Réponse au questionnaire complémentaire de la Commission européenne au Livre vert sur la convergence / Novembre 1998

Préambule

L'Autorité de régulation des télécommunications a participé activement à la première consultation de la Commission européenne concernant le Livre vert sur " la convergence des secteurs des télécommunications, des médias et des technologies de l’information, et les implications pour la réglementation ", et la synthèse qui a été faite par la Commission à partir des réponses reçues conforte l'Autorité dans son analyse du phénomène de la convergence, ce dont elle se félicite.

Considérant avoir répondu de manière détaillée dans sa première contribution aux préoccupations de la Commission, l’Autorité s’est attachée ici, dans le cadre d’une réponse courte, à préciser sa position sur les deux questions qui la regardent directement, celle concernant l’accès aux réseaux et aux passerelles numériques, et celle concernant une approche réglementaire équilibrée.

I. Accès aux réseaux et passerelles numériques dans un environnement convergent

I. Accès aux réseaux et passerelles numériques dans un environnement convergent

Questions I.1 : Concernant les réseaux (c’est-à-dire les réseaux d’accès local, etc.):

- quels sont les problèmes d’accès essentiels (problèmes de concurrence, choix du consommateur, protection du consommateur, création d’un environnement favorable à l’investissement, etc.) et pourquoi ?

- dans quelle mesure doit-on envisager des règles et des principes sectoriels, en plus de l’application au cas par cas des règles de concurrence ?

- au cas où ces règles et principes sectoriels seraient nécessaires, par quels moyens conviendrait-il de les mettre en œuvre (réglementation, autodiscipline, etc.) et suivant quel calendrier ?

- quel doit être le champ d’application de toute approche sectorielle ?

A. L’accès à la boucle locale est un élément majeur du développement de la concurrence

D’une manière générale, l’accès aux réseaux constitue une question majeure. Il est en effet essentiel que les consommateurs puissent choisir librement les opérateurs de télécommunications et les services qu’ils offrent. Encore faut-il que la concurrence soit pleine et entière sur les réseaux qui transportent ces services. D’où la nécessité, dans la première phase de l’ouverture du marché à la concurrence, d’une régulation asymétrique du secteur -différente par essence des règles générales de concurrence- afin de ne pas laisser à l’opérateur historique les avantages que pourraient lui procurer les positions dominantes qu’il peut occuper sur les différents segments du marché.

Les  nouveaux entrants doivent pouvoir en effet accéder aux réseaux détenus par l’opérateur historique dans des conditions de transparence et d’équité, et sans que cela soit pénalisant pour le consommateur. Par ailleurs, ils doivent pouvoir proposer des réseaux alternatifs, mais encore faut-il que ces infrastructures soient rentables à déployer. Les tarifs d’interconnexion sont à cet égard déterminants dans la décision pour un nouvel entrant d’investir ou non dans de nouvelles infrastructures. Encore une fois, le principal bénéficiaire de cette régulation doit être l’utilisateur final.

Toutefois, aujourd’hui, la question de l’accès aux réseaux concerne essentiellement la boucle locale. En effet, on constate que l’ouverture à la concurrence totale du marché des télécommunications en France, depuis le 1er janvier 1998, a favorisé le développement d’une réelle concurrence. Mais, celle-ci s’est jusque-là concentrée sur l’un des segments du marché, celui des communications longue distance. La concurrence sur la boucle locale s’avère, en revanche, plus compliquée à mettre en oeuvre et plus lente à se concrétiser, en raison des investissements importants à réaliser par les nouveaux entrants, mais aussi parce que l’opérateur historique y bénéficie, de fait, d’une position dominante.

B. Les diverses solutions possibles pour favoriser l’accès

L’Autorité a identifié trois axes prioritaires pour favoriser l’accès à l’utilisateur final :

  • Le développement de services de télécommunications sur le câble

La question de la fourniture de services de télécommunications sur les réseaux câblés de télédistribution doit recevoir une réponse appropriée. L’Autorité s’est déjà exprimée sur ce dossier. En effet, saisie par des câblo-opérateurs dans le cadre de procédures de règlement des différends, elle a été amenée à prendre des décisions, tant sur les conditions techniques et financières de l’accès à Internet sur les réseaux du Plan câble de l’opérateur historique, que sur la fourniture du service téléphonique sur les réseaux câblés. Ces décisions visent à permettre l’apparition d’une concurrence effective sur la boucle locale.

