Commentaires de l’Autorité de régulation des télécommunications sur le projet de recommandation de la Commission sur le dégroupage de la boucle locale

Sommaire

I. Remarques générales sur le projet de recommandation
II. Remarques de l’Autorité article par article

Sur l’article 1 relatif au dégroupage complet de la paire de cuivre
Sur l’article 2 relatif aux conditions de déploiement des services
Sur l’article 3 relatif à la tarification
Sur l’article 4 relatif aux conditions techniques et à la colocalisation
Sur l’article 5 relatif à la transparence

L’Autorité tient à souligner l’importance de la définition rapide d’un cadre juridique clair et souple créant des conditions favorables à l’émergence d’offres innovantes dans le secteur des services à haut débit, aujourd’hui en pleine effervescence. La recommandation de la Commission s’inscrit dans cette perspective et contribuera de façon essentielle à la constitution de ce cadre.

L’Autorité rappelle qu’elle a fourni une première analyse à la Commission sur le document préparatoire à cette recommandation et se félicite que le projet ait pris en compte plusieurs de ces remarques. Par cette contribution, elle souhaite apporter quelques compléments à cette première analyse.

En effet, à la suite de la consultation publique qu’elle a lancée en 1999, l’Autorité a engagé un processus de travail avec l’ensemble des acteurs du marché français afin d’une part de définir de façon détaillée la prestation dite de dégroupage de la paire de cuivre, dans ses aspects techniques et opérationnels, d’autre part de préciser la méthode de tarification pertinente. Cet exercice lui permet d’ores et déjà de dégager quelques enseignements qui sont utiles pour contribuer au projet de recommandation et qui seront détaillés dans la suite du présent document.

L’échéance de fin 2000 recommandée par la Commission pour la mise en œuvre du dégroupage de la paire de cuivre nue, bien que très ambitieuse, paraît compatible avec les attentes du marché. L’Autorité a déjà eu l’occasion de souligner son accord sur cette date, compatible avec le calendrier prévu en France

I. Remarques générales sur le projet de recommandation

L’Autorité soutient l’action de la Commission et les grandes lignes de sa recommandation, notamment sur les aspects liés au dégroupage complet de la ligne de cuivre et à l’accès partagé. Elle partage le souci manifeste de la Commission de traiter du dégroupage non seulement dans ses principes mais aussi dans sa mise en œuvre pratique.

Dans sa première analyse, l’Autorité a souligné que la définition de plusieurs formes de dégroupage, de nature complémentaire, est à même de donner la flexibilité nécessaire aux opérateurs pour fournir des services sur l’ensemble du territoire dans des délais raisonnables ; en particulier, le déploiement par un opérateur nouvel entrant d’un service à haut débit fondé sur des technologies xDSL implique l’existence d’une offre de type accès au débit, de nature à lui permettre de planifier ses investissements et de compléter la couverture géographique de son réseau et ainsi d’offrir son service dans les mêmes conditions que l’opérateur historique. Ces considérations ont été prises en compte dans le projet puisque les trois solutions identifiées dans le précédent document sont évoquées, mais seul le dégroupage complet fait l’objet d’un examen approfondi laissant quelques incertitudes sur le cadre réglementaire applicable aux deux autres solutions et sur les conditions de leur mise en œuvre.

II. Remarques de l’Autorité article par article

Sur l’article 1 relatif au dégroupage complet de la paire de cuivre

Les dispositions prévues, relatives au dégroupage complet de la boucle locale répondent aux principales préoccupations de l’Autorité. Les autres formes d’accès évoquées au troisième alinéa de cet article méritent d’être précisées.

