer l’affirmation que celles-ci constitueraient un obstacle à l’entrée sur le marché.
Par ailleurs, en considérant essentiellement les licences en termes, un peu restrictifs, de procédures, la Commission omet de mentionner l’influence qu’elles exercent sur l’organisation du marché. En conférant à leurs titulaires certains droits et obligations, les licences garantissent aux nouveaux entrants une sécurité juridique, maximale dans le cas des licences individuelles, puisque les opérateurs sont identifiés.
4.1.1 La discussion peut porter sur plusieurs simplifications ou rationalisations possibles et notamment sur la limitation du champ d'application des licences individuelles, pour autant qu'un régime d’autorisations générales offre des garanties au moins équivalentes à celles des licences individuelles sur un certain nombre de points.
Outre l’intérêt qu’elles présentent pour les régulateurs en termes de connaissance du marché, certaines des conditions attachées aux licences supposent que les opérateurs soient dûment identifiés (prescriptions de sécurité publique, financement du service universel, etc), ce qui ne paraît pas aisément compatible avec les seules autorisations générales.
Si le régime préconisé par la Commission permet aux Etats membres d’instituer un système d’enregistrement, de manière à fournir une base juridique au contrôle des prescriptions légales et à offrir davantage de sécurité aux opérateurs pour l’exercice de leurs droits (droits de passage, droit à l’interconnexion, etc.), l’Autorité serait prête à l’envisager, à condition que les autorités nationales ne soient pas tenues de vérifier préalablement que les opérateurs enregistrés remplissent les critères attachés à la catégorie qu’ils ont choisie. Ce système ne semble par ailleurs viable que si les opérateurs sont incités à s’enregistrer, donc si l’enregistrement confère des droits, en contrepartie d’obligations.
Autorisations spécifiques
Des autorisations spécifiques ouvrant un droit à l’utilisation de ressources rares sont effectivement nécessaires pour compléter un système d’autorisations générales. Découplées des autorisations de fourniture de services ou d’exploitation des réseaux, ces autorisations devraient néanmoins pouvoir contenir des dispositions incitatives, par exemple, en termes de déploiement de réseau ou de couverture du service, ou pouvoir lier la ressource concernée avec un service ou une norme, par exemple les bandes 900 MHz et 1800 MHz et le GSM.
L’Autorité ne soutient pas l’idée d’une extension du régime d’autorisations générales aux réseaux utilisant des fréquences harmonisées au niveau communautaire, étant donné que cette harmonisation n’altère pas le caractère de ressource rare du spectre des fréquences.
Quant à la faculté de transfert des autorisations spécifiques, elle aboutirait à la création de marchés secondaires des ressources rares (cf. 4.3) à laquelle l’Autorité n’est pas favorable.
Autres réseaux et Internet
Favorable au principe de neutralité technologique (4.1.2 et 4.1.5), l’Autorité approuve la volonté de la Commission de soumettre les réseaux de transmission au même régime réglementaire, quelle que soit la nature des services fournis, et de ne pas réglementer de manière spécifique la fourniture des services de télécommunications basée sur le protocole IP.
Services paneuropéens
S’agissant des services dits "paneuropéens", l'Autorité estime comme la Commission que la question du "guichet unique" devrait perdre de son importance avec le développement des autorisations générales.
Compétence du régulateur
Dans un souci de simplification, l’Autorité juge par ailleurs souhaitable de confier aux seuls régulateurs pleine compétence pour l’instruction, la délivrance, et le suivi des licences individuelles. Par extension, ceux-ci devraient également assurer l’enregistrement et le suivi des autorisations générales. Ceci est en effet le complément logique du rôle d’arbitre et des pouvoirs de sanction qui ont été dévolus, en France, à l’Autorité, qui est par ailleurs responsable de l’attribution des fréquences hertziennes dans le domaine des télécommunications et de la gestion de la numérotation.
La convergence des réseaux numérisés rend nécessaire une régulation uniforme, de nature économique, de tous les réseaux, distincte du contrôle du contenu, et respectueuse du principe de neutralité technologique.
Dans ce cadre, le recours à des autorisations générales au lieu de licences individuelles mérite effectivement d’être étudié, sous réserve que certaines conditions soient remplies :
* le rattachement explicite à chacune des catégories d’autorisations générales de droits et obligations, dont l’exercice serait validé par une procédure d’enregistrement ;
* le maintien d’autorisations spécifiques pour l’utilisation de ressources rares, y compris les fréquences harmonisées à l’échelle communautaire ;
* le caractère individuel des autorisations spécifiques, dont le transfert ne pourrait être effectué sans intervention préalable du régulateur.
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