Dans ce domaine, l’Autorité s’est vue confirmée dans son rôle par deux arrêts de la Cour d’appel rendus en avril 1998, qui précisent les pouvoirs qui lui ont été confiés par le législateur en matière de règlement des différends entre opérateurs. Par là même, ces décisions confortent la liberté d’accès aux services de télécommunications, et par conséquent aux réseaux qui les véhiculent.

Toutefois, le développement de ce type de marché nécessite que soient surmontés les obstacles structurels liés à la propriété des réseaux et que les acteurs concernés aient une meilleure lisibilité de ce marché potentiel.

  • L’introduction de la boucle locale radio

Théoriquement plus économique et plus facile à mettre en oeuvre que les réseaux filaires, la boucle locale radio pourrait être amenée à se développer, tant dans la fourniture de services de type " bande étroite " que des services haut débit.

C’est ainsi que l’Autorité a autorisé depuis avril 1998, et pour une durée d’environ un an, des expérimentations de boucle locale radio, et que le lancement d’un appel à candidature est envisagé, à l’issue duquel des licences pourront être délivrées. Il convient de préciser que les difficultés constatées dans certains pays dans la mise en oeuvre de cette technologie justifient l’approche expérimentale qui a été retenue en France, avant d’engager plus avant des investissements dans ce domaine.

  • Le dégroupage de la boucle locale

L’Autorité a engagé depuis l’été 1998 une réflexion sur le " dégroupage " de la boucle locale, c’est-à-dire sur la possibilité pour les nouveaux entrants d’accéder directement au répartiteur principal de l’opérateur historique pour acheminer les communications jusqu’aux abonnés, en contrepartie d’une rémunération.

Le développement, d’une part, de nouveaux types de réseaux, tels que le câble et le satellite, qui permettent de s’affranchir des réseaux filaires classiques, d’autre part, de nouvelles technologies, telles que l’xDSL, qui permettent de transformer les réseaux filaires classiques en réseaux à haut débit, est en mesure d’introduire une réelle concurrence sur la boucle locale. On peut d’ailleurs noter que la technologie xDSL devrait rendre plus aisé le dégroupage de la boucle locale.

C. La nécessité d’une régulation sectorielle

Comme on l’a vu, la banalisation et la polyvalence des réseaux vont devenir une réalité. Parallèlement, l’accès au réseau demeurera une question complexe. Une évolution se dessine par conséquent en faveur d’une plus grande distinction entre régulation des infrastructures et régulation des contenus. Ce mouvement, qui concerne directement l’avenir du marché des télécommunications et de l’audiovisuel, pourrait justifier que l’on applique un traitement uniforme à la question essentielle de l’accès au réseau, celui-ci concernant aussi bien l’accès du client à une offre diversifiée que l’accès au réseau par des tiers fournisseurs de services.

On constate que le droit commun de la concurrence ne peut suffire à lui seul à régler l’ensemble de ces questions. En effet, le secteur des télécommunications se caractérise par une technicité forte, qui réclame des solutions spécifiques et innovantes (la boucle locale radio, par exemple), ainsi que des arbitrages rapides et précis, que seule une autorité de régulation indépendante est en mesure d’assurer dans les meilleures conditions possibles. Par ailleurs, l’existence d’opérateurs puissants nécessite, comme cela a été évoqué plus haut, une régulation asymétrique. Autant de motifs qui justifient une régulation sectorielle.

Question I.2: Concernant les passerelles numériques (systèmes d’accès conditionnel, guides électroniques de programme, interfaces programmables d’application):

- quels sont les problèmes d’accès essentiels (problèmes de concurrence, choix du consommateur, protection du consommateur, création d’un environnement favorable à l’investissement, etc.) et pourquoi ?

- dans quelle mesure doit-on envisager des règles et des principes sectoriels, en plus de l’application au cas par cas des règles de concurrence ?