En ce qui concerne l’accès partagé, le projet de recommandation indique que le cadre réglementaire actuel peut être utilisé mais reste relativement imprécis sur l’applicabilité des dispositions des directives ONP 97/33 et 98/10 à cette prestation. A cet égard, l’Autorité rappelle la position qu’elle a déjà développée, à savoir que cette prestation lui paraît être couverte par les dispositions des directives 97/33 ou 98/10 relatives à l’accès ou à l’accès spécial. Par ailleurs l’analyse qu’elle a menée aboutit à des conclusions semblables à celles exprimées par la Commission dans son précédent document quant au caractère raisonnable d’une telle demande d’accès dans la mesure où la ligne principale de l’abonné est utilisée par l’opérateur historique pour fournir le service téléphonique en partage avec des services à haut débit fondés sur des technologies xDSL.

De même, l’Autorité a souligné dans sa première contribution l’importance de l’accès au débit, importance confortée par les développements jurisprudentiels récents. Le projet de recommandation met l’accent sur le principe de non discrimination sans décrire de manière précise la traduction technique et tarifaire des obligations qui en découlent. L’Autorité avait compris du document de travail précédent que cette traduction prenait la forme d’une offre d’accès au débit et avait indiqué à cet égard qu’à ce jour, elle n’avait pas trouvé d’éléments de nature à justifier en quoi cette prestation ne pouvait pas être considérée comme une prestation d’interconnexion au sens de la directive 97/33.

Sur l’article 2 relatif aux conditions de déploiement des services

En application des principes de non-discrimination, d’objectivité et de transparence, la Commission pourrait préciser les obligations des opérateurs historiques relatives à la fourniture des informations nécessaires aux opérateurs pour planifier le déploiement de leur réseau. L’Autorité tient, en particulier, à souligner que certaines de ces informations doivent être fournies avec un degré d’anticipation suffisant (de l’ordre de 6 mois) avant la mise en œuvre effective du dégroupage pour assurer l’existence au niveau des répartiteurs des infrastructures de réseau des opérateurs.

Sur l’article 3 relatif à la tarification

Les dispositions contenues dans cette nouvelle version et, en particulier, la mise en œuvre d’une séparation comptable effective et transparente et l’application uniforme et cohérente du principe d’orientation vers les coûts à chacune des formes d’accès à la boucle locale sont en cohérence avec les préoccupations exprimées par l’Autorité dans sa première contribution.

Par ailleurs,  l’Autorité recommande que la méthode fondée sur les coûts comptables audités de l’opérateur historique, largement utilisée dans le cadre de l’interconnexion, ne soit pas écartée à priori de la tarification du dégroupage, au profit de celle fondée sur les coûts de remplacement, de type CMILT, méthode dont la Commission elle-même semble craindre qu’elle puisse conduire à des tarifs ne permettant pas aux opérateurs d’entrer sur le marché dans des conditions économiques favorables.

Il importe que la recommandation ne préjuge pas de l’application d’une méthode en faveur d’une autre ; en particulier, l’arbitrage entre une tarification fondée sur les coûts comptables audités de l’opérateur historique et une tarification assise sur les coûts moyens incrémentaux de long terme représentant la construction d’un réseau local aujourd’hui sur la base des meilleures technologies disponibles, doit pouvoir être réalisé par les régulateurs, en pleine connaissance des avantages et inconvénients de chaque méthode.

Enfin, ainsi que le recommande la Commission, une analyse des tarifs pratiqués permettant aux régulateurs de s’assurer de l’absence d’effet de ciseau tarifaire paraît également devoir être menée.

Sur l’article 4 relatif aux conditions techniques et à la colocalisation

Le projet traduit la volonté de rendre le dégroupage possible non seulement dans son principe mais aussi dans sa mise en œuvre pratique. L’Autorité partage pleinement cette préoccupation. Elle souhaite compléter le document par deux points qui lui semblent essentiels au regard de la mise en place effective du dégroupage : les conditions de colocalisation et la fourniture de capacités de transport.

