Prise de parole - Discours

Discours de fin de mandat de Sébastien Soriano, président de l’Arcep

Discours enregistré le 17 décembre 2020

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Bonjour à toutes et à tous,

A quelques jours de quitter mes fonctions à la présidence de l’Arcep, je voulais revenir sur le sens de mes six années à la tête de cette institution. Si je devais résumer ce qui m’a guidé en une expression, ce serait « donner du pouvoir ». Ce que j’ai essayé de faire, pendant ces six années, c’est donner du pouvoir. Une autorité qui autorise.

D’abord, donner du pouvoir à tous les Français, dans la transition numérique pour se saisir de cette technologie et d’abord pouvoir avoir accès partout, à des réseaux de qualité à des prix abordables en métropole et outre-mer.

Lorsque j’ai pris mon mandat, le secteur des télécoms bénéficiait de prix attractifs, mais la couverture du territoire était insuffisante en réseaux. Nous avons donc réorienté toute notre action pour combler cela à travers une régulation pro-investissement, au travers d’arbitrages parfois très difficiles, mais qui ont permis que l’investissement passe dans le secteur, en cinq ans, de 7 milliards à 10,5 milliards d’euros, soit une augmentation de 50 %, permettant une accélération très forte de l’arrivée de la fibre, 16 millions de nouvelles prises optiques en cinq ans, 7,5 millions d’abonnement, et de la 4G, avec un territoire couvert en 4G par quatre opérateurs, qui est passé de 46 à 75 % en cinq ans. Nous avons aussi accompagné la création d’un centre de relai téléphonique pour les malentendants.

Au-delà des télécoms, nous avons veillé à ce que La Poste continue à apporter un service de qualité malgré la baisse du courrier, et dans la distribution de la presse, nouvelle responsabilité pour l’Arcep, à ce que ce secteur, si indispensable à l’expression de notre vie démocratique, puisse lui aussi traverser cette période difficile.

J’ai voulu aussi donner du pouvoir à tous lesinnovateurs, à tous les entrepreneurs car l’innovation est une dissidence, et il faut la soutenir. Le marché doit rester ouvert, malgré sa maturité. C’est d’abord l’histoire du marché entreprise, où les lignes bougent, mais qui est encore insuffisamment concurrentiel. Il faudra confirmer ce mouvement. C’est aussi l’Internet des objets, en soutien à la French tech des télécoms et aux usages industriels.

Et puis c’est le combat que j’ai porté en tant que président du BEREC, l’organe européen des régulateurs des télécoms, en 2017, lorsqu’il y avait une certaine idéologie dérégulatrice, alors que ce marché des télécoms européens est un immense succès pour nos citoyens.

J’ai voulu donner du pouvoir à tous les acteurs d’Internet, pour que l’intelligence de ce réseau reste aux extrémités et qu’Internet ne se laisse pas entraîner par des tentatives d’accaparement et de contrôle.

C’est d’abord la cause de la neutralité du Net, avec en Europe les lignes directrices du BEREC, à l’exigence desquelles j’ai été extrêmement attentif. Puis des partenariats internationaux avec l’Inde, avec le Canada, au moment où les Etats-Unis se retiraient de ce principe essentiel. C’est aussi un rapport annuel sur l’état de l’Internet et le travail avec une communauté technique, dont la taskforce IPv6. Au-delà des réseaux, cette neutralité, l’Arcep a voulu la porter au niveau des terminaux, en particulier des smartphones, qui deviennent une prison dorée, nous contraignant dans nos choix.

C’est aussi la lutte contre la domination des GAFA, véritables gares de triage de l’ère informationnelle. L’Arcep a porté en la matière des contributions pionnières, qui ont puissamment structuré le débat en posant très tôt des concepts tels que les plateformes structurantes, tels que la régulation supervision, tels que la régulation économique ex ante, qui aujourd’hui sont en train de trouver leur place dans les travaux européens.

J’ai voulu donner du pouvoir auxcollectivités locales, car elles sont devenues des actrices structurantes, essentielles, des réseaux dans notre pays.

D’abord à travers le New Deal Mobile, un accord historique conclu avec le gouvernement et les opérateurs, et qui doit permettre d’amener massivement la 4G dans les zones rurales, plus de 3 milliards d’investissement. Au-delà de l’ampleur de l’effort, c’est une philosophie, l'Etat, est sorti de son déni consistant à brandir un taux de couverture de la population à 99%. Par l’écoute des territoires, nous avons agi sur la couverture des routes, des voies ferrées, des bâtiments, réhaussé la qualité. Et nous nous sommes reposés sur l’intelligence du terrain. Désormais, les zones blanches ne sont plus définies depuis Paris, par un Etat ou des opérateurs, mais par les maires eux-mêmes qui font la demande d’installation des pylônes. Et ce New Deal Mobile, il va continuer. Plus de 600 à 800 nouveaux pylônes vont être installés chaque année par ce biais.

C’est aussi le PlanFrance Très Haut Débit, un chantier exceptionnel dont on ne se félicite pas assez. C’est l’équivalent de l’électrification des zones rurales qui se passe, sans dérive du calendrier et sans surcoût. Ce chantier, il repose sur une combinaison fine de l’initiative publique et privée, des acteurs commerciaux et d’infrastructures, dans un équilibre dont l’Arcep est l’architecte.