- au cas où ces règles et principes sectoriels seraient nécessaires, par quels moyens conviendrait-il de les mettre en œuvre (réglementation, autodiscipline, etc.) et suivant quel calendrier?

- quel doit être le champ d’application de toute approche sectorielle tant du point de vue des services (diffusion, distribution) que des composants (décodeurs, guides électroniques de programme, interfaces programmables d’application) couverts ?

En tant qu’équipements terminaux, les passerelles numériques supervisent et gèrent les droits des abonnés en fonction de leurs demandes. Au centre du dispositif, on trouve le décodeur, qui sert aussi bien à contrôler les droits de l’abonné qu’à désembrouiller les signaux permettant d’accéder aux chaînes de télévision, ou à enregistrer des paiements, grâce à une voie de retour par le réseau téléphonique commuté. L’éventail des services auxquels le consommateur peut avoir accès grâce aux décodeurs ne comprend pas seulement des services de type audiovisuel, mais également des services de télécommunications ou des services " mixtes " de type interactif (Internet, etc.).

La question des systèmes d’accès conditionnel est par conséquent une question majeure dans la mesure où ces systèmes exercent un contrôle de l’accès au client final. La logique est semblable à celle que l’on rencontre avec un opérateur de boucle locale, qui lui aussi contrôle l’accès à l’abonné. Par ailleurs, se posent la question des éventuels abus de position dominante par certains opérateurs, ainsi que celle de la nécessaire interopérablilté.

Il convient de signaler que les guides électroniques de programme et les interfaces programmables d’application, qui sont des outils indispensables au développement des services interactifs, devront faire l’objet d’une attention particulière.

A l’avenir, la normalisation va devenir une question majeure. En effet, il est primordial de rendre compatibles les systèmes d’accès conditionnel entre eux, afin d’éviter un empilement de systèmes propriétaires, nuisible à la concurrence qui est pourtant recherchée. Par conséquent, dans la même logique que celle qui prévaut pour la boucle locale, il convient d’éviter les abus de position dominante et de faire en sorte que la concurrence sur le marché considéré soit réelle et effective.

II. Créer un cadre favorable à l’investissement et à l’innovation, et encourager la production, la distribution et la mise à disposition de contenus européens

Questions II: - Les commentateurs sont invités à s’exprimer sur l’avenir et la promotion de la production, de la distribution et de la mise à disposition de contenus audiovisuels européens dans un environnement numérique.

- Dans quelle mesure et de quelle façon le cadre réglementaire doit-il tenir compte du niveau d’investissement nécessaire à la mise en place de plates-formes, réseaux et services numériques ?

L’Autorité ne peut que soutenir l’instauration d’un cadre favorable à l’investissement et à l’innovation et elle ne peut qu’encourager les mesures en faveur de la production, de la distribution et de la mise à disposition de contenus européens. Toutefois, cette question ne saurait la concerner directement dans la mesure où il s’agit ici de contenus audiovisuels, pour lesquels une régulation sectorielle existe en France.

Il n’en reste pas moins vrai qu’un investissement insuffisant dans les infrastructures ou la présence d’obstacles à la concurrence sur ces réseaux peuvent avoir des répercussions importantes sur l’offre de contenu. Il y a par conséquent une interdépendance évidente entre les réseaux et les contenus qu’ils véhiculent.

L’un des objectifs de l’Autorité est de faire en sorte que la Société de l’information ne soit pas une " coquille vide ", c’est-à-dire qu’il n’y ait pas inadéquation entre les infrastructures et les services proposés. L’interdépendance croissante entre ces deux facteurs la rend par conséquent soucieuse d’assurer un accès aux réseaux, et donc aux contenus, dans des conditions de concurrence réelle. Mais cela doit se faire dans le respect des objectifs d’intérêt général, propre à la régulation du contenu (respect du pluralisme, etc.).