Les conditions de colocalisation ont été pendant trois ans le principal frein au dégroupage aux Etats-Unis et une telle situation devrait être évitée en Europe. Pour cela, il est aujourd’hui communément admis que la priorité doit être donnée à une forme de colocalisation dite physique (l’opérateur installe et exploite lui-même ses équipements) dans un espace éventuellement partagé, la colocalisation virtuelle (les équipements sont installés et exploités par l’opérateur historique) ou, à défaut, la colocalisation distante (les équipements sont installés et exploités par l’opérateur nouvel entrant dans un bâtiment à proximité du site hébergeant le répartiteur) pouvant être utilisées en cas de manque de place. Un tel dispositif pourrait être précisé dans la recommandation.

La fourniture de capacités de transport entre des sites dans lesquels l’opérateur s’est colocalisé, notamment dans le cas de répartiteurs distants, est une condition importante pour assurer le large déploiement d’équipements capables de fournir des services fondés sur les technologies xDSL. La Commission précise dans son projet qu’une telle prestation est couverte par les dispositions de la directive 92/44 "liaisons louées". Il pourrait être utile que la recommandation décrive de façon plus détaillée les contours de cette prestation et que les dispositions pertinentes de cette directive, et applicables à cette offre, soient reprises dans le corps de la recommandation.

De manière générale, cet article détaille utilement les conditions techniques relatives au dégroupage complet de la paire de cuivre. En revanche, il paraît accorder une importance moindre aux autres options qui sont pourtant complémentaires et dont les conditions de mise en œuvre paraissent également devoir être précisées.

Ainsi, en ce qui concerne le partage de ligne, la question cruciale de la responsabilité de la gestion du filtre pourrait être abordée ; en première analyse, l’Autorité estime préférable que cette responsabilité soit confiée à l’opérateur historique qui doit assurer le maintien d’une bonne qualité de service lors de la fourniture du service universel.

Quant à l’accès au débit, les études menées par l’Autorité la conduisent à privilégier une solution technique qui donne aux opérateurs la souplesse nécessaire pour construire des offres dont ils maîtrisent en partie la qualité de service et les débits offerts. De cette manière, les opérateurs pourront être en mesure d’offrir au client final des offres alternatives, tant sur les prix que sur les prestations offertes. Pour répondre à cette préoccupation , l’Autorité a identifié une solution dite d’accès au circuit virtuel en mode ATM, tout en soulignant également que toute offre équivalente permettant l’exercice d’une concurrence effective pouvait naturellement être étudiée.

Par ailleurs, un point soulevé au deuxième alinéa de cet article mérite quelques commentaires. Le projet de recommandation indique que le dégroupage complet de la ligne de cuivre pourrait être fourni à tout fournisseur de service de transmission de données ou fournisseur du service téléphonique sans autorisation supplémentaire. Ainsi, l’activation de supports passifs serait rendue possible sans autorisation spécifique ; l’Autorité attire l’attention de la Commission sur le fait que cette interprétation, d’application simple en apparence, n’est pas compatible avec le cadre réglementaire existant en France. A ce stade, l’Autorité ne partage pas l’analyse de la Commission et souligne que cette question paraît davantage devoir être examinée dans le cadre approprié du processus de révision des directives lancé par la Commission.

Sur l’article 5 relatif à la transparence

L’Autorité constate que le projet de recommandation reprend utilement les principes essentiels et fondamentaux de non-discrimination, d’objectivité et de transparence qui constituent le cœur du cadre réglementaire du secteur. A cet égard, l’Autorité souhaite qu’un dispositif soit défini de façon à garantir le respect de ces principes ; elle estime que la communication des conventions d’accès au régulateur et aux tiers intéressés peut jouer ce rôle de façon efficace et comparable à la publication d’une offre de référence.

Par ailleurs elle encourage la Commission à compléter les dispositions décrivant le contenu de l’offre de référence ou des conventions d’accès, en y incluant, outre le dégroupage complet de la paire de cuivre et l’accès partagé, l’accès au débit dont la mise en œuvre requière également un cadre réglementaire cohérent.


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