Consultation publique sur la société de l'information : réponse de l’Autorité de régulation des télécommunications au document de consultation publié par le Gouvernement le 5 octobre 1999

2.4. Garantir un accès aux décodeurs à des conditions équitables et non discriminatoires

En ce qui concerne plus particulièrement les aspects de concurrence sur le marché des services de télécommunications, il faudra à l’avenir prendre en compte les positions dominantes et les goulets d’étranglement susceptibles d’être créés par des ensembliers, qui, grâce aux " portails " notamment, seraient en mesure de proposer une offre intégrée. Une attention particulière pourrait être ainsi portée aux segments successifs de la chaîne de valeur : édition, assemblage, transport, distribution locale.

Il convient à cet égard de rappeler que, si certains dispositifs immatériels (guides de programmes, etc. ) peuvent être laissés au libre mouvement d’un marché encore émergent, les dispositions relatives à la régulation des accès sous condition à travers des éléments matériels (décodeurs) constituent un élément clef du dispositif encadrant le développement des réseaux et des services et favorisant la concurrence et la protection du consommateur.

La directive 95/47/CE du 24 octobre 1995 normes et signaux prévoit que " les opérateurs de services d’accès conditionnels (...) proposent à tous les diffuseurs, à des conditions équitables, raisonnables et non discriminatoires, des services techniques permettant que leurs services audiovisuels soient captés ". Ainsi, les téléspectateurs ayant recours à un décodeur donné doivent pouvoir avoir accès aux services proposés par les diffuseurs de leur choix.

Les travaux menés, notamment au sein du MoU DVB(24) ont permis de normaliser le coeur " technique " du système, c’est-à-dire les techniques d’embrouillage et les messages de commande échangés entre le diffuseur et les décodeurs et de développer deux solutions de base permettant une ouverture des systèmes. Par rapport à la situation initiale, où les diffuseurs équipaient leurs abonnés de décodeurs propriétaires dont ils se réservaient les moyens de mise en oeuvre, chacune des deux solutions constitue un progrès important. Cependant, la mise en oeuvre des solutions exige des accords entre opérateurs et recèle des risques en termes d’abus de position dominante.

L’Autorité note que de nombreuses similitudes réunissent les problématiques voisines de la régulation de l’interconnexion et celle des systèmes d’accès sous condition. Corrélativement, les systèmes d’accès sous condition constituent des goulets d’étranglement potentiels pour des bouquets de services interactifs, incluant des services de télécommunications au public.

Il convient en effet de remarquer que :

- les systèmes d’accès sous condition répondent à la définition de l’équipement terminal, telle qu’elle est formulée au 10° de l’article L. 32 du code des postes et télécommunications ;

- les systèmes d’accès sous condition comme les moteurs d’interactivité sont utilisés non seulement pour accéder à des offres de services de communication au public mais aussi à des offres de services mixtes comportant des services de télécommunications ;

- les problématiques concurrentielles liées à la maîtrise de l’accès au consommateur final sont indépendantes de la nature des services fournis. Cette extension de la notion de système d’accès sous condition concerne tout particulièrement les services en ligne et s’inscrit dans la perspective de la mise en oeuvre de la troisième génération de mobiles.

Les systèmes d’accès sous conditions constituent, dans le contexte de l’économie de la convergence, un goulet d’étranglement potentiel important en ce qui concerne l’accès à l’abonné et l’expression du choix des consommateurs en matière de services multimédias interactifs et de services de télécommunications. L’Autorité appelle donc l’attention sur la nécessité de la mise en place d’une régulation adaptée. Le cadre général de la régulation de l’interconnexion et de l’accès prévu par le code des postes et télécommunications lui semble pertinent, aisément adaptable et cohérent dans une perspective de convergence technologique. Dans ce domaine, elle dispose d’une expérience qui lui permettrait d'assumer l’exercice des missions de régulation des systèmes d’accès sous condition prévues par les textes communautaires.

Il conviendrait dans une telle hypothèse non seulement de faire référence à la procédure de règlement des différends prévue par l’article L.36-8 du code des postes et télécommunications, mais aussi de doter l’organe de règlement des litiges des outils juridiques nécessaires : connaissance des contrats passés entre opérateurs de systèmes d’accès sous condition et diffuseur, capacité de prononcer des sanctions, notamment pécuniaires.

2.5. Harmoniser les régimes juridiques des réseaux câblés et des réseaux de télécommunications

2.5.1 Le régime juridique des réseaux câblés

L'Autorité est favorable à l'harmonisation des régimes juridiques applicables aux réseaux câblés et aux réseaux ouverts au public. Cette harmonisation est de nature à résoudre, dans un contexte de convergence technologique, les difficultés liées à l'existence d'un double régime juridique des réseaux câblés. Elle contribuerait à établir plus clairement la distinction entre régulation des contenus et régulation des réseaux ; elle s'inscrit ainsi pleinement dans le cadre d'une démarche de simplification et de prise en compte des évolutions technologiques.

L'Autorité a déjà proposé au Gouvernement un projet de modification du code des postes et télécommunications, qui harmonise le régime d'autorisation de ces réseaux dans le cadre défini par l'article L.33-1 de ce code, et qui prévoit que les demandes de licences pour l'établissement et l'exploitation de ces réseaux sont instruites par l'Autorité. Ce projet figure en annexe du rapport public d'activité de l'Autorité pour 1998 (Tome I, pages 78 et 90).