III. Adopter une approche réglementaire équilibrée

Questions III: - Quels seront les principes et mesures les plus appropriés (compte tenu de la nature du service, de sa pénétration et de ses caractéristiques techniques, ainsi que des enjeux d’intérêt public incluant les aspects de protection des consommateurs) pour parvenir au juste équilibre entre la réalisation de ces objectifs d’intérêt général et la promotion du développement de marchés ouverts et concurrentiels, et suivant quel calendrier convient-il de les mettre en œuvre?

- Est-il possible de définir des critères qui garantissent la proportionnalité d’une réglementation sectorielle, c’est-à-dire qui tiennent compte de la nature du service concerné et de la légitimité des objectifs d’intérêt général poursuivis ?

- Dans quels domaines l’auto-réglementation pourrait-elle jouer un rôle dans la réalisation de cet équilibre; et qui devrait participer à l’élaboration et à la mise en place des mécanismes nécessaires ?

La question des réseaux était déjà au coeur de la réflexion menée par l'Autorité dans le cadre de sa première réponse au Livre vert de la Commission européenne sur la convergence, ce qui l’a conduit à indiquer clairement que la polyvalence des réseaux allait requérir une réglementation des services disjointe de celle des infrastructures, le réseau étant et devant rester neutre. Dans ces conditions, l’organisation générale du cadre réglementaire ne devrait plus faire dépendre un service du réseau qui le véhicule et devrait permettre de mieux distinguer la régulation du contenant et la régulation du contenu.

Tant que la libéralisation du secteur des télécommunications n’aura pas atteint un degré tel qu’elle puisse se satisfaire du droit commun de la concurrence, la régulation sectorielle des réseaux restera par conséquent une nécessité. A un horizon prospectif, on peut estimer que l’obtention par un opérateur d’une licence de réseau ouvert au public et d’une licence de service de téléphonie vocale au public lui permettra d’établir et d’utiliser n’importe quel type de réseau (qu’il soit audiovisuel ou de télécommunications). Ainsi, en raison de l’usage indifférencié des réseaux, il conviendrait d’harmoniser le régime qui leur est applicable, tout en maintenant au sein des services la distinction juridique traditionnelle entre les services de télécommunications (qui relèvent du droit applicable à la correspondance privée) et les services audiovisuels (qui relèvent du droit applicable à la communication publique). En ce qui concerne l’émergence de services mixtes (tant audiovisuels que de télécommunications), ceux-ci pourraient se voir appliquer les deux types de régulation des contenus (correspondance privée/ communication publique). Présents en particulier sur Internet, ces services mixtes pourraient apparaître dans le futur sous la forme d’applications et sur des infrastructures qui n’ont pas encore été imaginées.

Toutefois, les missions dévolues à une autorité indépendante de régulation ne sauraient se limiter aux seuls aspects concurrentiels, même si ceux-ci sont fondamentaux. En effet, la concurrence n’est pas une fin en soi, elle ne vaut que si elle est un facteur de développement du marché. La fonction de régulation restera primordiale pour contribuer à la mise en oeuvre réelle des objectifs généraux fixés par la loi pour l’ouverture de l’ensemble des segments du marché à une concurrence effective, loyale et durable: donner la priorité à la satisfaction du consommateur, maintenir un service universel de qualité, en prévoyant son adaptation éventuelle aux nouvelles technologies, contribuer au développement économique et social et à l’aménagement du territoire. Autant de missions qui doivent relever d’une autorité de régulation sectorielle. Autant de domaines pour lesquels le principe d’auto-régulation s’avère inadapté et inopérant.

(1) En 1982, le gouvernement décida de lancer un plan destiné à favoriser l'équipement du territoire français en infrastructures de câble. Propriété de France Télécom, ce réseau câblé est exploité par les câblo-opérateurs suivants: Lyonnaise Câble (groupe Suez Lyonnaise des eaux), Numéricâble (groupe Canal +) et France Télécom Câble (groupe France Télécom). Aujourd'hui, le réseau du Plan câble concerne les 2/3 des prises commercialisables. Parallèlement, la loi du 30 septembre 1986 sur la liberté de communication a établi un régime concessif, dans lequel l'établissement et l'exploitation du réseau sont généralement assurés par un même opérateur.


©Autorité de régulation des télécommunications - Décembre 1998
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