Association Française des Opérateurs
Privés en Télécommunications

29 avril 1999

Contribution de l’AFOPT à la consultation publique de l’ART sur
la téléphonie sur Internet

Remarques générales :

L’AFOPT a pris connaissance avec attention du document soumis à consultation. Elle remercie l’ART quant à cette initiative qui permet de lancer un débat important mais s’interroge sur le calendrier adopté : il lui semble en effet que cette consultation arrive bien en amont d’un phénomène encore mal cerné et balbutiant. En ce sens, elle la comprend comme un simple moyen d’alimenter une réflexion préalable et de clarifier les enjeux potentiels posés par le développement de la téléphonie sur internet. Il lui apparaît cependant que cette première étape devra être complétée par des travaux plus approfondis avant de pouvoir envisager l’adoption d’éventuelles mesures réglementaires.

D’une manière générale, l’AFOPT considère que le développement de la téléphonie sur Internet ne doit pas conduire à ce que des entreprises fournissant un service identique au consommateur final puissent être traitées selon deux modes réglementaires différents. La réglementation concernant la fourniture d’un même service téléphonique au public doit en effet s’appliquer à tous les acteurs fournissant ce service dans des conditions similaires, indépendamment des choix technologiques effectués.

Il faut cependant noter que le développement de la téléphonie sur internet ne permet pas, dans son stade actuel, d’identifier avec précision les problèmes concurrentiels qui pourraient à terme se poser. En ce sens, il apparaîtrait dangereux de définir dès à présent des mesures correctrices ou de prendre des initiatives réglementaires susceptibles de gêner les acteurs économiques agissant sur ces marchés. Il convient également de prendre en compte la dimension internationale intrinsèque d’internet dans toute réflexion de nature réglementaire et d’éviter une initiative qui serait isolée à la France.

Remarques par question.

Questions 1 à 4.

L’AFOPT laisse les acteurs économiques concernés répondre à ces questions dans le détail.

Question 5.

Les mécanismes de compensation existant actuellement entre les différents opérateurs internet suivent une logique simple : le rapport des flux entre deux opérateurs détermine le mode de traitement de leur interconnexion, " peering " ou " transit ". En effet, dans le cas d’acteurs de taille comparable, gérant des flux similaires, les accords de " peering " permettent à chacun de s’interconnecter et d’échanger leurs données sans compensation financière. Dans le cas d’une demande d’interconnexion entre deux acteurs de taille dissemblable, le plus petit des deux achète de la bande passante au plus gros, on se trouve donc dans une logique de " transit ".

Ce mécanisme a été celui de l’internet jusqu’à présent. Il a l’avantage d’être à la fois simple à mettre en œuvre et de reposer sur un système d’auto-régulation performant, car basé sur une logique de marché. Il ne peut cependant s’exercer pleinement au bénéfice des acteurs économiques et des utilisateurs que si aucun opérateur n’est dominant. Un changement de ce mécanisme pourrait donc s’avérer nécessaire dans le cas où un des acteurs de l’internet deviendrait dominant et serait en mesure d’imposer sa volonté aux autres. Dans une telle hypothèse, il pourrait s’avérer nécessaire d’entrer dans une phase de régulation plus " pro-active ", permettant à une concurrence véritable de s’exercer sur des bases équitables. Cette dominance devrait par ailleurs pouvoir s’apprécier aussi bien au niveau mondial, européen que national. Dans chaque cas, les mesures correctrices à mettre en œuvre dépendront en effet d’instances de nature différente.

Ainsi, dans le cas de la France, il convient de s’assurer qu’un certain nombre d’infrastructures de base indispensables pour les opérateurs internet, et toujours entre les mains de l’opérateur historique (liaisons louées en particulier), bénéficient d’une régulation adéquate. Il apparaît également pertinent que l’ART veille à ce que l’opérateur historique ne profite pas de sa situation centrale pour contourner la réglementation en vigueur dans la téléphonie et développer des services induisant des situations de concurrence déloyales, par exemple en proposant à grande échelle des offres de téléphonie ne respectant pas l’encadrement tarifaire qui lui incombe, car basées sur une technologie de transfert de données.

Question 6. Coût et tarification.

Il est difficile d’évaluer aujourd’hui la tarification applicable à la téléphonie sur internet. Le modèle économique de l’internet dans son ensemble ne paraît en effet pas encore stabilisé. En ce sens, plusieurs modes de tarifications s’appliquent aujourd’hui, dont peu sont réellement orientés vers les coûts propres de la téléphonie. L’économie d’un service global proposé sur internet qui inclut de la téléphonie ou de la visiophonie est différent d’un service téléphonique classique. Il faut donc se garder d’appliquer à la téléphonie sur internet des grilles d’analyse élaborées dans un contexte technologique et économique différent.

Question 7. Offres de service, commercialisation.

Comme évoqué dans la question précédente, il n’existe pas aujourd’hui un service unique de voix sur internet, mais une multitude, ayant des caractéristiques propres en terme de qualité, coût, simplicité d’usage, etc. On peut raisonnablement penser que ces offres connaîtront des développements variés : soit elles répondront en effet aux besoins d’un public particulier et se développeront, soit elles ne trouveront pas leur marché et mourront.