Donner du pouvoir, j’ai voulu le faire auprès de tous à travers ce que nous avons appelé la régulation par la donnée. Qu’est-ce que c’est ? Il s’agit d’outiller les utilisateurs par le pouvoir de l’information pour qu’ils deviennent eux-mêmes des acteurs de la régulation.

Nous avons développé des outils, Mon Réseau Mobile, carte qui informe sur la couverture, la qualité des réseaux mobiles de notre pays, comparant les performances respectives des différents opérateurs, CarteFibre et Ma Connexion Internet, qui renseignent sur l’arrivée des réseaux et chacun à son domicile, sur les différentes technologies, les différents débits disponibles. L’outil J’alerte l’ARCEP, qui permet à chacun, en quelques minutes, de signaler un problème. Non, ce n’est pas une plainte consommateur, c’est un acte citoyen pour nous aider à corriger le marché en continu. Plus de 6 millions d’actes d’engagement de nos concitoyens sur ces outils. Qu’ils en soient remerciés.

Mais nous n’avons pas voulu monopoliser les outils, nous avons aussi promu l’émergence d’une large galaxie d’applications qui permettent aux utilisateurs de faire leur choix et d’être plus éclairés, de faire émerger en quelque sorte des Yuka des télécoms.

Le pouvoir, il faut le donner au-delà. Ce sont maintenant tous nos concitoyens qui doivent pouvoir être acteurs, pour des réseaux dans la cité. Le débat de la 5G qui a lieu cette année nous a montré combien les choix technologiques sont désormais imbriqués avec le modèle de société qui se développe.

L’Arcep, et cela a pu surprendre, a choisi d’adopter une posture de neutralité vis-à-vis de la 5G. Impartiaux, nous devons pouvoir nous en porter garants. Nous avons voulu apporter toute la transparence et avons invité les opérateurs à s’inscrire dans les débats locaux avec les municipalités qui souhaitaient mieux s’approprier cette technologie.

L’Arcep a aussi engagé des travaux sur les questions environnementales du numérique. A l’issue de six mois de co-construction avec un large panel d’acteurs, nous apercevons une voie pour conjuguer le développement des usages et la réduction de l’empreinte environnementale du numérique. Il y a une formidable envie de changement et l’Etat peut s’en faire l’amplificateur et le garant.

Au-delà, je crois qu’à l’avenir, nous devons être vigilant à ce que les citoyens soient non seulement des contributeurs aux choix technologiques, mais qu’ils en soient aussi acteurs. Je parle ici des réseaux associatifs, je parle ici des fréquences libres, je parle ici de la « bidouillabilité » des téléphones. Ce sont des défis qui sont encore devant nous et pour lesquels il faudra être ambitieux.

J’ai voulu enfin donner du pouvoiraux agents de l’Arcep. Il n’y a pas d’ambition pour le service public sans réforme managériale. C’est pourquoi, nous avons fait de l’Arcep, une administration libérée. L’Autorité s’est installée dans de nouveaux locaux, plus coopératifs et conviviaux. Nous avons mis sur pied un dispositif pionnier de télétravail. Le management s’est fortement féminisé.

Au croisement de toutes ces dimensions, une conviction personnelle : face à la crise de légitimité du monde public, celui-ci peut et doit se réinventer. En dessinant un Etat « en réseau », qui sache entraîner les forces de la société vers les défis de notre temps.

Après ces quelques mots, je voulais remercier, remercier tous les acteurs avec qui j’ai eu la joie d’échanger pendant ces six années.

Les acteurs économiques des trois secteurs, les opérateurs télécoms, les associations de consommateurs, les industriels, les acteurs de La Poste, les acteurs de la distribution de la presse. Vous êtes le cœur battant des réseaux de notre pays.

Le collège de l’Arcep, car c’est la qualité de nos échanges et nos différences qui forgent la solidité de nos décisions. La directrice générale, Cécile Dubarry, ainsi que son prédécesseur Benoît Loutrel, piliers de nos ambitions. Et les équipes de l’Arcep, les fameux Arcépiens, sans qui la régulation ne serait pas.

Je salue nos autorités de contrôle, elles sont nombreuses, c’est normal, c’est la contrepartie de l’indépendance. Le Parlement, j’ai été auditionné environ 70 fois par différentes commissions dans ces six années, de l'Assemblée nationale et du Sénat. Le Conseil d’Etat, la Cour d’appel de Paris, qui jugent nos décisions, la Cour des comptes qui juge nos dépenses.

Les partenairesdu régulateur, les Commissaires européens, les différents ministres avec lesquels j’ai eu le privilège de travailler au quotidien, ministre des télécoms, ministre du numérique, ministre de l’industrie, ministre de l’aménagement du territoire, ministre de la culture. La Direction générale des entreprises, administration partenaire de toujours, ainsi que toutes les autorités administratives indépendantes, la CNIL, l’Autorité de la concurrence, et plus encore le CSA avec lequel nous avons récemment décidé de créer un pôle numérique commun. Enfin, à l’international, les institutions européennes, les collègues du BEREC et du Fratel, le réseau de la francophonie.

Mesdames et Messieurs, ça a été un honneur de servir mon pays pendant ces six années pour faire des réseaux un bien commun, pour enrichir les possibilités d’échanges de nos concitoyens. Je vous souhaite à toutes et à tous de belles et heureuses fêtes de fin d’année. Merci.