2.5.2. Un régime commun pour l'ensemble des réseaux, indépendant des services transportés

Au delà de la proposition qu'elle a déjà formulée, l'Autorité souhaite que l'harmonisation des régimes juridiques soit étendue à l'ensemble des réseaux, sans se limiter aux seuls réseaux utilisant des technologies filaires (réseaux câblés). Elle devrait en particulier porter sur les réseaux radioélectriques, tels que les réseaux par satellite, les réseaux MMDS/LMDS/MWS de boucle locale radio ("réseaux câblés hertziens"), ou les réseaux audiovisuels par voie hertzienne terrestre. Cela passe par l'établissement d'un cadre commun d'autorisation et d'attribution de fréquences pour les réseaux, qui soit indépendant des services transportés et qui corresponde à une distinction plus nette de la régulation des contenants et de la régulation des contenus.

Le développement, dans un contexte de convergence technologique, des nouveaux réseaux radioélectriques, qu'il soient terrestres ou satellitaires, rend en effet nécessaire une adaptation du cadre législatif et réglementaire : aucune disposition n'est actuellement prévue, dans la loi de réglementation des télécommunications ou dans la loi sur la liberté de communication, pour l'autorisation et l'attribution de fréquences pour les réseaux radioélectriques explicitement destinés à fournir des services mixtes, à la fois de télécommunications et audiovisuels.

Une disposition qui se limiterait à ouvrir la possibilité pour les opérateurs de réseaux par satellite ou de boucle locale radio MMDS/LMDS de fournir des services de tous types serait insuffisante si elle n'entrait pas dans le cadre d'une véritable harmonisation du régime d'autorisation et d'attribution de fréquences pour ces réseaux. Elle ne résoudrait pas les difficultés de contournement et les incertitudes résultant de l'existence d'un double régime juridique, identiques à celles rencontrées dans le cas des réseaux câblés.

En outre, la cohérence des processus d'allocation des fréquences et l'efficacité de la gestion des ressources rares pour le développement de nouveaux réseaux radioélectriques dans un contexte de convergence, tels que les réseaux multimédia par satellite et les nouveaux systèmes de boucle locale radio MWS (Multimedia Wireless Systems), qui seront utilisés pour la fourniture de services multimédia, pourraient difficilement être assurées sans cadre juridique commun d'autorisation et d'attribution de fréquences pour ces réseaux.

La réglementation des télécommunications, dans laquelle l’Autorité instruit les demandes d’autorisation et octroie les fréquences, semble le cadre le plus adapté pour fournir un régime d'autorisation harmonisé à l'ensemble des réseaux. En effet, un réseau audiovisuel est un réseau de télécommunications (au sens du 2° de l'article L. 32 du code des postes et télécommunications) qui ne diffère en rien d'un réseau de télécommunications traditionnel, si ce n'est par la nature des services transportés. Cette harmonisation pourrait également se traduire par l'attribution de l'ensemble des fréquences audiovisuelles par l'Autorité, qui attribue déjà les fréquences pour le transport audiovisuel.

2.5.3. Une compétence générale des collectivités territoriales en matière d'infrastructures passives de télécommunications

L'implication des collectivités territoriales dans l'établissement et l'exploitation de réseaux répond aujourd'hui à des régimes juridiques très différents, selon que ces réseaux sont exploités pour fournir des services de communication audiovisuelle ou des services de télécommunications :

  • dans le cas des réseaux câblés audiovisuels, les communes ou groupements de communes délivrent les autorisations pour l'établissement des réseaux ; elles peuvent elle-même être propriétaire d'un réseau et exploiter commercialement des services audiovisuels ;
  • dans le domaine des réseaux ouverts au public, les communes ou groupements de communes ont une compétence reconnue par la loi pour la gestion de l'accès au domaine public par les opérateurs ; en revanche, elle ne peuvent pas être elles-mêmes opérateurs ni fournir de services de télécommunications ; elles peuvent poser et exploiter des infrastructures passives (fourreaux, fibres ou câbles nus) dans les conditions définies par la loi d'orientation pour l'aménagement et le développement durable du territoire.

En raison de ces différences importantes, l'Autorité est d'accord avec le document de consultation pour que les autorisations acquises précédemment pour les réseaux câblés existants restent en vigueur.

En revanche, l'Autorité estime important qu'une attention particulière soit portée, dans le cadre de l'harmonisation du régime juridique applicable aux nouveaux réseaux, à la mise en place d'un dispositif cohérent définissant les compétences des collectivités territoriales.

Cette harmonisation du régime juridique devrait permettre l'élargissement à l'ensemble des réseaux des compétences reconnues aux collectivités locales dans le domaine des télécommunications : d'une part la gestion de l'accès au domaine public par les opérateurs dans les conditions du code des postes et télécommunications ; d'autre part l'établissement et la mise à disposition d'infrastructures passives de télécommunications.

L'harmonisation du régime juridique des réseaux pourrait ainsi être l'occasion de tirer les leçons des dispositions en matière d'établissement et de mise à disposition d'infrastructures passives de télécommunications et de préciser les modalités d'exercice des compétences des collectivités territoriales en ce domaine. Ceci leur permettrait d'exercer pleinement leur rôle en matière d'aménagement du territoire et de contribuer de façon active au développement de la société de l'information, dans le cadre du respect des règles de concurrence. A cette fin, un allégement du dispositif prévu par la loi d'orientation pour l'aménagement et de développement durable du territoire semble nécessaire.



24 - Memorandum of Understanding Digital Video Broadcasting. Il s'agit d'un groupement de normalisation.

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