De nouveaux canaux de commercialisation de ces offres apparaissent également : certaines offres de téléphonie sur internet peuvent ainsi déjà s’acheter, voire se télécharger gratuitement, directement sur le réseau. En ce sens, un opérateur de service téléphonique sur internet est désormais capable de commercialiser son service directement sur le réseau, sans avoir de présence physique dans un pays.

Question 8. Marché.

Comme le montre les schémas fournis dans le document de consultation, il existe actuellement plusieurs scenari possibles pour la téléphonie sur internet (d’ordinateur à ordinateur, d’ordinateur à téléphone, de téléphone à téléphone). Ces différentes formules semblent correspondre à différents marchés possibles, à la fois en ce qui concerne les professionnels et les particuliers. La téléphonie sur internet est cependant un phénomène encore trop récent pour véritablement permettre de définir aujourd’hui des marchés pertinents.

Question 9. Aspects juridiques de la téléphonie sur internet.

Les aspects juridiques de la téléphonie sur internet apparaissent importants. Il convient cependant de s’interroger si une définition d’un " service de téléphonie sur internet " a un sens quelconque. Il apparaît en effet hasardeux de vouloir définir un service en fonction d’un support technique, par ailleurs mal défini et susceptible d’évoluer rapidement.

Dans le même temps, il ne semble pas que la définition du service téléphonique au public tel que défini dans la loi de 1996 s’applique à la téléphonie sur internet. Ce service n’est donc pas actuellement soumis aux mêmes contraintes que celles pesant sur la téléphonie " classique " : contribution aux charges de service universel, etc.

Question 10 : Autorisations.

La téléphonie n’est qu’un des multiples services disponibles sur internet, et n’est pas forcément, pour le moment, le principal. Imposer une démarche réglementaire élaborée dans un contexte technico-économique différent de celui qui prévaut sur internet n’apparaît donc pas forcément pertinent.

En revanche, et ainsi que cela a été mentionné en préambule de cette contribution, la différence de régime juridique entre un opérateur de service de télécommunications et un " opérateur internet " fournissant un service téléphonique identique peut apparaître dans certains cas de nature à fausser le jeu de la concurrence. Une harmonisation des régimes juridiques pourrait devoir être recherchée à terme.

Question 11 : Contexte International.

La logique mondiale d’internet rend difficile toute approche régionale. Dans le même temps, un certain nombre de problèmes potentiels devront se régler un niveau national ou européen. Un débat sur ces questions, à la fois au niveau européen, mais également dans des instances plus larges comme l’OCDE, apparaîtrait donc pertinent. Il semble enfin nécessaire d’impliquer également dans ce débat les instances propres à l’internet (ICANN par exemple).

Question 12 : Numérotation - Annuaires

La question de la numérotation sur internet, ainsi que la présence de ces numéros dans la liste universelle des abonnés nécessite effectivement une réflexion complémentaire.

D’une manière générale, et dans un soucis d’égalité de la concurrence, l’attribution de numéros de téléphone à un opérateur développant un réseau basé sur la technologie internet, et désireux de proposer un service de téléphonie, devra suivre les mêmes procédures et être soumises aux mêmes contraintes que pour les opérateurs de téléphonie " traditionnelle ".

Question 13 : Interconnexion, interfaces.

L’AFOPT laisse les opérateurs membres de l’Association répondre directement à cette question.

Questions 14 : Autres aspects réglementaires.

Les questions listées par l’ART dans cette partie apparaissent toutes pertinentes. Si il est encore trop tôt pour se prononcer, il convient de rester vigilant, car le développement de ce marché peut entraîner à terme l’émergence de conditions de concurrence inéquitables entre différents acteurs proposant des services similaires. Il serait en effet inacceptable que des opérateurs " traditionnels " doivent gérer des contraintes coûteuses supplémentaires par rapport à des opérateurs de téléphonie " internet " fournissant le même service sur une technologie différente.

Il convient donc de s’interroger sur la manière de faire respecter les principes posés dans cette question (service universel, appels d’urgence, confidentialité et neutralité, secret des correspondance, etc.) quelques soient les réseaux et les technologies employés.

Cette réflexion nécessite certainement de questionner en partie la réglementation existante dans le monde des télécommunications, car elle a été élaborée en fonction d’un schéma économique et technique aujourd’hui en train d’évoluer. La démarche inverse consistant à étendre la réglementation actuelle vers l’internet ne semble actuellement pas une option pertinente.

La perspective de la révision des textes communautaires sur les télécommunications peut donner l’occasion de poser ce débat à la fois au niveau européen et français. Il ne faut cependant pas se précipiter car le cadre réglementaire actuel permet de résoudre un certain nombre des problèmes concurrentiels pouvant se poser tout en laissant le secteur internet se développer librement. Une réflexion complémentaire, lorsque le marché se sera en partie structuré, sera donc certainement nécessaire avant toute réforme réglementaire.


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